Défiance pour l’allopathie. Refus de la toute puissance du médicament. La fièvre de la chimie et des antibiotiques retombant comme un soufflé, les plantes médicinales ont plus que jamais le vent en poupe. Fini le temps où l’on associait les herboristeries aux "remèdes de bonne femme". "Nous avons toujours accompagné les gens aux différents âges de la vie, mais nous voyons émerger des problématiques inédites et une nouvelle clientèle. Des jeunes filles cherchent des alternatives à la pilule, alors qu’il y a trente ans, personne ne se posait cette question ; des parents ne souhaitent pas mettre sous Roaccutane® leur ado souffrant d’acné juvénile", illustre Caroline Gayet, qui conseille deux jours par semaine au comptoir de la célèbre herboristerie du Palais-Royal.
Pour la diététicienne nutritionniste formée en phytothérapie et en aromathérapie, la foi dans les pouvoirs du végétal remonte à l’adolescence, quand elle se découvre une endométriose qu’elle tente de soigner par le protocole médical classique. Prise de médicaments, opérations, pilule. Elle finit par se tourner vers des alternatives naturelles et entre en stage à l’herboristerie du Palais Royal… qu’elle ne quittera plus.
Un métier victime d’une législation sévère
Léger parfum de plantes séchées. Etagères en bois clair exposant sachets, flacons ou boite de gélules. Dans les rayons, l’équipe composée de biologistes mais aussi de pharmaciens, diététiciens, ou phytothérapeutes papote de plantes bien sûr, mais aussi de compléments alimentaires et de toutes ces choses qu’on ne croise ni sur internet, ni dans les livres. "La notion de prévention entre dans les mœurs ; les gens n’attendent pas d’être malades, ils viennent se renseigner dès l’entrée de l’hiver pour renforcer leurs défenses immunitaires", souligne Caroline Gayet, qui signe l’ouvrage Les secrets de mon herboristerie (InterEditions, parution le 2 octobre 2019), co-écrit avec Michel Pierre.
On a le droit de vendre les plantes mais pas de leur imputer des propriétés thérapeutiques. Or, cette mission de conseil est essentielle et fait partie de notre métier
Cet ancien préparateur en pharmacie officie dans l’adresse du Palais Royal depuis 1972. Il déplore une dégradation au long court des conditions d’exercice. "Il est devenu beaucoup plus difficile d'exercer, car la législation est extrêmement sévère", constate-t-il dans la préface de l’ouvrage à la fois riche et pratique, organisé autour des problématiques courantes de santé. Et pour cause : légalement, le métier d'herboriste n'existe plus en France depuis … 1941.
Aujourd'hui, ils sont une poignée à continuer à exercer un métier fragile. "Sur 546 plantes qui composent la pharmacopée française, nous avons accès aux seules 148 qui sont libéralisées. Toutes les autres relèvent du monopole des pharmacies. Régulièrement, il est question de les y placer toutes", déplore Caroline Gayet.
Vide juridique et cadre réglementaire ambigu
D’après l’experte, n’importe qui peut ouvrir une herboristerie mais personne ne peut se dire herboriste. "On a le droit de vendre les plantes mais pas de leur imputer des propriétés thérapeutiques. Or, cette mission de conseil est essentielle et fait partie de notre métier : on ne manie pas les remèdes végétaux à la légère", argumente-t-elle. "L’existence d’un vide juridique sur la question fait que les procès sont presque systématiquement classés en non lieu, mais pas dénués d’amendes", relate la consultante.
"En France, le cadre réglementaire est très complexe. Ce qui n’est pas un médicament est considéré comme un aliment. D’où l’ambigüité des classements juridiques des actifs végétaux, souvent relégués au rang de compléments alimentaires", éclaire le Dr Eric Lorrain, médecin phytothérapeute et nutritionniste, auteur du Grand manuel de phytothérapie (sortie le 21 aout 2019 chez Dunod). Cette bible d'environ 1300 pages étudie dans le détail une centaine de plantes médicinales documentées de manière scientifique.
