Des centaines de milliers d'internautes signent une pétition pour que le prix Nobel de la Paix lui soit attribué, 31% de Français·es âgés de 18-30 ans l'ont désignée comme leur personnalité préférée de 2024*, et le TIME magazine l'a fait figurer dans son prestigieux classement annuel des cent personnes les plus influentes du monde.
Les hommages à Gisèle Pelicot fleurissent sur les murs et la Toile, ils se font aussi en livres, nombreux à paraître ce printemps, en chansons, entonnées par une foule d'anonymes devant le tribunal d'Avignon durant le procès dit "des viols de Mazan", lors d'un grand show solidaire télévisé pour les droits des femmes, ou au premier couplet de Je t'accuse de Suzane, qui a d'ailleurs invité dans son clip réalisé par Andréa Bescond, Caroline Darian, fille de la septuagénaire au carré blond vénitien, qui accuse aussi Dominique Pelicot de violences sexuelles commises sous soumission chimique.
Bref, Gisèle Pelicot est devenue une icône féministe en refusant le huis clos lors du procès, geste immense pour que "la honte change de camp", et qui permit, au-delà de ce qu'elle aurait pu imaginer, son retentissement mondial. Mais elle n'est pas seulement un symbole des violences sexistes et sexuelles, l'image d'une victime debout, celle "de la bravoure dans le monde entier", ou encore, "le visage du courage", comme écrit le New York Times.
Gisèle Pelicot n'est pas qu'un symbole et n'a pas choisi sa notoriété
Par-delà ce qu'elle incarne désormais, Gisèle Pelicot demeure, s'il faut le rappeler, une personne à part entière, de chair et d'émotions. Une femme de 72 ans, discrète, qui n'a jamais donné d'interview, s'est exprimé seulement deux fois publiquement, au début et à la fin du procès. Une femme dont l'image et le corps ont été volés par son ancien époux et des dizaines d'hommes, puisque le premier, condamné à vingt ans de réclusion criminelle, la droguait aux anxiolytiques, et alors, partageait des clichés d'elle, pris à son insu, lorsqu'elle était inconsciente, à des inconnus qu'il recrutait sur Internet, avant que ces derniers ne viennent la violer à leur domicile de Mazan. Le 19 décembre 2024, à l'issue du procès historique, les 50 coaccusés de Dominique Pelicot ont été condamnés à des peines - dont certains ont fait appel - s'échelonnant entre trois à quinze ans de réclusion criminelle.
"Elle n'a pas choisi la notoriété qui est la sienne. Elle a fait le choix de se tenir à l'écart des médias pour se reconstruire sereinement à distance." Me Stéphane Babonneau, avocat de Gisèle Pelicot
Son visage digne est désormais connu dans le monde entier. Personnalité célèbre, même "préférée", elle n'est évidemment plus une anonyme - elle y a renoncé pour les autres victimes -, mais n'est pas une artiste ou une figure politique qui sait faire un métier public. Gisèle Pelicot "n'a pas choisi la notoriété qui est la sienne" et "a fait le choix de se tenir à l'écart des médias pour se reconstruire sereinement à distance", rappelle son avocat, Me Stéphane Babonneau.
"Paparazzer" une victime de soumission chimique, photographiée des milliers de fois à son insu
Jeudi 17 avril 2025, Paris Match a pourtant affiché sa vie privée en couverture. Une photo volée de la septuagénaire, qui fut donc traquée par un paparazzi, aux côtés d'un homme que l'hebdomadaire présente comme son nouveau compagnon, recouvre toute la Une. Plusieurs clichés pris à son insu sont aussi publiés, toujours sans son autorisation, sur le site du magazine et sur ses réseaux sociaux.
Le jour même, les conseils de Gisèle Pelicot ont annoncé son intention de porter plainte contre Paris Match. "Sur le fond, c'est très choquant, vu qu'il s'agit de l'histoire d'une femme dont le consentement a été nié pendant dix ans et dont le calvaire a été rappelé par les quelque 3 000 photos et vidéos prises à son insu, pointe justement l'un de ses avocats, Me Antoine Camus, dans un communiqué transmis à l'AFP. Or, faire l'objet après ça d'une paparazzade, c'est n'avoir rien compris à ces quatre mois de procès." Et de prévenir : "À chaque fois que l'intimité de la vie privée de notre cliente sera atteinte, on va réagir et faire condamner."
Sur le plateau de BFMTV cette fois, il répète son indignation - partagée par milliers d'internautes - de voir une "femme qui a été privée de son libre arbitre pendant dix ans" ainsi traitée. "Le dénominateur commun entre ce qu'elle a subi et cette Une, c'est le consentement", résume David Pelicot, son fils profondément heurté par cet "écho", également invité par la chaîne d'information en continu.
Son autre avocat, Me Stéphane Babonneau, affirme que leur cliente a appris l'existence de ces photos "brutalement", le matin même de leur parution. "Cela démontre une absence la plus complète d'humanité à son égard", déplore celui qui estime que "Paris Match récidive en violant sa vie privée". Lors du procès, le magazine avait déjà publié une photo privée, sans l'accord de la concernée, d'elle et son bourreau, Dominique Pelicot, à leur mariage.
