Sur son autel à Aphrodite, Léa a disposé des statues grecques, des bougies, des boutons de rose, des huiles parfumées et des petits coquillages... "J’en prends grand soin, je le nettoie très régulièrement, je fais attention à ce que rien ne fane ni ne périme", explique la jeune femme de 30 ans qui pratique l’hellénisme depuis trois ans.

Et à en croire les réseaux sociaux, elle n’est pas la seule... De plus en plus de jeunes vénèrent les déesses et les dieux du panthéon grec. Sur TikTok et Instagram, ils postent photos et vidéos de leurs autels et s’échangent conseils, recommandations de prières et idées d’offrandes.

Mais comment expliquer cette résurgence d’un culte vieux de plus de 2000 ans ? Qu’est-ce qui séduit tant ces jeunes adeptes et qu’y trouvent-ils ?

"Elle est pour moi comme une mère spirituelle"

"Sérénité et confiance en moi", répond Nymphéa*, 21 ans, qui a découvert l’hellénisme alors qu’elle était encore au lycée. Après plusieurs années de pratique et deux ans de réflexion, elle est devenue dévote de la déesse Perséphone.

La dévotion est une pratique exigeante qui demande de se dédier à la divinité dans la vie de tous les jours. "Je me suis reconnue dans ses énergies, explique la jeune femme. Ses épithètes [une épithète est un qualificatif représentant une facette de la divinité] résonnent en moi : Perséphone Koré la "jeune fille" lorsqu’elle incarne la fertilité, la renaissance de la nature, mais également sa facette de déesse des enfers où elle apparaît en femme forte régnant sur les morts. Elle est pour moi comme une mère spirituelle."

Je suis en recherche constante de correspondances avec elle, si je me promène dans la nature [...] je cherche ce qui évoque son énergie.

En dévote, Nymphéa cherche à inclure les énergies de la déesse dans son quotidien : "je suis en recherche constante de correspondances avec elle, si je me promène dans la nature par exemple, je cherche ce qui évoque son énergie ou ce qui pourrait constituer une offrande."

Devenir prêtresse d’Aphrodite

Après être passée, elle aussi, par la dévotion, Mytile*, 30 ans, est devenue prêtresse. Cela lui a demandé plusieurs années d’apprentissage au cours desquelles elle a nourri ses connaissances du culte d’Aphrodite et des rites antiques grâce à la lecture d’études archéologiques et historiques. Aujourd’hui ce statut de prêtresse lui permet d’officier des baptêmes ou des mariages où elle joue en quelque sorte "le rôle de pont entre la divinité et le monde moderne."

Récemment, Mytile a été contactée par des parents qui souhaitaient baptiser leur enfant pour le mettre sous la protection d’Aphrodite. À quoi ressemble un baptême helléniste ? "Nous faisons des offrandes et des libations et nous invoquons la déesse pour demander sa protection. Pour l’occasion, j'ai créé un petit talisman que l’enfant gardera en grandissant."

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Mytile organise également depuis trois ans des Aphrodisies dans le Var ou l’arrière-pays niçois. Ces fêtes en l’honneur de la déesse éponyme se déroulent durant la saison estivale "entre la mi-juin et la fin juillet" et sont l’occasion de célébrer Aphrodite grâce à des offrandes et des rites spécifiques. Certaines personnes profitent aussi de cette célébration pour lui demander une protection ou bien de l’aide dans leurs relations.

L’année dernière Mytile et un petit groupe d’adeptes se sont retrouvés aux aurores sur une plage de la Méditerranée. "Nous avons érigé un autel portatif où chacun a pu déposer des offrandes : des roses, des coquillages, des bougies et des perles..." Le groupe a ensuite procédé à des rites de purification à l’eau de mer en récitant des hymnes ou des prières dédiées à la divinité.

Dans le respect de l’héritage antique, la célébration s’est poursuivie avec une transmission des "mystères" d’Aphrodite. Ce jour-là, Mytile a distribué aux participants du pain et du sel, deux symboles de la naissance de la déesse. Dans l'Antiquité, le pain offert lors de cette initiation annuelle avait la forme d’un phallus car, comme le raconte le poète grec Hésiode dans sa Théogonie, Aphrodite est née de la castration d’Ouranos par son fils Cronos. En tombant dans la mer ses organes génitaux se sont changés en écume et de là serait née Aphrodite (en grec, aphrós signifie "écume").

Un équilibre entre le féminin et le masculin

Les disciples de l’hellénisme sont aujourd’hui en très vaste majorité des femmes. De plus, si l’on trouve des dévotes d’Arès ou d’Apollon, les cultes sont le plus souvent rendus à des divinités féminines.

De manière générale, les jeunes adeptes évoquent un espace inclusif où l’on accueille sans distinction de genre ou de sexualité. Cela suffit-il pour autant à faire de ce nouvel hellénisme une pratique féministe ? "Pour moi, c'est indéniable, estime Léa, il y a dans l’hellénisme un certain équilibre entre le masculin et le féminin que je ne retrouve pas dans les traditions monothéistes. Les déesses incarnent aussi des énergies fortes qui ne sont pas dénuées d’ambivalence ou de complexité à l’instar d’Hécate, déesse de la sorcellerie ou de Perséphone, divinité à la fois ombre et lumière, liée aux cycles des saisons."

"Un besoin de se reconnecter aux cycles de la nature"

Célébrations saisonnières, offrandes végétales, utilisation de plantes pour se purifier, divinités associées à la mer, à la forêt... Cette omniprésence de la nature dans le culte hellénistique fait-elle écho à nos enjeux modernes d’écologie et de préservation de la biodiversité ?

"Notre génération a hérité de nombreux problèmes écologiques. Nous avançons dans l’incertitude. C’est peut-être de là que vient notre besoin de se reconnecter à la nature et de lui vouer un culte", avance Nymphéa.

Ce besoin de connexion expliquerait donc en partie pourquoi de nombreux jeunes sont séduits par l’hellénisme, c’est du moins ce que semble penser Mytile. "Le polythéisme est le reflet de pratiques très anciennes où l’humain n’était pas seulement connecté au sacré, mais aussi à la nature, à ses cycles et à ses mouvements. Il offre une autre approche du monde", explique-t-elle en conclusion.

*Leurs surnoms sur les réseaux sociaux