Au lendemain de l’élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis, Vivian Jenna Wilson, fille transgenre du milliardaire américain Elon Musk, a annoncé son souhait de quitter le pays.

Quelques mois plus tôt, la jeune femme de 21 ans, répondait à son père sur son compte Threads, après une interview dans laquelle il affirmait avoir "perdu son fils". Dans un tweet du 7 novembre 2024, l’homme expliquait, encore une fois, que son "fils" avait été" tué par le virus woke". "La dernière fois que j’ai vérifié, je n’étais pas morte", a répondu Vivian Wilson, ajoutant qu’elle a fait le choix de "déshériter son père" en prenant le nom de famille de sa mère.

Les propos transphobes d’Elon Musk sont fréquents, notamment déroulés dans une interview live diffusée sur Daily Wire, cet été, mais aussi sur son compte X (anciennement Twitter), réseau social qu’il a racheté en octobre 2022.

Propos transphobes, "virus woke"…

Pour Boris Manenti, rédacteur en chef du service Économie du Nouvel Obs, auteur du livre Elon Musk. Le bonimenteur (Ed. du Rocher), la radicalisation de l’entrepreneur américain, à la tête de Tesla et SpaceX, peut être datée autour de deux moments clés. D’abord, la pandémie de Covid-19 : "Il a eu quelques accrocs avec les gouvernements démocrates, et il a très mal pris l'idée de confinement. Ses proches racontent qu'il passait beaucoup de temps sur Internet, sur les sites complotistes."

Second événement, selon le biographe interviewé par Marie Claire : la transition de sa fille, en 2022, qui a participé à l’accentuation de son positionnement idéologique et à la banalisation des idées d’extrême-droite, au moment même où il a racheté Twitter. "Elle coupe les ponts avec lui, change de nom, ne veut plus en entendre parler. Pour lui, qui s’est toujours présenté comme un père exemplaire, s’affichant avec ses enfants à chaque lancement de fusée ou autre événement, c’est un point de bascule", analyse le journaliste.

Cette phase correspond à son engagement politique, au moment où il appelle à voter pour les Républicains aux élections de mi-mandat. "Il porte un projet politique conservateur contre l'immigration, contre ce qu'il appelle le 'problème démographique'. C'est un problème démographique selon les riches blancs, parce que lorsqu'on prend les chiffres actuels, il n'y a pas de vrai problème de ce type ", constate encore Boris Manenti.

Réécriture de son histoire et défense de la famille

Père de douze enfants, nés de trois unions différentes – notamment avec la popstar Grimes -, Elon Musk appelle à "faire plus de bébés", en déplacement à Stavanger, en Norvège, à l’été 2022.

Il aime d’ailleurs affirmer que son attachement à la famille est né de ses propres frustrations, d’une enfance douloureuse, avec un père autoritaire. "C’est tout le contraire : il a une enfance dans l'opulence, plutôt aisée, dans les meilleures écoles privées, beaucoup de confort matériel, des domestiques à la maison, des voyages à l'étranger", rappelle l'interrogé.

Le milliardaire a grandi en Afrique du Sud, dans un "milieu raciste et très viriliste". Un passé qui permet aussi de comprendre son positionnement actuel : "Musk est né à Pretoria, qui était le bastion afrikaner, en plein apartheid. Les afrikaners, des Blancs, extrêmes, pensaient qu'il fallait combattre les Noirs, imaginaient qu’ils s'apprêtaient à vivre une guerre civile avec eux. Il y avait cette idée un peu globale que le peuple blanc, le peuple de Dieu, devait se reproduire entre soi".

En quittant son pays natal à 17 ans, pour le Canada, où il obtient la nationalité grâce à ses origines maternelles, puis aux États-Unis, il n’a fait que réécrire son histoire, se glorifiant d’être un self-made man ayant connu la pauvreté avant de réussir en croyant à l’American dream.

Résultat ? À 53 ans, il est devenu une sorte d'icône auprès des jeunes masculinistes. S’il est difficile de dire si Elon Musk a participé à élire Donald Trump - il a donné la somme de 75 millions de dollars pour financer sa campagne -, le journaliste concède qu'il "a une image assez favorable auprès des jeunes hommes". Celle d’un entrepreneur qui a réussi à créer un business dans un pays qui l’a accueilli, en travaillant dur, jusqu’à devenir l’homme le plus riche du monde en 2021. Et est même devenu, en cette fin novembre, le plus riche de l’histoire avec une fortune estimée à 331 milliards de dollars, d’après l’indice Bloomberg.

Sur les réseaux sociaux, les messages d'admiration pleuvent, comme ce tweet du 7 novembre comparant Musk à un lion : "Elon Musk : Le Roi Lion de ??, Terre de Liberté".

La figure du mâle alpha dans la sphère publique comme privée

À cela s'ajoute un comportement sexiste et misogyne ambiant. Une fois propriétaire de Twitter, renommé X, Musk accentue son rythme de publication. Parmi les personnes controversées qu'il relaie et avec qui il s'affiche, la figure le masculiniste Joe Rogan, à la tête du podcast complotiste le plus écouté du pays.