Ainsi, une même plante peut être classée comme "médicament", "denrée" (complément alimentaire), ou encore "cosmétique"… Résultat : l’herboriste peut vendre 148 plantes en vrac, mais plus de 500 sous forme de complément alimentaire, réduites en poudre dans des gélules.
Herboristeries versus pharmacies : un bras de fer propre à la France
Les plantes médicinales déchainent les passions et enflamment les débats autour d’un marché qui frise les 3 milliards d’euros en santé et en beauté dans l’Hexagone. Les herboristes dénoncent le monopole des pharmaciens et leur manque de formation sur les plantes. Les pharmaciens notent que les diplômes universitaires d’herboristerie ne sont plus reconnus. Certaines pharmacies se revendiquent herboristerie et phytothérapie sur leur devanture. Blouse blanche, plantes en exposition… chacun emprunte les codes de l’autre.
"Le gouvernement tolère l’herboristerie traditionnelle car les principes qu’elle manie ne sont pas forcément très concentrés ; en l’occurrence, ceux des plantes dites libérées, dans une liste sortie du monopole pharmaceutique", nuance Eric Lorrain. Cette offre de plantes est très abondante en dehors des pharmacies, à commencer dans la jungle de l’Internet. "Quand les herboristes font du conseil sur des plantes classées comme compléments alimentaires, cela entretient le flou dans l’esprit des gens. Il est compliqué de se référer à l’herboristerie aujourd’hui car elle évoque un concept ancien qui remonte à des siècles alors que les pratiques et les lois ont changé", analyse le médecin qui dénonce une guerre de territoire née au milieu du XIXe siècle en France, alors qu’elle est inexistante en Suisse, ou en Allemagne.
Une histoire malmenée
"Attention aux gardiens du temps !", alerte le docteur Eric Lorrain. Les plantes ne sont pas une religion, elles appartiennent à tout le monde". D’après ce fin observateur du milieu, il faut distinguer l’herboristerie, approche traditionnelle et empirique, de la phytothérapie, démarche scientifique héritière de la première.
En Europe, la connaissance des plantes a longtemps été empirique, basée sur un usage de plusieurs siècles, mais elle n’a jamais été vérifiée cliniquement. "Les plantes ont été reprises par les curés dans les fameux jardins des simples, au travers d’une connaissance vernaculaire et traditionnelle, utilisées sous forme d’infusion ou de décoction, mais aussi d’applications locales (emplâtres)", relate-t-il.
Le métier d’herboriste s’est constitué peu à peu, répondant aux besoins de ceux qui n’avaient ni jardin, ni connaissance des plantes, comme les gens des villes. "La notion de principes actifs remonte au 19e siècle, quand la chimie balbutiante commence à isoler ces molécules, avant l’essor de la pharmacologie de synthèse et des médicaments bon marché qui ont vite démodé les remèdes végétaux", poursuit Eric Lorrain. Aujourd’hui, le paysage totalement neuf invite à repenser de toute urgence le métier et la pratique, ne serait-ce que pour répondre au consommateur, laissé en mal d’informations et de conseils.
Vers l’émergence d’une nouvelle herboristerie
"En réalité, l’engouement du grand public porte davantage sur les plantes que sur l’herboristerie", avance Eric Lorrain. Or, l’offre est organisée en deux réseaux : celui des herboristeries et celui des pharmacies. Les premières sont semblables aux parapharmacies et aux boutiques santé. "On vous y vend aussi d’autres produits, d’hygiène, de santé alors que l’herboristerie originelle était exclusivement tournée vers les plantes", pointe le professionnel.
