Après l’avoir emporté face à Kamala Harris à l’issue d’une campagne présidentielle tumultueuse, Donald Trump deviendra officiellement le 47e président des États-Unis en janvier 2025. Un second mandat que personne n’aurait imaginé en janvier 2021, quand ses partisans envahissaient le capitole de Washington pour contester l’élection de Joe Biden.

Romuald Sciora, chercheur associé à l’IRIS et directeur de l’Observatoire politique et géostratégique des États-Unis de l’institut, joint depuis New York, nous annonce d’emblée que "ce mandat s’annonce très différent" car "Trump n’est plus le même qu’en 2016".

"Donald Trump est un idéologue qui croit profondément en ce qu'il dit, qui a une vision plus élaborée de ce qu'il veut faire pour l'Amérique, qui est entouré d'une équipe plus radicale, plus sérieuse, unifiée autour du fameux 'Projet 2025' avec un agenda pour radicalement changer les États-Unis", nous explique-t-il. 

Quels effets craindre pour nous, Français.e.s et Européen.ne.s ? 

Marie Claire :Emmanuel Macron a été le premier dirigeant européen à féliciter Donald Trump sur X (ancien Twitter), le 6 novembre. Leur collaboration sera-t-elle similaire à celle établie entre 2017 et 2021 ?

Romuald Sciora : Les relations Macron-Trump vont être très différentes. Premièrement, lorsque Macron a été élu, il était encore un jeune président qui bénéficiait d'une popularité importante en France et en Europe. Étant à l'opposé sur l'échiquier politique de Trump concernant les idées, Macron s'est employé à séduire cet homme, à le flatter, afin de pouvoir tenter de coopérer un minimum avec son administration. Cela a fonctionné et il y a eu une forme de complicité.

Trump a une façon de diviser le monde. Il y a les chefs d'État dominants comme Poutine, Xi Jinping, Kim Jong-un, avec qui il traite d'égal à égal. Il y a les chefs d'État qui lui paraissent être plus ou moins soumis ou à la tête de pays "moindres" et qui le regardent un petit peu de haut. Il y a les chefs d'État des pays qui l'appellent des "pays de merde", qu'il dédaigne. Et puis il y a les chefs d'État des puissances d'importance, mais secondaires avec qui il peut entretenir des relations plus ou moins ambiguës en fonction de la personne. En l'occurrence avec Emmanuel Macron, une relation un peu paternaliste.

Les relations Macron-Trump vont être très différentes.

Désormais, Macron est dans une position beaucoup plus affaiblie au plan intérieur, mais également au plan extérieur. Si on regarde l’Union européenne, la locomotive de l'Europe aujourd'hui, ce n'est plus le couple franco-allemand, c'est l'Allemagne. Macron est diminué sur la scène politique internationale.

En parallèle, Trump s'est absolument radicalisé. Cette fois-ci, leur situation personnelle les opposera encore plus, et surtout la situation internationale. Durant le premier mandat de Macron et de Trump, il n'y a pas eu de crise internationale majeure qui pouvait opposer deux pays alliés et très proches. Ce coup-ci, les choses sont très différentes sur le plan économique, car les choses ont changé depuis la pandémie de Covid. Concernant les dossiers internationaux, comme l'Ukraine, tout oppose Macron et Trump.

Vous sous-entendez que les relations entre les États-Unis et l’Europe risquent de devenir de plus en plus complexes. Plus généralement, comment cette présidence peut-elle peser sur l’Europe ? Et dans quels secteurs : l’économie, l’écologie... ?

Sur le plan écologique, il n’y aura pas de grands changements par rapport à la première présidence Trump. Il va encore quitter l'accord de Paris sur le climat. Trump va financer et soutenir l'exploitation des énergies fossiles. On se retrouvera donc dans une situation similaire.

Par contre, les tensions seront accentuées par des tensions commerciales beaucoup plus agressives à l'égard de l'Union européenne. Sa politique commerciale, de taxes, va être beaucoup plus agressive à l'égard des Européens. Et là, effectivement, il pourrait donc y avoir des accrochages sérieux avec Macron.

