Les lignes pour la visibilisation des femmes dans le monde du sport bougent mais les changements sont-ils vraiment assez rapides ?
Dans Hors-Jeu, chronique culturelle et féministe sur l’industrie du sport professionnel, la québécoise Florence-Agathe Dubé-Moreau analyse et déconstruit les mythes entourant la place des femmes dans l’industrie du sport professionnel, “haut lieu de reproduction des pires stéréotypes de classe, de race et de genre mais aussi lieu de résistance”.
Marie Claire : Vous êtes curatrice indépendante d’art contemporain, et vous venez de publier un essai sur la place des femmes dans l’industrie du sport professionnel. Quelle place tient le sport dans votre vie ?
Florence-Agathe Dubé-Moreau : Le sport a toujours fait partie de ma vie. J'ai fait des programmes intensifs en sport études toute mon enfance et mon adolescence, en ballet classique. Puis, j'ai étudié jusqu'au niveau semi-professionnel, en interprétation classique, en ballet, ici à Montréal.
J'ai toujours été dans un environnement d'athlètes de haute performance. Puis j'ai arrêté la danse vers 19 ans, après une blessure grave et je me suis vraiment redirigée vers l'histoire de l'art, puis la curation d'expositions. Ensuite, le sport est revenu dans ma vie quand j’ai rencontré mon partenaire qui est joueur de football américain en NFL.
Finalement, le sport a toujours été là, combiné avec les arts. Et même aujourd'hui, je co-préside une fondation avec mon conjoint qui offre gratuitement des activités en sport et en art aux enfants du primaire ici au Québec.
Votre essai interroge la place des femmes dans le sport professionnel : quel est votre point de départ ?
Le déclic, ça a été ma découverte de l'univers du sport professionnel masculin aux États-Unis (à Kansas City, ville où son partenaire avait été engagé dans l’équipe de football américain des Chiefs, ndlr). Je connaissais très peu le sport professionnel, et les grandes ligues comme la NFL ou la NBA en basketball ou même la NHL en hockey.
Ça a été un grand choc en fait. J'ai vraiment vécu comme une cassure entre ma vie sur la scène artistique montréalaise, puis ma vie aux États-Unis, au beau milieu du Midwest. Je trouvais ça très déstabilisant de découvrir cet univers-là, pensé par et pour les hommes exclusivement.
Pour le livre, j’ai voulu chercher où étaient les femmes dans le sport professionnel ? Quelle est leur place ? Leur rôle ? Qu'elles soient conjointes de joueurs - comme moi - ou cheerleaders, arbitres, coachs, dirigeantes… Puis ensuite, les mettre en dialogue les unes avec les autres pour voir où elles sont, où sont leurs points de rapprochement, leurs différences ?
Votre premier objet d’étude est la NFL (Ligue professionnelle de football américain), mais vos observations sont-elles transposables à d’autres sports ou d’autres pays ?
Je crois que oui, pour plusieurs raisons. Premièrement, la NFL, donc le football américain, demeure la plus puissante ligue de sport au monde. Donc les dynamiques sur le marché sportif que la NFL impose sont extrêmement importantes pour tous les sports, pour tous les pays finalement. Aussi parce que j'ai l'impression que cette industrie-là est très imprégnée par une idéologie patriarcale, et ça, ça traverse tous les sports, notamment le foot européen.
Au-delà même du sport, depuis que le livre est sorti au Québec, plusieurs femmes sont venues vers moi pour me dire qu’elles se reconnaissaient, qu’elles ou leur conjoint travaillent en finances, en politique ou dans le cinéma…
Les dynamiques que je décris, principalement en Amérique du Nord, sont complètement transposables à l'Europe. D’ailleurs, une des autrices qui m'a beaucoup aidée au départ, dans ma réflexion par rapport aux à la place des femmes dans le sport, c'est Béatrice Barbusse, une sociologue, basée en France, qui a beaucoup parlé de la place des dirigeantes dans le sport, dans les fédérations sportives, les organisations sportives…
Votre point de départ dans le livre est votre arrivée à Kansas City en 2014, (son conjoint est alors repêché par l’équipe des Chiefs en NFL) : avez-vous pu observer des changements en dix ans ?
Je me sens vraiment chanceuse d'avoir vécu les dix dernières années dans l'univers du sport masculin, parce qu'on les a vus, les changements. Dans les médias, on sent qu'il y a une sensibilité différente, un intérêt différent à couvrir ces sujets-là. Avec les Jeux olympiques à Paris, où il y aura autant d'athlètes féminins que masculins, on va passer une nouvelle grande étape. C’est historique.
Ces dix dernières années, on en a vécu plein de ces moments historiques : les premières femmes arbitres sur des compétitions importantes, les premières femmes coachs d’équipe masculine, les dirigeantes… C’est aussi la victoire des cheerleaders qui se sont battues pour leurs conditions de travail, une meilleure solidarité des conjointes de joueurs
Comme dans n'importe quel engagement féministe ou lutte féministe, il faut avoir pouvoir recharger nos batteries : constater qu'il y a du progrès, qu’il y a du changement, ça fait du bien, ça donne de l'énergie. Après, il reste tellement de travail à faire...
Tu abordes aussi la place des compagnes d’athlète, dont tu fais partie. Pourquoi les juge-t-on si sévèrement ?
J’ai regardé le documentaire Beckham (Netflix), il y a quelques semaines et une chose m’a marquée : Victoria Beckham y décrivait des choses que j’avais moi-même vécues, presque 20 ans après elle.
Aujourd’hui, on peut aussi regarder du côté de Taylor Swift (elle sort avec Travis Kelce, joueur de NFL, ndlr) : au départ, il y a eu plus de ventes de billets, de vêtements… Et maintenant que les Chiefs font moins bien, les détracteurs disent qu’elle est une source de distraction.
C’est fascinant de voir que les arguments et les critiques ne changent pas. Je ne sais pas comment expliquer cette violence à l’égard des “WAG”. Par contre, j’ai pu observer - exactement comme le dit "l’humaine" de Barbie dans son monologue de la fin - qu’elles vivent une équation impossible : si elles continuent de vivre leur vie, on leur reproche, si elle abandonne leur activité pour leur conjoint, on pense qu’elles profitent de la situation… Leurs images sur les réseaux sociaux sont scrutées. On leur reproche de prendre la parole, ou d’être trop effacées.
Pour moi, leur statut et le jugement qu’on y appose, c'est un enjeu qui dépasse d'une certaine façon les individus femmes en elles-mêmes.
En quoi, c’est fondamental de changer le regard sur les femmes dans l’industrie du sport pro ?
C'est fondamental parce que ça pourrait bénéficier à tout le monde, aux femmes bien entendu, mais aussi aux hommes et ce, même au-delà du sport.
Parler de féminisme dans un contexte comme le sport, qui historiquement, a été une machine qui a exclu beaucoup de personnes qui ne rentraient pas dans la case de l'athlète masculin idéal, c’est donner des pistes pour faire évoluer la place des femmes dans toute la société.
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