Judith Godrèche l'a annoncé sur son compte Instagram le 19 novembre 2024. Elle est mise en examen pour diffamation par le réalisateur Jacques Doillon, contre qui elle a porté plainte en février dernier pour viol sur mineur.

Elle l'accuse de l'avoir violée en 1989 sur le tournage du film La Fille de 15 ans. Le réalisateur est depuis visé par d'autres plaintes pour viols et tentative de viol.

La comédienne, qui a participé à lancer le mouvement #MeToo dans le milieu du cinéma en France, en dénonçant d'abord l'emprise qu'a exercé sur elle le réalisateur Benoît Jacquot, quand elle était encore mineure, écrit : "Je n’ai pas compté le nombre de plaintes pour viols et agressions sexuelles déposées contre Jacques Doillon. Je sais bien que la mienne est prescrite. Mais sa plainte en diffamation ne l’est pas". 

Avocate féministe et cofondatrice de l’association Stop Fisha, Rachel-Flore Pardo, engagée dans la lutte contre les violences sexistes et sexuelles, vient de participer à l'écriture du "Rapport au gouvernement sur les violences sexistes et sexuelles sous relation d’autorité ou de pouvoir - Agir contre ce fléau trop longtemps ignoré", remis le 18 novembre.

Elle décrypte pour nous les enjeux de ce concept juridique de diffamation.

La diffamation pour "faire valoir ses droits et intérêts"

Marie Claire : Judith Godrèche est visée par une plainte pour diffamation. En quoi consiste une plainte en diffamation ? Que vise la personne qui porte plainte, dans ce cas-là, Jacques Doillon ?

Rachel-Flore Pardo : La diffamation correspond à toute allégation ou amputation d'un fait qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération d'une personne.

Ça tourne !

Dans ce cas, Jacques Doillon estime que certains propos de Judith Godrèche portent atteinte à son honneur ou à sa considération. Il tente donc, à travers cette action en diffamation, de faire valoir ses droits et ses intérêts.

Pour évaluer cette plainte, quels éléments la justice prend-elle en compte ?

La justice prend en compte d'un côté le fait qu'il s'agisse d'un fait précis qui vise une personne nommée ou identifiable, qu’ils s’agissent de propos publics et que ces propos portent atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne.

De l'autre côté, la justice prend également en compte la bonne foi de la personne qui s'était exprimée, en posant certaines questions : "Est-ce que cela participait à un débat d'intérêt général ?", "Est-ce qu'il y avait du contradictoire ?", "Est-ce qu'il y avait une prudence dans l'expression et une enquête suffisamment sérieuse qui avait été réalisée ?"

Une mise en examen automatique

Judith Godrèche écrit dans sa publication Instagram que la plainte en diffamation n’étant pas prescrite, elle se retrouve de fait mise en examen. Comment expliquer cette conséquence ?

Il y a une automaticité de la mise en examen dans les procédures du droit de la presse. Le droit de la presse a une procédure qui diffère des procédures de droit commun.

En effet, concernant le cas de Judith Godrèche, les faits qu'elle dénonce sont peut-être en partie prescrits. L'action en diffamation qui est diligentée contre elle ne semble pas l'être.

Il faut garder en tête que lors d'un procès en diffamation, il y a un débat sur la réalité des faits visés comme étant diffamatoires. Ce sera peut-être aussi l'occasion, pour Judith Godrèche, d'avoir, en quelque sorte, le procès, qui n'aurait peut-être pas eu lieu autrement, de celui qu'elle accuse [Jacques Doillon, ndlr].

Que risque-t-on lorsqu’on est visé par une plainte pour diffamation ?

L’article 32 de la loi de la presse de 1881 prévoit que la diffamation commise envers des particuliers est punie de 12 000 euros d'amende.

Un procédé courant face aux accusations de violences sexuelles

Recourir à la plainte en diffamation est fréquent dans les affaires de violences sexuelles, même systématique, cela a été le cas dans l’affaire PPDA par exemple. Pourquoi ?

Quand ceux qui sont accusés disent que les faits sont faux, la stratégie de défense consiste souvent à déposer une plainte en diffamation. C'est la façon judiciaire de contester les faits reprochés.

Face aux accusations de violences sexuelles, on a parfois appelé ces procédures des "procédures baillons", parce qu’elles visent à dissuader les victimes de prendre la parole et de dénoncer les faits qu'elles ont subis.

En mars 2024, la Cour de cassation a essayé d'établir une conciliation particulièrement délicate entre le respect de deux principes que tout oppose : d’un côté, la liberté d'expression, le droit pour une victime d'exposer son cas, et de l'autre côté, la protection des droits des citoyens, le droit toute personne le droit de ne pas être diffamé.

Cette décision est survenue dans le cadre d'une affaire concernant des propos prononcés par Alexandra Besson [à propos de Pierre Joxe, ndlr] et Sandra Muller [à propos d’Eric Brion, ndlr]. La cour a apporté des précisions sur la notion de débat d'ordre général et le droit à la parole des femmes, notamment dans le cas de dénonciation de faits de violences sexistes et sexuelles.

La Cour de cassation a confirmé la relaxe d'Alexandra Besson et de Sandra Muller, considérant que leurs propos avaient une base factuelle suffisante pour caractériser la vraisemblance des faits visés, et qu’ils contribuaient à un débat d'intérêt général sur la dénonciation de comportements à connotation sexuelle de certains hommes vis-à-vis des femmes, de nature à porter atteinte à leur dignité.

Dans ce cas-là, le débat d'intérêt général est évidemment lié au mouvement #MeToo : les propos participent au débat d'intérêt général en contribuant à dénoncer les violences faites aux femmes. Ainsi, Alexandra Besson et Sandra Muller n’ont pas été condamnées pour diffamation.

Attention tout de même, la notion de base factuelle suffisante étant nécessairement attachée au cas précis dont il est question, la Cour de cassation ne s'est pas prononcée de façon absolue.