"Parisien depuis plus de la moitié de [s]a vie", Guillaume Henry a été choisi pour ressusciter Patou en 2018. Le dimanche 26 janvier, il a présenté la collection automne-hiver 2025-2026 de la griffe détenue par le groupe LVMH. Débrief d'un show flamboyant qui s'est tenu la veille du coup d’envoi de la semaine de la haute couture. 

Marie Claire : Comment définiriez-vous Patou ?
Guillaume Henry : C’est une marque très ancienne, qui a su conserver sa jeunesse, son enthousiasme et sa joie.

Qui est la femme Patou selon vous ?
Elle s’habille pour vivre, pas pour se la raconter. Elle choisit ses vêtements avec pragmatisme pour travailler, mais aussi pour sortir, faire la fête, flirter… J’aime quand mes créations accompagnent tous les souvenirs possibles.

Et puis la femme Patou affectionne la mode, même si elle n’est pas forcément à la pointe des tendances. Sa priorité, dans la vie, ce n’est pas ce à quoi elle ressemble, mais plutôt les projets magnifiques qui l’attendent.

Elle séduit énormément, non ? À votre défilé automne-hiver 2025-2026, il y avait Katie Holmes et Kelly Rutherford, par exemple…
Je pense que l’envie attire l’envie, le désir attire le désir… J’ai une chance folle : je suis entouré de personnes créatives et douées, incroyablement loyales, humaines et sincères, avec qui j’adore passer du temps. Et accessoirement, elles se sentent bien dans mes vêtements !  

Quelle place laissez-vous aux archives de Patou dans votre processus de création ?
Pour moi, la mode fonctionne de la même manière qu’une famille qui a un bagage, un vocabulaire. Il ne s’agit pas de photocopier ce qui a déjà été fait par le passé. D’autant que la mode a ce formidable dynamisme, elle est toujours tournée vers demain.

Avant mon arrivée, la maison s’appelait Jean Patou, et puis elle est devenue Patou. Pas pour effacer Jean, qui est avec moi en permanence. Mais l’héritage de Jean Patou, pour qui j’ai un respect infini et dont je respecte foncièrement le travail, ne réside pas dans une jupe trouvée dans les archives.

Il faut bien comprendre que c’était un précurseur : il a par exemple inventé l’allure sportive. Je ne me suis pas pour autant mis à créer des vêtements de sport. En revanche, cette dégaine athlétique est dans tout ce que je fais.

Ma place n’est pas de rééditer son œuvre, plutôt de continuer à écrire l’histoire, après Marc Bohan, Karl Lagerfeld, Jean Paul Gaultier et Christian Lacroix, qui était mon idole absolue lorsque j’étais plus jeune.

Pourquoi avoir pris l’habitude de défiler pendant l’homme ?
La mode est certes une industrie de l’image, mais c’est avant tout un commerce, une industrie tout court. Chez Patou, nous confectionnons deux lignes par an, que nous vendons aux acheteur-euse-s au moment des pré-collections. Il s’avère que les showrooms tombent durant le calendrier de l’homme. C’était donc plus logique de s’aligner sur cette temporalité.

Notre créneau, la veille de la couture, nous convient parfaitement. La période est moins dense que pendant la fashion week féminine, un peu plus tendre peut-être. Et moi, c’est quelque chose que j’aime, la tendresse.

Quels mots utiliseriez-vous pour décrire le défilé automne-hiver 2025-2026 ?
Je dirais dynamique, énergique et optimiste.

Que racontait cette collection ?
D’habitude, je commence à réfléchir à ma collection en me disant que c’est l’histoire d’une femme qui fait ceci ou cela. Mais cette fois, il n’y avait pas de storytelling. J’avais envie d’une apparition, de vitesse, d’une personne que l’on croiserait de manière fugace depuis le siège arrière d’une voiture. Qui est-elle ? Où va-t-elle ?

La vitesse, c’est aussi celle de Paris, celle de la nuit, du monde saturé dans lequel nous vivons. Je voulais créer des moments visuels qui racontent la force, l’énergie. Il y avait beaucoup de rouge et de noir, on m’a fait remarquer que cela changeait de ma palette habituelle. Tant mieux ! La mode, c’est exprimer sans relâche la même chose, mais avec de nouveaux ingrédients.

Pour l’automne-hiver 2025-2026, j’avais envie d’utiliser des couleurs avec lesquelles je ne suis pas familier, des nuances qui évoquent cette idée de rapidité, comme une voie rapide sur laquelle circulent des voitures de course.

C’est une idée qui se retrouve aussi dans la manière dont les vêtements se ferment, avec des verrous qui les rendent fonctionnels, techniques, faciles à retirer. Et puis j’avais envie d’une vraie élégance, j’ai toujours été inspiré par les silhouettes couture du passé, très dessinées, comme des découpages. Mais je désirais qu’elles soient traitées avec beaucoup de nervosité.

