"J'ai le sentiment d'assister à des événements historiques gravissimes et irrémédiables, détaille François. Si on y ajoute la crise environnementale, c'est le désespoir complet."

Manon sent que ses "équilibres personnels sont touchés et vacillent". Nejma a l'impression "d'une bascule hystérique de l'époque qui met à mal toutes [s]es croyances". Les mauvaises nouvelles du monde nous heurtent et nous rendent vulnérables. Depuis le covid, nous allons de crise en crise, sans répit.

Comment rester confiant dans une atmosphère anxiogène ? Est-ce seulement possible ?

En plus d'une forte hausse des demandes de thérapie, Lisa Letessier constate, comme tous ses collègues, que la politique et les enjeux internationaux s'invitent comme jamais dans les séances. La première étape pour reprendre confiance, explique cette psychologue clinicienne, est "de réussir à identifier dans son anxiété ce qui relève du personnel et ce qui appartient au climat actuel. Celui-ci vient majorer nos troubles habituels. Établir cette différence permet déjà de poser la situation".

Comprendre qu'une partie de nos angoisses découle de notre sentiment d'impuissance permet de cesser de nous en vouloir de ne pas être capables d'avoir confiance en l'avenir !

Seconde étape, nous avons "la possibilité d'identifier certains leviers d'action pour renforcer un sentiment de sécurité". Pour chasser les idées maussades, repérer tout ce qui renforce la connexion à l'instant présent – donc à mille lieues des scénarios apocalyptiques – est bon à prendre. "S'entourer des gens que l'on apprécie ou se poser dans un jardin pour écouter les oiseaux renforce les réseaux positifs de la pensée", complète Lisa Letessier.

Des outils intérieurs

Si les désordres du monde et sa recomposition à venir nous plongent dans l'inconnu, les remèdes, eux, n'ont pas changé. "Je dis souvent à mes patients que ce ne sont pas ces incertitudes qui nous empêchent d'avoir confiance en l'avenir, mais la façon dont elles sont vécues. Le plus important est la manière dont nous vivons tous ces bouleversements, explique Romane Raoul, sophrologue au Mans. Quand les ressources extérieures font défaut, je m'appuie sur les ressources propres à la personne pour travailler la confiance en soi et permettre de faire face."

Les exercices de respiration et de visualisation positive constituent le socle de ses interventions. Ils sont facilement reproductibles à domicile. Par exemple, noter trois choses qui nous ont fait du bien dans la journée, ont suscité une émotion positive ou un sentiment de fierté, est très efficace.

"Cela peut paraître bateau, même débile diront certains, mais cela fonctionne pour tout le monde, à condition de le faire régulièrement", précise Romane Raoul. Sauf chez les indécrottables sceptiques.

S'éloigner des flux d'informations

Le flux incessant de mauvaises nouvelles rend compliquée la mise à distance. Via nos portables, les catastrophes nous parviennent continuellement, ce qui finit par nous enfermer dans une bulle inquiétante.

Eva, 43 ans, était devenue accro à l'info : "L'Ukraine, Gaza, Trump... Je ressentais tout le temps le besoin d'aller voir ce qu'il se passait, je suivais des comptes spécifiques pour avoir les infos en direct. Sans surprise, j'ai fini par flipper. Quand je me suis aperçue que j'avais du mal à rassurer mes enfants quand ils me posaient des questions sur ce qu'ils entendaient, cela m'a fait un électrochoc."

Elle décide de bloquer les notifications d'actualités sur son portable. Eva ne s'est pas déconnectée totalement, mais a repris la main en limitant le temps consacré aux informations. Elle les écoute désormais le matin, à la radio. "J'ai remarqué que cela avait eu un impact très concret et très rapide sur mon moral, les pensées un peu envahissantes de tragédie imminente ont complètement disparu."

L'angoisse des quadragénaires

Pour les quadragénaires et quinquagénaires, le bouleversement est d'autant plus fort qu'ils ont grandi dans un environnement politique et international stable. Cette génération, qui a été biberonnée au "plus jamais ça" après les horreurs de la Seconde Guerre mondiale et à la réconciliation franco-allemande, a cru au début d'une nouvelle ère après la chute du mur de Berlin.

