Pour bien vieillir, on fait du sport régulièrement, on mange sain, on essaye de bien dormir. On met de la crème qui hydrate, traque les rides et combat la perte de fermeté. Et on fait parfois un petit tour chez le médecin esthétique. Est-ce vraiment à blâmer ? Vouloir conserver le plus longtemps possible une part de jeunesse fait-il de nous des complices de l'âgisme dont sont victimes les femmes, comme semble nous le dire Amanda Castillo dans son essai Et si les femmes avaient le droit de vieillir comme les hommes ?

Des impératifs esthétiques plus marqués pour les femmes

Certes, la société est rude avec les femmes, le regard des hommes est dur avec les femmes "mûres", les femmes elles-mêmes ne sont pas tendres entre elles et il est bon d'œuvrer pour que tout cela change. Mais vouloir résister au temps qui passe de la meilleure façon possible, n'est- ce pas en réalité un désir humain ? Sorti en 2022, le film de Quentin Dupieux Incroyable mais vrai permet au personnage incarné par Léa Drucker de passer dans un conduit magique pour rajeunir.

L'actrice déclarait dans le documentaire Re-belles : "Évidemment que j'adorerais passer dix fois de suite dans le conduit, comme ce personnage, c'est un fantasme. Alain Chabat aussi m'a dit : 'J'aimerais bien passer dedans !'" Car les hommes n'échappent pas non plus au désir de rester jeunes. "Personne en réalité n'a envie de vieillir", assure l'anthropologue David Le Breton, auteur d'À corps perdu... Cependant, la société est, il est vrai, plus tolérante avec les hommes, même si les choses évoluent sur le plan de l'esthétique aussi.

"On accepte mieux les rides des hommes que celles des femmes. En revanche, la bedaine et le corps mou qui marquent un certain laisser-aller passent de moins en moins bien", remarque Christine Castelain-Meunier, sociologue au CNRS, spécialiste des questions du masculin et du féminin, coautrice de Devenir écoféministe. Les modes de vie n'étant plus genrés, c'est l'identité plastique qui définit le masculin et le féminin.

"Cela en rajoute en termes de normes, d'impératifs esthétiques nécessaires pour être accepté·e dans la société. Dans un monde d'image et de communication, l'apparence permet de se présenter comme performant·e vis-à-vis de son sexe", analyse la sociologue. C'est un fait qui touche tous les âges, mais qui s'amplifie forcément quand le temps altère le corps.

Se regarder dans le miroir sans déprimer

En vieillissant, on se connaît souvent mieux, on mûrit par rapport à certaines angoisses ou situations, ce qui ne signifie pas que l'on se sente moins jeune intérieurement, bien au contraire. Il se produit même parfois une forme de libération, un lâcher-prise, qui nous offre une nouvelle forme de jeunesse. On aimerait alors peut-être que notre enveloppe extérieure, ainsi que notre forme physique et notre santé, collent avec cette intériorité fringante. "Face aux autres, on a toujours ce réflexe de demander l'âge, comme si l'état civil était la vérité absolue, alors que non. Le vieillissement est pour moi un sentiment. Il y a des personnes qui sont plus dynamiques et qui font plus de choses à 80 ans que d'autres à 50 ans", note David Le Breton.

On accepte mieux les rides des hommes que celles des femmes.

Dans l'énergie et l'argent dépensés pour se "maintenir jeune", il est question de garder un physique qui nous plaît, mais aussi bien souvent de rester en bonne santé, alerte, capable de vivre comme on le souhaite. Faire du sport régulièrement, renforcer ses muscles, ses abdos, ses os, ne sert pas uniquement le désir de conserver la ligne. Cela veut dire un corps plus souple et plus de mobilité, pour ne pas se couper d'une partie de la vie. "Il est vrai qu'avec l'espérance de vie qui s'est allongée, il y a cette idée de vivre longtemps le moins mal possible et de trouver des ressources pour y arriver", indique Christine Castelain-Meunier.

Si enlever quelques rides fait du bien au moral, pourquoi faudrait-il s'en priver ? "On cherche à lutter contre une dégradation, un affaissement, une tristesse du visage, plus que de retrouver les traits qu'on avait à 20 ans. On a envie de se regarder dans le miroir sans déprimer", constate la sociologue.

Avancer dans l'âge sans se perdre

Dans le film de Quentin Dupieux, la quête de jeunesse vire à l'obsession et au drame. La limite entre prendre soin de soi, faire ce qu'il faut pour conserver une allure jeune avec laquelle on se sent en adéquation et aller trop loin est parfois complexe à déterminer. Quand faut-il s'arrêter ? "La question est : 'Quelle hiérarchie choisit-on ?' Le danger est de placer la jeunesse tout en haut, de souscrire à cet impératif que nous impose la société et que cela nous rende malheureux.se, dépendant.e, que cela devienne aliénant, coûteux et parfois dangereux. Cela nous éloigne du bien-être, alors que c'est pourtant en son nom que l'on veut rester jeune", estime la sociologue.

Tandis que la quête de jeunesse est universelle et a toujours existé - le mythe de la fontaine de Jouvence remonte à l'Antiquité -, notre société l'a érigée en valeur suprême et c'est là que ça coince. "La vieillesse est tellement dévalorisée. On la vide de tout son sens, de l'idée de transmission, de la force qu'elle peut avoir. On ne voit que l'enveloppe extérieure. Tout ce qui peut donner sens à la vieillesse disparaît, comme si elle était 'impensée'. Alors que pour tout ce qui relève de l'âge, c'est la manière de vivre qui compte. C'est une force intérieure, un désir ardent de vivre. On est dans une société qui a du mal à produire une philosophie de vie en dehors de la logique marchande, de la rentabilité, du profit", déplore Christine Castelain-Meunier.

La vieillesse est tellement dévalorisée. On la vide de tout son sens, de l'idée de transmission, de la force qu'elle peut avoir.

C'est ainsi que, pour continuer à véhiculer une image performante au travail plus que pour elles-mêmes, certaines femmes se sentent obligées d'avoir recours à un lifting dès 45 ans. Alors oui, bouger, manger sain, faire des retouches esthétiques peut faire beaucoup de bien pour avancer en âge sereinement et en forme. Tout est question de dosage, pour réussir à naviguer dans le champ des possibles sans se perdre. "Rester en bonne santé, c'est essayer d'être autonome, de ne pas trop faire appel à des appareils, à des interventions. Or pour rester jeune, on a recours à des tas de choses. On voit bien les contradictions, les ambivalences auxquelles chacun doit faire face", estime la sociologue.

On peut se poser ces questions : "Ce que je mets en place me rend-il heureuse ? Est-ce que j'en tire un vrai bénéfice intérieur, sans oublier de profiter de la vie et de tout ce qu'elle m'a apporté comme expérience ?"

Le chanteur David Bowie disait : "Vieillir est un processus extraordinaire où l'on devient la personne que l'on aurait dû toujours être." Réussir à devenir soi-même est sûrement la plus grande des satisfactions ; une source d'équilibre et de rayonnement qui peut faire oublier les rides qui finiront par s'installer quoi que l'on fasse.