L’enjeu le plus urgent est d’enseigner au corps médical mais aussi aux professions para-médicales à utiliser la pharmacologie végétale en première intention
Des commerces du genre s’ouvrent tous les jours. Ils correspondent à un vrai besoin du grand public, désireux de prendre en charge sa santé naturellement. Du point de vue de Caroline Gayet, si initialement, l’herboristerie incluait l’usage des plantes en tisanes et en teintures mères, son nouveau modèle intègre aujourd’hui les huiles essentielles, la gemmothérapie (bourgeons de plantes) la micronutrition, les produits de la ruche, les produits de la mer (algues, eau de mer et sérum de quinton) ou encore champignons, la médecine traditionnelle indienne et bien sûr la cosmétique naturelle (savons, shampoings etc).
Eric Lorrain, pour sa part, définit autrement la nouvelle herboristerie. Celle-ci s’enrichit désormais en plantes de la pharmacopée européenne mais aussi des variétés indiennes, chinoises, africaines et tutti quanti. "Le desmodium a été introduit en France il y a une cinquantaine d’années. Le safran, dont on parle beaucoup en ce moment, n'était pas utilisé non plus en Europe", illustre-t-il.
Des préparations plus ou moins efficaces
"Le monde change, peut être est-il temps de dépasser l’herboristerie", questionne le médecin, qui préfère miser sur la phytothérapie. Quand la plante entre dans la modernité et répond au cahier des charges de la science moderne (médecine basée sur les preuves), elle peut devenir un extrait performant".
Illustration : il y a 25 ans ont été mis au point les extraits de plantes fraîches standardisées (EPS) : une révolution. Réservé aux préparations magistrales en pharmacie, ce mode d'extraction accentue les effets des simples feuilles sèches. Ainsi, le cyprès, connu en herboristerie pour ses propriétés circulatoires (jambes lourdes), devient, en EPS, un anti viral puissant qui peut agir sur la grippe ou l’HPV du col utérin.
Moralité : une gélule, une plante sèche, une poudre, un extrait de plantes fraîches n’ont pas les mêmes effets. D’où l’importance que le client comprenne que la nature de l’extrait a de l’importance. Pour lui, l’herboristerie sera tirée vers le haut par les progrès de phytothérapie… on peut répondre à la demande de naturalité des publics avec un esprit rationnel et en s’intéressant à la culture de la plantes, à son historique.
Utiliser la pharmacologie végétale en première intention
Les débats sur l’herboristerie ne sont pas uniquement le reflet des états d’âme d’une profession en mal de reconnaissance. En 2018, le Sénat lançait une mission de réflexion sur la filière, la réglementation, la place des plantes médicinales dans le système de santé. Résultat : 39 propositions autour de ces questions, mais, faute de consensus, toujours rien sur le statut juridique de la profession, même si tous plaident pour un meilleur "encadrement de la profession" afin de garantir la sécurité des clients.
"L’enjeu le plus urgent est d’enseigner au corps médical (pharmaciens, dentistes, médecins etc) mais aussi aux professions paramédicales (psychologues, podologues, kinésithérapeutes, sages-femmes…) à utiliser la pharmacologie végétale en première intention", expose le Dr Eric Lorrain, par ailleurs président de l’Institut Européen des Substances Végétales (IESV). L’organisme a été créé par une équipe de professionnels de santé pour promouvoir cette médecine alternative auprès de leurs collègues.
Aujourd'hui, l'institut compte plus d’une centaine de membres, dont un nombre croissant de médecins. "Sa première tâche est de les former à la phytothérapie car il y a un demi-siècle, cette discipline a été boutée hors des facultés de médecine. Seuls les pharmaciens en ont dans leur cursus", justifie le médecin qui l’associe à la pharmacologie de demain. Michel Pierre ne dit pas autre chose dans son ouvrage : la médecine allopathique et naturelle n’ont pas à s’opposer. Elles proposent des visions du monde différentes mais réellement complémentaires et gagneraient à être mises en place conjointement pour améliorer les soins, la prévention et la qualité de vie des patients".
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