Donald Trump s’est engagé à "régler" et à intervenir dans les conflits internationaux, en Ukraine et au Moyen-Orient. Quelles actions concrètes s’apprêtent-ils à prendre une fois en poste ?

Nous allons sans doute, et ça a déjà commencé d'ailleurs, être témoins d'un rapprochement entre la Russie et les États-Unis. Donc, il risque, sur le dos des Européens, de faire des cadeaux à Poutine. Il a promis de régler le conflit ukrainien "en 24 heures". Je ne sais pas s’il le fera en 24 heures, mais il le fera en quelques jours, en quelques semaines.

Il va pousser Volodymyr Zelensky à traiter dans des conditions très défavorables par rapport à celles dans lesquelles il aurait pu le traiter au printemps 2022 ou à l'automne 2022, lorsque l'Ukraine avait marqué quelques points, et les concessions sont connues de tous : la Crimée va être donnée aux Russes, le Donbass également…

Mais Trump va mettre des pressions très importantes dans le deal qu'il va faire avec Poutine pour que l'Ukraine entre dans l'Union européenne. Cela sert les intérêts des États-Unis parce que l'Ukraine entrant dans l'Union européenne pourrait déséquilibrer l'Union.

Pour le Proche-Orient, c’est différent. Bien sûr, Benyamin Netanyahou va avoir carte blanche pour ce qui est du conflit à Gaza, de la guerre au Liban, et surtout pour la poursuite des colonisations.

Pour ce qui est de l'Iran, Trump mettra un frein aux velléités guerrières de Netanyahou. Une guerre de haute intensité entre l'Iran et Israël pourrait déclencher une crise autour d'énergies comme le pétrole, et donc une crise financière et économique mondiale. Donc même s'il est responsable de ce qui se passe, puisque c'est lui qui a quitté le deal iranien il y a plusieurs années, il fera tout pour qu'il n'y ait pas une guerre de haute intensité. 

En parallèle de l’élection présidentielle, des référendums ont eu lieu dans certains États pour renforcer le droit à l’avortement. C’est le cas dans l’Arizona ou l’État de New York. Les mesures sociétales que Trump pourrait prendre, notamment à l’encontre des droits reproductifs et des droits des femmes en général, pourraient-elles se faire ressentir à l’international ?

Trump n’a pas de pouvoir pour nuire directement à ces droits en dehors de son pays. En revanche, il est possible de parler de révolution culturelle. Aux États-Unis, la droite radicale est vraiment une droite crypto-fasciste.

On le voit dans certains États comme la Floride où le gouverneur a interdit dans toutes les écoles et universités publiques l'enseignement de la théorie critique de la race ou de la théorie du genre. Il veut l'étendre et y arrivera dans les universités privées de Floride. En Louisiane, à partir de janvier 2025, dans toutes les écoles, les "10 Commandements" seront affichés sur les murs.

Avec une Cour suprême majoritairement républicaine, il est tout à fait possible de revenir sur les droits LGBT, sur le mariage gay, comme ils l’ont fait pour le droit à l’avortement avec la révocation de Roe v. Wade. Quant à l'avortement, des États progressistes veulent le faire entrer dans leur Constitution, mais il se pourrait que la Cour suprême l’empêche.

Surtout qu'au cours de son mandat, Trump pourrait nommer deux autres juges à la Cour suprême qui deviendrait totalement de droite radicale et là, le droit à l'avortement pourrait être totalement interdit au niveau fédéral.

Est-ce que cela aura une influence à l’international ? Regardez l’impact de la révolution du wokisme venu des États-Unis vers l’Europe. Donc même si Trump n'a pas de pouvoir décisionnel sur ce qui peut se passer au niveau sociétal en Europe, il y aura des répercussions.

Les États-Unis ne vont pas se retrouver sous une dictature dans quatre ans, mais il est certain que dans deux ans, les États-Unis ressembleront plus à la Hongrie d'Orban, voire pire, à la Turquie d’Erdogan, qu'à l'Amérique de Kennedy.