Victoire historique et raz de marée d’euphorie : le week-end dernier, trois lettres ont été hurlées à pleins poumons, gravées sur les banderoles, crachées par les fumigènes et scandées dans tous les coins de la Capitale, alors que le Paris Saint-Germain (PSG) écrasait l’Inter Milan 5-0 à Munich et soulevait, pour la première fois de son histoire, le trophée de la Ligue des champions.

Mais au milieu de cette liesse populaire, une voix est restée plus en retrait : celle des supportrices. Pourtant, comme le rapportait une étude de la Ligue de football professionnel (LFP) et de Nielsen Sports en 2022, les tribunes tricolores sont désormais composées de 17% de femmes (contre 11% en 2013). Toujours selon la LFP, le sport au ballon rond serait devenu le préféré des femmes (un sondage paru en 2024 et relayé par Ouest-France révèle qu'elles représentent "40 % des personnes intéressées", soit la part la plus importante jamais enregistrée et un chiffre en constante augmentation, depuis le lancement de l’étude en 2008).

Comme en attestent Anoush, Émilie et Marie, elles ont été nombreuses à fêter la victoire de leur club ce samedi 31 mai 2025. Et alors même que parler foot quand on est une femme, c'est encore, pour beaucoup, se heurter à des sourires condescendants, des interruptions et des blagues douteuses, on leur a tendu le micro. Pour que les célébrations sportives ne soient plus le monopole des hommes.

"Je peux mourir en paix, j'ai vu mon club soulever la Ligue des champions"

Anoush, 31 ans, est une aficionada du PSG "depuis toujours". "Petite, Canal + était toujours branchée à la maison et je suis abonnée au club depuis de longues années", raconte-t-elle.

Ce samedi, elle était à Munich, quand son club est rentré dans l’histoire. "Je n'ai pas les mots, c’était un vrai moment de joie : toutes les générations étaient ensemble… On ressentait un mélange de fierté, de soulagement. J’ai pleuré comme si ma famille était sur le terrain, j’ai pris des inconnus dans mes bras".

J’ai pleuré comme si ma famille était sur le terrain.

Émilie, 44 ans, a fait le déplacement depuis Caen pour passer la soirée au Parc des Princes (le match y était retransmis sur grand écran). Supportrice depuis son arrivée dans la capitale en 2001, elle suit son club depuis plus de 20 ans. Avant le match, elle nous confie n'avoir "presque pas dormi pendant 10 jours".

"C’était fou, je n’avais jamais vécu un moment pareil, il y avait une espèce de communion. Après avoir connu les défaites, la douleur et les humiliations, même à 2-0, on ne s'emballait pas trop. Moi qui suis très bavarde, je n’ai pas parlé pendant le match. J’ai pleuré au 4-0 et je me suis écroulée au coup de sifflet final. Il n’y a que le PSG qui me fait ça... Je suis sur un nuage depuis, j’ai prévenu mon employeur que j’allais porter le maillot toute la semaine", rigole-t-elle.

Marie, 26 ans, est une passionnée de père en fille. Son papa, ancien ultra, lui a inculqué cet intérêt qu'elle chérit. "Je regarde absolument tous les matchs. Si on me propose un plan, mais que le PSG joue, c'est vite vu (rires). Ça me fait vibrer", explique-t-elle.

La jeune femme a choisi de regarder le match chez elle, avec son petit frère. Et tout comme Émilie, son sommeil pré-match a été perturbé par l’enjeu. "Je suis hypersensible, dès que je regardais une vidéo du PSG, je pleurais... Mais samedi, c'était dingue ce que j'ai ressenti. À partir du deuxième but, j'étais en larmes. Depuis, je suis sur un petit nuage, je peux mourir en paix, j'ai vu mon club soulever la Ligue des champions".

Le sexisme comme un obstacle persistant

Des témoignages précieux à l'heure d'une autre réalité, souvent ignorée : celle des femmes passionnées de football, mais dont la légitimité est constamment remise en question. Marie, par exemple, partage son amour pour ce sport sur les réseaux sociaux, notamment via son compte TikTok, où elle comptabilise plus de 800 000 abonnés. Pourtant, elle doit régulièrement faire face à des commentaires sexistes et moqueurs.

"On écrit que je ne suis pas une vraie fan, que je ne suis pas légitime, que je devrais retourner dans ma cuisine...", liste-t-elle. D'ailleurs, pendant longtemps, elle n'a pas embrassé cette part d'elle-même : "quand tu es jeune, tu te dis que ce n'est pas fait pour toi, que tu ne peux pas te permettre de développer cette passion, que tu vas être vue comme un garçon manqué...", ajoute Marie. Ce n'est donc qu'au collège qu'elle commence à "assumer".