Le récit des origines de l'humanité m'a permis de relativiser : aujourd'hui, nous traversons une période de crise, une accalmie finira bien par se produire, c'est cyclique.

"J'ai longtemps perçu la paix et la démocratie comme des évidences, analyse Mélanie, 48 ans. En réalisant que ce que je considérais comme la normalité était en fait une parenthèse, j'ai commencé à ressentir une vive inquiétude."

Même ses nuits en étaient teintées. En élargissant sa perspective historique, elle a réussi à prendre du recul : "Ma fille de 12 ans est une fana de mythologie grecque. Je lui ai piqué ses livres. Les dieux et les déesses passent leur temps à s'entretuer, ne reculant devant aucune crapulerie. Finalement, ce récit des origines de l'humanité m'a permis de relativiser : aujourd'hui, nous traversons une période de crise, une accalmie finira bien par se produire, c'est cyclique."

Mélanie ajoute qu'elle espère être encore de ce monde quand la roue de l'histoire recommencera à tourner dans le bon sens...

Se relier à la nature

De la même façon que nous pouvons élargir notre perspective temporelle, il nous est possible de le faire spatialement, en nous repositionnant à notre juste place : nous ne sommes qu'un modeste élément au sein de la nature. "J'ai toujours cette sensation que nous, en tant qu'individus, sommes une poussière d'étoile dans un grand tout", compare Ludivine. Mais quand cette conscience d'appartenance se fait avec le monde humain, actuellement en plein chaos, elle est source d'inquiétude.

"Je parviens heureusement à m'intégrer de plus en plus dans la nature, et c'est une source de vie incroyable, poursuit cette professeure de technologie. La nature a cette force : elle grandit, s'épanouit, meurt, renaît. En contemplant les bourgeons, je me sens appartenir aux cycles immuables de la vie."

Les délires hégémoniques d'hommes politiques deviennent ridicules. La retraite de yoga qu'elle a effectuée en février dernier a consolidé sa posture. C'était en Inde. En pleine nature, cela va de soi. Elle en ressent toujours les effets bénéfiques, car depuis son retour, elle pratique tous les matins, au moins trente minutes. "Ce qui était au début une discipline et me demandait des efforts s'est transformé en routine", se félicite-t-elle.

Le sport et l'éthique comme ouvertures sur l'avenir

Il faut ancrer les bonnes pratiques dans son quotidien, sinon la négativité du monde revient comme un boomerang. Tous les professionnels le martèlent. Qu'il s'agisse d'exercices de yoga ou de gratitude, de pause contemplative ou de travail sur la respiration... C'est grâce à la répétition que le cerveau s'en imprègne et se transforme.

François, lui, s'est mis au sport depuis six mois : chaque semaine, deux séances de piscine et un jogging. Il se tient à son programme. "Globalement, ça change beaucoup de choses, se réjouit-il. Bien évidemment, ça n'influe pas sur Poutine ou Trump ! Mais ma perception de l'avenir s'améliore... et ma consommation de tabac diminue d'autant. Alors que depuis quelque temps, j'avais tendance à justifier chaque cigarette par un "foutu pour foutu, autant s'en griller une"."

Quand les repères collectifs deviennent flous et que les discours d'intolérance saturent l'espace public, la seule boussole fiable est son éthique personnelle.

"Je n'ai pas la force, tout petit individu que je suis, de m'opposer à l'énorme machine totalitaire du mensonge, mais je peux au moins faire en sorte de ne pas être un point de passage du mensonge", écrivait Alexandre Soljenitsyne, dissident russe emprisonné au goulag au temps de l'Union soviétique.

L'aube à venir est incertaine. Mais cette résistance individuelle, dérisoire et essentielle à la fois, est en soi un apaisement.

Article publié dans le magazine Marie Claire 874, daté juillet 2025