Il brille quand on esquisse un sourire. Il intrigue et dérange parfois. Le grillz, ce bijou dentaire que l’on clipse sur les dents comme on enfile une bague au doigt, a longtemps été cantonné aux clips de rap américain et aux stéréotypes qui les accompagnent. Mais ces dernières années, un tournant s'est opéré. Ce qui était autrefois l’apanage des artistes hip-hop est devenu un accessoire de plus en plus convoité par les figures féminines de la scène culturelle française.

"Si on remonte du temps des Égyptiens, c'était déjà courant de voir des dents ou des prothèses dentaires décoratives", rappelle Benny-Lovhe Mateky, consultant dans le luxe. C’est à New York dans les années 80 que les grillz prennent la forme qu’on connaît aujourd’hui.

Mais bien avant de devenir un objet de désir, cet accessoire dentaire naît d’un besoin : remplacer une dent manquante à moindre coût, souvent dans les quartiers populaires afro-américains. "À l'origine, arborer des dents en or était un choix de santé. C’était plus abordable qu’une vraie prothèse", précise l'expert. Une nécessité, devenue signe de réussite dans les années 90, avec l’explosion du rap et ses codes visuels, propulsé par des rappeurs tels que Slick Rick, Eddie Plein ou Johnny Dang.

"Ce qui était vu comme un stigma est devenu un symbole de pouvoir", souligne le consultant. Ce changement de regard n’est pas anodin : il témoigne de la manière dont certaines esthétiques issues des marges deviennent des codes dominants.

Le luxe comme révélateur culturel

Et les maisons de luxe l'ont bien compris. En 2019, Givenchy fait appel à Dolly Cohen — pointure du grillz en France depuis 2005 ayant participé à la démocratisation de ce bijou dentaire — pour l'un de ses défilés.

Plus récemment, c'est au tour de Pharrell Williams d'introduire cet accessoire dans son défilé pour Louis Vuitton en janvier 2024. Un geste fort, presque politique, qui permet de faire entrer dans la haute couture ce symbole issu de la culture afro-américaine, longtemps marginalisée.

Balenciaga, Givenchy, Vuitton… Toutes ces maisons convoquent de nouvelles références. Et les codes évoluent : les looks autrefois cantonnés au streetwear s'invitent dans les campagnes les plus luxueuses.

Du rap américain à la scène musicale féminine francophone

Aujourd’hui, le grillz est sorti de la sphère hip-hop. Aperçu sur Beyoncé, Kim Kardashian, Rosalía, mais aussi sur des artistes françaises plus inattendues comme Adèle Exarchopoulos ou Camélia Jordana, il gagne du terrain.

Comment expliquer cet engouement ? Peut-être par sa polyvalence stylistique. Or, argent, strass, pierres précieuses : le grillz devient un terrain d’expérimentation esthétique, voire identitaire.

"Désormais, le grillz se porte comme un piercing. On le met le temps d’une soirée, on l’enlève pour dormir. C’est un accessoire comme un autre", précise Benny-Lovhe Mateky.

Appropriation ou célébration ? Une question de contexte et de respect

S'il est aujourd’hui adopté bien au-delà des milieux hip-hop et afro-américains, la question de l’appropriation culturelle se pose inévitablement. Pourtant, pour la personne que nous avons interviewée, il s’agit moins d’appropriation que d’inspiration assumée.

"Je ne pense pas que l'on puisse parler d’appropriation culturelle, parce que le monde se nourrit de différentes cultures." Pour l'expert, tout réside dans la manière dont ces codes sont repris. Il ne s’agit pas de nier l’histoire du grillz, mais au contraire d’en reconnaître les origines et de les valoriser, y compris dans les sphères les plus élitistes.

Et de souligner que le véritable problème ne vient pas du port du grillz en soi, mais de l’invisibilisation de ses racines. "Ce qui serait dérangeant, c’est que ces modes-là — qui parlent à beaucoup de personnes aujourd'hui — soient reprises sans reconnaissance. Mais le fait que Louis Vuitton, Balenciaga ou Givenchy les intègrent dans leurs défilés, c’est une manière de dire : ces codes font partie de notre culture aujourd’hui."