Quelles étaient vos sources d’inspirations ?
Je suis toujours incroyablement nourri par le cinéma, par des photos qui ont pu habiter mon esprit. Il s’agit rarement d’images de mode. En revanche, cela peut être des figures, j’ai tout un panthéon d'icônes. Lorsque j’ai commencé cette collection, je pensais beaucoup à Gena Rowland et Marisa Paredes, qui nous ont quittées cette année.

Sur le podium, il y avait des singularités, à l'image de ces sacs à main portés comme des harnais et de ces maxi capelines de soirée. À quoi servaient ces décalages ?
Ce sont des ponctuations
, liées à cette notion de vitesse. Je voulais un sac à main qui n’empêche pas de courir, qui n’encombre pas, avec lequel il est possible de taper sur son téléphone ou de conduire un bolide.

Je parle de vitesse, d’énergie, mais il y a toujours de la tendresse dans mes créations. En l’occurrence, ce modèle s’inspire des années 50, il est tout plat, confectionné dans des matières précieuses et a les lignes d’un porte-document vintage.

Les capelines, elles, ressemblent à des chapeaux de pluie, à des couvre-chefs folkloriques, mais, dans leur façon de bouger, dans leur dessin, elles sont aérodynamiques, comme des ailerons.

Dans l’univers de la voiture, on parle d’options. Ces accessoires en sont. 

Quels sont les looks de la collection que vous préférez ?
Le premier passage est très important, c’est un manteau en drap de laine glissé sur une blouse qui peut se porter de mille manières. Très fermée autour du cou avec une petite collerette, comme dans les tableaux du passé, ou bien complètement ouverte sur le décolleté. La mannequin a enfilé des bottes sur ses jambes nues : il y a tout un jeu autour de ce qui est montré et ce qui est caché.

Et puis j’aime beaucoup la dernière robe, un fourreau entièrement brodé de paillettes, avec juste une ouverture dans le dos, sur ce qui est vulnérable. Sans oublier les ceintures portées taille basse comme dans les années 20, la couleur gyrophare et, toujours, les poches. J’adore les poches, elles protègent les timides et donnent de l’allure aux arrogant-e-s.

L’écoresponsabilité est un sujet important chez Patou. Quelle est la place de la circularité dans cette collection ?
À part le vinyle, nous avons principalement utilisé des matières durables. Notamment de la laine recyclée et du coton organique, tandis que le jacquard Patou a été développé à partir de déchets plastiques trouvés dans la mer

La majorité de nos tissus est reconduite de saison en saison, parce que nous avons monté de vrais partenariats avec nos fabricants et parce que nous croyons au fait de ne rien jeter. Nous utilisons la même popeline depuis nos débuts et nos sacs à main sont tous confectionnés à partir de chute de cuir, par exemple.

C’était déjà un sujet qui vous touchait, avant Patou ?
Je n’y étais pas forcément sensible, je le suis aujourd’hui. Nous commettons encore des erreurs, nous pouvons faire mieux.

Il y a plein de choses qui ne sont pas encore logiques, surtout dans une industrie comme la mode, une industrie de création pure et de consommation. Mais en commençant Patou, je me suis demandé comment être un acteur positif de cette industrie.

D’abord, en faisant moins, mais mieux, en proposant des collections plus restreintes, en montrant ce que l’on vend et inversement. Il n’y a pas une ligne pour la presse et une autre pour les magasins. En revanche, la cliente finale n’est pas obligée de s’habiller en robe de soirée et capeline XXL. Ça, c’est ma proposition.

Vous allez être juré du Prix du roman Marie Claire au printemps. Quel est votre rapport à la lecture ?
C’est une passion un peu frustrée, parce que j’ai rarement le temps de lire. Certainement car je ne le prends pas, d’ailleurs.

C’est à chaque fois une évasion merveilleuse, que j’attends avec impatience, surtout pour la perspective de découvrir un nouvel univers.

Quelle joie de rentrer dans le vortex de quelqu’un, de rencontrer l’âme qui se cache derrière le stylo. Il y a quelque chose de profondément intime avec la lecture, c’est un rendez-vous pris avec de nouvelles passions. Je suis toujours très excité quand un-e auteur-rice que j’adore sort un nouveau roman. J’ai l’impression que c’est un cadeau.

Quelle héroïne de roman serait la femme Patou ?
Elle figurerait dans l’une des œuvres de Stefan Zweig. Ses personnages féminins ne sont jamais celles que l’on pense. Comme dans ma mode, elles ne sont pas littérales, elles ont de l’épaisseur. On a envie de les connaître et de les découvrir.