Les propos sexistes qu'Elon Musk partage se comptent par centaines. Le 2 septembre, par exemple, il qualifiait d'"observation intéressante" la théorie sexiste d’une "République d’hommes de haut rang" dans laquelle les hommes et les femmes n’ayant pas un taux de testostérone élevé ne seraient pas acceptés.

Cette idée de mal alpha est partagée par Musk dans sa sphère privée depuis vingt ans. Dans son ouvrage, Boris Manenti rappelle les propos de la première épouse du milliardaire, Justine Wilson, qui, après son divorce en 2010, s’est confiée sur son mariage toxique dans une longue interview à Marie Claire US. "Au moment de leur première danse, il lui a fait une déclaration dans laquelle il lui a dit qu'elle devait bien prendre conscience qu'il était le mal alpha dans la relation et il faudra s'y faire. Une autre fois, il lui a dit que si elle avait été son employée, il l'aurait licenciée".

Un comportement qui cache une haute estime de lui-même, bien connu de ses proches : "Une petite blague circule sur son intimité. On dit qu'il se voit un peu comme une nouvelle incarnation d'Alexandre le Grand, qui était un grand conquérant. Cela en dit long sur sa mégalomanie et son côté très autoritaire".

Un autoritarisme sur lequel il joue constamment. Le jour de l’élection américaine, aussi présentée comme l’affrontement entre une femme, candidate démocrate, ayant fait du droit à l’avortement son combat principal, et un homme, misogyne, accusé de viols par plusieurs femmes, le 5 novembre, le propriétaire de X a bien souligné dans un tweet l'importance de la mobilisation des électeurs masculins : "La cavalerie est arrivée. Les hommes votent en nombre record. Ils réalisent désormais que tout est en jeu."

Cette vision des hommes forts qui prennent des décisions ensemble est une constante chez lui. "Il a clairement une affection pour les figures d'autorité, aime s'afficher en permanence avec des dirigeants très autoritaires", rappelle Boris Manenti. À commencer par Donald Trump, qu’il avait déjà conseillé en 2017 avant que les deux hommes ne prennent leurs distances, puis se retrouvent en juillet dernier, à la suite de la tentative d’assassinat ratée contre Trump, en Pennsylvanie. 

Au-delà des États-Unis, Musk entend avoir un poids géopolitique et échanger ses idées conservatrices avec ceux qui veulent bien l'entendre. "Ces dernières années, il multiplie les relations avec des chefs d'État étrangers pour favoriser ses entreprises, : en Hongrie, en Turquie, en Italie, au Brésil, en Inde... Et évidemment avec Vladimir Poutine avec qui il est en communication régulière. Tous ces dirigeants sont des autocrates, voire des dictateurs".

Un sexisme assumé sur les réseaux comme dans le monde de l'entreprise

Son dénigrement des femmes n’a pas de limite. Il ne craint pas non plus de s’attaquer à celles à l’immense popularité. Quand Taylor Swift a apporté son soutien à Kamala Harris, en signant sa publication Instagram en tant que "femme à chat sans enfant", début septembre, Musk lui a répondu qu’il "[lui] fera un enfant".

Dans ses entreprises, il est connu pour son management brutal (les nombreux licenciements des employés de Twitter après son rachat) et sexiste. "Quelques mois après le rachat de Twitter, il change les règles du congé maternité. Désormais, la loi par État prime, et c’est parfois très défavorable pour les employées", souligne Boris Manenti.

Ces dernières années, plusieurs femmes ont évoqué des violences sexuelles. En 2022, une hôtesse de l’air de SpaceX a affirmé qu'Elon Musk l'avait agressée sexuellement sur son lieu de travail, lui proposant un cheval contre un acte sexuel. Un accord de licenciement de 250 000 dollars aurait été signé pour acheter son silence.

En juin dernier, plusieurs anciennes employées de SpaceX l’ont accusé de harcèlement sexuel dans une enquête du Wall Street Journal. Musk aurait proposé à l'une d'entre elle de "lui faire des enfants". Son refus aurait abouti à un refus d’augmentation avant de lui demander de quitter l’entreprise avec un gros chèque en poche.

D’autres témoignages évoquent "une culture de sexisme et de harcèlement" au sein de SpaceX. Sans surprise non plus, les premiers chiffres rendus publics par Tesla, en 2023, quant à la diversité de ses employés, ont montré que les hommes étaient bien plus nombreux : huit sur dix occupaient de postes de direction en 2021.

Sa vision sexiste et conservatrice du monde se propagera-t-elle grâce à son rôle politique auprès de Donald Trump ? Boris Manenti se veut prudent. "On n’a jamais vu un patron aux États-Unis, ou ailleurs, s’investir autant sans être vraiment un homme politique qui fait campagne, tout en restant patron", débute-t-il, rappelant ensuite que leur collaboration politique pourrait être marquée par un "conflit d’intérêt", "puisqu’"il fera tout pour favoriser ses entreprises".