Elle fait son entrée en politique en même temps que son entrée au Gouvernement Castex. Élisabeth Moreno, femme d'affaires franco-capverdienne, âgée de 49 ans, et sans étiquette partisane, a été nommée lundi 6 juillet ministre déléguée chargée de l'Égalité femmes-hommes, la Diversité et l'Égalité des chances.

Elle remplace ainsi Marlène Schiappa, auparavant secrétaire d'État sur ces sujets, nommée, elle, ministre déléguée auprès du ministre de l'Intérieur, en charge de la Citoyenneté. 

Depuis l'hôtel parisien du Petit Monaco, Marlène Schiappa a donc passé le flambeau, ce mardi 7 juillet, à Élisabeth Moreno. Une remplaçante qui, elle en est "persuadée", saura porter "haut les couleurs de ces enjeux".

"Je considère que l'égalité entre les femmes et les hommes constitue certainement l'un des plus beaux combats de notre époque et de la vie politique", a déclaré ensuite la nouvelle ministre, avant d'ajouter qu'il ne s'agit "bien évidemment pas de bataille des sexes". Une remarque vue comme un retour en arrière pour de nombreuses militantes féministes. 

Un parcours brillant dans la Tech

Élisabeth Moreno, inconnue du grand public, est cependant une figure du milieu des entreprises technologiques. Elle occupe le poste de directrice générale de la multinationale d'informatique HP (Hewlett-Packard Company) pour l'Afrique depuis janvier 2019. 

Sa carrière dans la tech démarre en 1998, lorsqu'elle rejoint France Télécom. Dans le groupe de télécommunications français, devenu "Orange", elle pilote le département ventes PME-PMI (petites et moyennes entreprises, petites et moyennes industries).

Ça tourne !

Débauchée en 2002 par le groupe informatique Dell, elle y restera une décennie avant d'intégrer le groupe chinois numéro un mondial du PC Lenovo, et d'en prendre la direction, en France. "C’est une patronne exceptionnelle, rigoureuse, dévouée et avec un sens inouï de l’écoute de ses collaborateurs", s’enthousiasmait en juin 2019 Olivier Robinne, son mentor chez Dell, alors qu'il était interrogé par Le Figaro.

"Des parents qui ne savaient ni lire ni écrire"

"Si on m’avait dit un jour, de mon petit Cap-Vert natal, que j’aurais la situation professionnelle que j’ai aujourd’hui et que j’aurais la chance d’inspirer les autres... Je n’y aurais pas cru", analysait-elle, en 2018, dans un élogieux portrait dressé par La Tribune. "Je cochais toutes les cases de l’impossibilité : des parents qui ne savent ni lire ni écrire, une femme, noire, élevée dans une cité", résumait-elle aussi, émue, cette fois dans un long portrait réalisé par le Figaro, un an avant sa nomination au Gouvernement. 

Le père, qui travaille sur des chantiers, la mère, femme de ménage, leur fille Élisabeth, alors âgée de 6 ans, et leurs cinq autres enfants, quittent le Cap Vert et émigrent en France en 1977, parce que l'une de leur fille a besoin de soins en urgence. Gravement brûlée après un accident domestique, la petite sœur d'Élisabeth Moreno restera deux ans à l'hôpital.

Je cochais toutes les cases de l’impossibilité : des parents qui ne savent ni lire ni écrire, une femme, noire, élevée dans une cité

Installée dans un HLM en Essonne, la famille vit deux autres drames. Son autre petite sœur tombe par la fenêtre de leur domicile. "Ensuite, notre maison a brûlé", rembobine douloureusement la patronne de la tech, par ailleurs mère de deux filles, aujourd'hui âgées de 15 et 30 ans.

Adolescente, ses professeurs pensent l'orienter vers un CAP, mais Élisabeth Moreno obtient un bac littéraire, dans l'espoir de devenir avocate. Engagée alors dans des études de droit, elle décroche un maîtrise en droit des affaires et entame une carrière de juriste. Puis monte à l'âge de 20 ans une PME dans le bâtiment, avec son premier mari. Leur entreprise emploie jusqu'à une trentaine de collaborateurs. Une expérience qui lui fera découvrir son "don et (s)a passion de résoudre des problèmes compliqués".  

Simone Veil pour modèle

Mais avec un tel parcours, on s'interroge alors : pourquoi Élisabeth Moreno n'a-t-elle pas été promue au ministère du Numérique ? Le poste de ministre chargé du Numérique a tout bonnement disparu depuis ce remaniement ministériel.

S'est-elle engagée, dans sa carrière, en faveur de l'Égalité femmes-hommes, cause centrale de son nouveau poste ? Celle qui se qualifie de "féministe", qui confie avoir Simone Veil pour modèle - toujours auprès du Figaro - dénonçait en tout cas le 4 juillet dernier le manque de profils féminins dans le secteur de la tech.

"Si on laisse les technologies se construire uniquement avec des valeurs masculines, on aura des exemples malheureux (…) où les machines deviennent racistes, misogynes, exclusives", déclarait-elle, en visio-conférence depuis Johannesburg, aux rencontres économiques organisées par le Cercle des économistes, comme le relève Le Monde. Élisabeth Moreno est d'ailleurs membre du Cercle InterElles, qui réunit les réseaux féminins d'entreprises de la technologie.

Mais depuis sa nomination, certaines autres déclarations de sa part ont ressurgi, en laissant plus d'une perplexe. Le HuffPost rapporte par exemple qu'en 2018, lors d'un entretien accordé à l'école de commerce Groupe Ionis, la nouvelle ministre déléguée disait ne "surtout pas vouloir que les hommes se sentent gênés, car ils auraient le sentiment qu'il y en a que pour les femmes !".

Elle ajoutait : "Les blagues à la machine à café sont très importantes, car il ne faut pas qu'on se sente verrouillé et qu'on ne puisse plus s'exprimer. Je ne veux pas d'un climat de défiance où le sexisme met tout le monde mal à l'aise et où chacun mesure constamment chaque mot qu'il utilise".

Et le média d'enfoncer le clou, avec une autre de ses réflexions : "En France, deux femmes dirigent les deux plus grands constructeurs informatiques PC, Pascale Dumas chez HP et moi-même (...). Plus vous en montrerez, plus les femmes réaliseront que c’est possible (...) Et ce ne sont pas des exemples de femmes qui se sont 'masculinisées '! Nous avons toutes des enfants". Ou quand les stéréotypes de genre ont, partout, la vie dure.