"Qu’on arrête de parler à sa place. Qu’on lui rende ce qu’on lui a toujours refusé : la maîtrise de son récit." Florian, fils de Gisèle Pelicot
Aussi offusqué par cette couverture, Florian Pelicot s'adresse directement à sa mère dans une bouleversante lettre ouverte publiée sur son compte Instagram. "Maman, on t’a volé. On t’a volé des vidéos de toi, à ton insu. Des images de ton corps. On t’a volé ta jeunesse, ta sécurité, ton intimité. Et aujourd’hui, ils te volent encore. Ils volent les images de ta nouvelle vie. Ta reconstruction. Ton droit au silence. Ton droit à la paix. Qu’est-ce qui a changé, entre Dominique Pelicot, le bourreau, et ces journalistes qui s’accaparent ton histoire sans ton accord ? Ceux qui prennent ton image pour la jeter en couverture, sans jamais t’écouter, sans même te regarder vraiment. Le voyeurisme continue, simplement déguisé. Mon père violait. Ces médias exploitent."
Le comédien suivi par presque 40 000 abonnés estime que "la violence change de costume, mais [que] la mécanique reste la même : utiliser, exposer, sans demander. Sans respecter". "Ma mère, Gisèle Pelicot, a survécu à l’enfer. Elle mérite la lumière, pas les projecteurs. Elle mérite le respect, pas les flashs", formule-t-il encore. Et de conclure, sur un ton grave : "Je demande qu’on la laisse tranquille. Qu’on arrête de parler à sa place. Qu’on lui rende ce qu’on lui a toujours refusé : la maîtrise de son récit. Et qu’on cesse enfin de faire commerce de son martyre."
C'est précisément pour avoir enfin "la maîtrise de son récit", comme écrit son fils, que Gisèle Pelicot va partager son témoignage (chez Flammarion, en France) fin janvier 2026. Avec ce livre, aussi publié dans dix-neuf autres langues, et dont le titre en anglais sera A Hymn to Life ("un hymne à la vie"), elle espère "raconter [son] histoire avec [ses] propres mots", selon sa déclaration citée dans le communiqué des maisons qui l'éditeront.
L'image et l'identité de Gisèle Pelicot usurpées par des internautes
Il sera alors de la responsabilité des médias de traiter cette sortie-événement dans le respect de son autrice, si cette dernière ne souhaite pas se livrer ailleurs qu'entre ses pages. Mais il s'agit aussi d'une responsabilité citoyenne. Sur les réseaux sociaux, hélas, certains internautes utilisent l'image Gisèle Pelicot à son insu.
L'un d'entre eux a détourné la récente trend "starter pack" - qui consiste à représenter quelqu'un à la manière d'une figure emballée avec quelques objets miniatures qui la caractérisent, grâce à l'intelligence artificielle - et a en généré un qui raconte, selon lui, Gisèle Pelicot. La septuagénaire victime de viols et de soumission chimique, amorphe aux moments de ces crimes, est représentée en pyjama, avec, à ses côtés, un appareil photo, un lit et un cachet.
"Précommande ta Gisèle", pouvait-on lire en légende de l'indécent montage, avant que l'utilisateur ne soit banni par TikTok, le 16 avril. Ce dernier avait également créé, toujours à l'aide de l'I.A, la boîte d'un jeu de société fictif, qu'il avait intitulé "Ne réveille pas Gisèle", et sur laquelle il était indiqué "1 à 50 joueurs".
Le nom de Gisèle Pelicot - qu'elle a tenu à garder car c'est à son ancien époux d'avoir honte et non à elle d'abandonner ce patronyme qu'elle partage avec ses enfants - a été aussi été utilisé à plusieurs reprises sans son accord. Car quelques jours avant l'ouverture du procès, des internautes ont constaté la popularité de l'occurrence "Gisèle Pelicot" sur Google Trends, et ont alors tenté de capitaliser dessus.
C'est la démarche d'un Indien de 27 ans, "qui ne connaît pas bien" l'affaire "des viols de Mazan", mais a acheté le nom de domaine "Gisèle Pelicot" fin septembre 2024, "pour quelques dizaines de dollars", explique-t-il simplement au service police-justice de TF1. Cela, pour "gagner de l'argent grâce à la publicité sur le site", qu'il alimente avec des articles générés par une I.A.
Plusieurs autres faux comptes sur les réseaux sociaux et sites internet usurpent l'identité de la victime. Les avocats de cette dernière ont "appelé à la plus grande vigilance" sur FranceInfo. Ils se sont dit "préoccupés au plus haut point" et "choqués a fortiori si des motivations mercantiles et malintentionnées animent les véritables auteurs". Quand laisserons-nous enfin Gisèle Pelicot tranquille ?
*Résultats de l'enquête #MoiJeune "20 Minutes" - OpinionWay, publiés en décembre 2024.