"Au début, les garçons s'interrogeaient un peu. Mais à partir du moment où ils te posent les fameuses questions, type : 'C'est quoi un hors-jeu ?' et que tu sais y répondre, ils t'acceptent. Mais on est testées".

@mariendn Réponse à @stacey ? son original - Marie ?

Bien que Marie nous confie être "habituée" aux messages haineux laissés sous ses vidéos qui évoquent le foot, elle souligne que le week-end dernier, "c'était particulièrement violent. La victoire a été tellement médiatisée que les vidéos ont fait beaucoup de vues. J'ai eu des garçons qui ont dit que je faisais semblant, que j'étais une actrice, que je vivais pour les caméras... Mais aussi, des filles qui critiquaient le fait que je pleurais, en disant que c'était la honte".

Malgré tout, la vingtenaire assure passer outre. "Je dis toujours que c'est la meilleure raison pour laquelle on ne m'a jamais critiquée", rit-elle.

Faire des stades une safe place pour les femmes

Mais Marie explique surtout publier ces dernières pour ouvrir la voie à celles qui pensent encore devoir se "cacher". "Grâce à moi, des filles ont osé aller au stade et ça, ça me permet de tenir. Voir des femmes assumer leur passion pour le foot, vibrer avec nous ou même découvrir. Rien ne pourra jamais éteindre ça. Et puis, peut-être qu’un jour, ça ne surprendra plus personne qu’une fille pleure devant un match ou qu'elle connaisse l’effectif du PSG par cœur".

Cette légitimisation de la voix féminine dans le foot, c'est l'un des défis auxquels l'association Her Game Too France se confronte en s'engageant activement pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles dans les stades et pour promouvoir les profils féminins dans le monde du foot (y compris côté supportrices).

Anoush Morel (qui n'est pas "juste" fan du PSG, mais aussi la présidente de l'association, depuis l'été 2023), explique : "on travaille avec les clubs pour mettre en place des actions concrètes : campagnes de sensibilisation, formations des stadiers, mise en place de dispositifs de signal... L’idée est simple : rendre le football accessible, sûr et accueillant pour toutes et tous. Les matchs de foot féminin, eux, véhiculent déjà naturellement ces valeurs. Le public y est plus divers, plus tolérant. Mais dans les divisions masculines — Ligue 1, Ligue 2, Nationale —, ce n’est pas encore gagné partout".

Elle salue tout de même l’évolution de certains clubs. Au Parc des Princes, par exemple, "le public est très éclectique, on voit beaucoup de femmes, de mères avec leurs enfants, des familles entières. C’était impensable il y a vingt ans". Anoush Morel souligne aussi le rôle positif du Collectif Ultras Paris (CUP). "Le président est très à cheval sur le respect mutuel. Il veille. Il discute. Ça change tout".

Une recrudescence des violences sexistes et sexuelles

Mais si les avancées sont remarquées, le foot reste imprégné de masculinisme, y compris dans ses moments les plus festifs. Le 31 mai au soir, sur les Champs-Élysées, certaines femmes venues fêter la victoire ont été prises à partie. Entre harcèlement de rue, remarques sexistes et slut-shaming, agressions ou violences filmées, la fête a, par endroits, tourné au cauchemar. (À noter que les supportrices avec qui nous avons pu échanger condamnent toutes les actes de violences qui ont été observés). 

Quand les concernées dénoncent leur soirée sur les réseaux sociaux, les réponses sont quasi unanimes : "pourquoi étiez-vous dehors ?". D'ailleurs, en marge de la victoire, de nombreux utilisateurs avaient publié des vidéos aux légendes toutes plus misogynes (on vous épargne les orthographes douteuses) : "T'es une meuf et tu vas célébrer aux Champs le PSG, ça compte dans le bodycount", "Les meufs qui sont seront sur les Champs le 31, on sait déjà pourquoi vous êtes là"... 

Et cette brutalité ne s’arrête pas dans la rue. Une étude britannique de 2014 révélait que les soirs de match, les violences conjugales augmentent de 26 %, et jusqu’à 38 % quand l’équipe nationale perd. Le football, censé rassembler, devient alors un amplificateur de violences sexistes. "Le foot peut vite se faire un endroit où le sexisme est à son paroxysme", concède Anoush Morel. 

Cependant, des initiatives comme Her Game Too, les prises de parole affirmées de femmes comme Marie, qui revendique haut et fort sa passion sur les réseaux, ou encore Émilie, qui envisage de se tatouer l’étoile pour inscrire à jamais ce moment dans sa peau, montrent une chose : les femmes ne demandent pas leur place, elles la prennent.