Nous sommes toujours plus nombreuses à guetter le weekend pour rattraper les petites nuits de la semaine. À en croire les experts, ces grasses matinées rituelles seraient toutefois loin d’être une panacée.
"La crise Covid a modifié profondément l'hygiène de sommeil collective. Nos nuits sont massivement impactées dans leur régularité et leur durée", explique le Professeur Pierre Philip (@pr.philip), chef du service de Médecine du Sommeil et responsable d’unité santé numérique SANPSY (Sommeil Addiction, Neuropsychiatrie) au du CHU de Bordeaux.
Les gens se lèvent toujours aussi tôt pour aller au travail ou s’occuper des enfants, mais se couchent de plus en plus tard. Certains font des heures supplémentaires après dîner, télétravail oblige. D’autres se noient jusqu’au bout de la nuit dans la lumière bleue des écrans (réseaux sociaux, séries télévisées). Du lundi au vendredi, s’installe alors une véritable dette de sommeil, qui s’alourdit chaque jour davantage.
Une épidémie de "jetlag" social
Pour corser le processus, quand arrive enfin le week-end, on ne modifie pas l'heure du coucher mais on se lève beaucoup plus tard, histoire, croit-on, de récupérer. Bien sûr, cela ne suffit pas : "s'il vous manque une à trois heures de sommeil par jour sur cinq jours, vous ne les rattraperez certainement pas en deux nuits", constate le Professeur Philip.
Mais en plus, on se retrouve généralement le dimanche soir avec une incapacité de s'endormir. Une insomnie qui nous fait démarrer la semaine fatiguée, dès le lundi matin. "Une fois installé, le cercle vicieux abîme nos cycles circadiens ; on court en permanence après le sommeil", déplore l’auteur de l’ouvrage pratique Réapprenez à dormir (Albin Michel).
Ce "jetlag social" est, selon le pro, l'ennemi numéro 1 du sommeil. Le décalage tant décrié entre le rythme de la semaine et celui du week-end est malheureusement alimenté par des fausses croyances et par un réel manque de connaissances autour du sommeil.
La dette de sommeil ou l’illusoire sommeil de rattrapage
"Les gens évaluent mal leur besoin de repos. Quand, en semaine, ils dorment six heures, et en week-end, neuf, ils en déduisent avoir besoin de ces neuf heures tous les jours pour se sentir bien. Or, ce temps est faussé car il est déterminé par la dette de sommeil", précise le Pr. Philip.
D’après le médecin et psychiatre, un adulte, entre 25 et 65 ans, a besoin, grosso modo, d’au moins sept heures de sommeil par jour, soient 49 heures par semaine, réparties le plus régulièrement possible. Sous ce seuil, les risques pour la santé sont nombreux : prise de poids, problèmes gastro-intestinaux, obésité, diabète, hypertension, maladies cardiaques, immunité altérée, hausse de l’inflammation dite de bas grade… sans parler de la baisse des performances et de l’impact sur la psyché (tendances dépressives, en tête).
Par ailleurs, ce "sommeil de rattrapage" ne permet pas de vraiment récupérer les heures de sommeil perdues. La stratégie peut fonctionner ponctuellement, pour compenser une carence sur une nuit ou deux… mais guère plus.
"À moins d'être urgentiste, policier, militaire et autres professions en travail dit 'posté', il faut fuir ce genre de rythme. Le manque de repos profond, chronique, constitue une contrainte de vie énorme. Le sommeil ne se fournit pas à la demande. Si vous le maltraitez, il vous le rendra au centuple", prévient le médecin.
Un sommeil de nature différente
Même son de cloche du côté de la Professeure Chin Moi Chow. Dans une étude de 2020 reliant sommeil et bien-être, la chercheuse à l’Université de Sydney (Australie) estime que récupérer le sommeil en retard ne compense pas exactement le repos perdu.
Selon elle, le corps réagit au manque de récupération par une "pression de sommeil" : plus celle-ci augmente avec la déprivation, moins nous pouvons résister au sommeil. Nous y cédons dès qu’une opportunité se présente (par exemple le repos extensible du week-end). Malheureusement, les épisodes de sommeil prolongé de cette nature ne suffisent pas à éponger la fatigue chronique. Ce sommeil de rattrapage impacte par ailleurs notre mémoire : nous entrons rapidement en sommeil profond mais nous loupons l’étape qui nous fait transformer les souvenirs précaires en une forme plus stable.
"Notre sommeil ne répond pas à un bilan comptable. On ne peut pas dire qu'une heure de manque de sommeil par nuit pendant une semaine, représente 7 heures de carence", complète Marie Borrel, auteure avec le Dr Yann Rougier de Ma bible de la chronobiologie, (Leduc). "Le fait de ne pas assez dormir creuse le lit de la fatigue, installe une nervosité chronique qui perturbe encore davantage le sommeil, ce qui peut aboutir à des troubles parfois sérieux".
Un auto-diagnostic aléatoire
Et inutile de chercher des signes qui vous alerteraient sur votre dette de sommeil, à en croire le Pr Philip. "La plupart des gens sont incapables de ressentir objectivement le manque de repos. Ils imaginent souvent être anxieux, voire friser le burn out, plus tôt que d'identifier la fatigue liée à leur hygiène de vie. Or, le seul comportement bénéfique, c’est de dormir correctement, au long cours", cadre l’expert.
Les règles d’or pour prendre soin de son sommeil selon lui ? Régularité, durée, qualité.
En sus d’instaurer une constance de l'heure de coucher et de lever, on soignera la qualité du sommeil avec une bonne literie, une chambre suffisamment fraîche, pas d'alcool, de tabac et d'excitants, etc. Pour atténuer les difficultés de sommeil, le pro conseille de respecter la règle des 17 heures de veille minimum.
"Se coucher trop tôt peut perturber notre rythme ; la durée de veille ne sera pas suffisante pour assurer une profondeur de sommeil réparatrice, donc une nuit complète". En bref : si on se lève à 7h du matin, on évite de se coucher avant 22h30 ou 23 h.
Autre conseil du médecin : tenir un agenda de sommeil afin de faire le point sur nos habitudes. "Les personnes qui se monitorent se plaignent moins du manque de sommeil. Le nombre de leurs bonnes nuits augmente", observe l’expert. Et de préciser que ce monitoring est largement optimisé par les applis (plusieurs versions à télécharger sur son compte instagram @pr.philip). Une étude de décembre 2022, parue dans le Journal of Clinical Medecine montre ainsi l’efficacité de Kanopee, versus l’agenda de sommeil en version papier : ceux qui utilisent l’appli développée par le CNRS gagnent 55 minutes de sommeil perçu par nuit, contre 13 minutes pour les seconds.
Inégaux face au sommeil… et à la dette de sommeil
Petits et gros dormeurs, dormeurs du matin ou du soir... "Chacun de nous possède un rythme de sommeil qui lui est propre et qu'il vaut mieux respecter", nuance Marie Borrel.
"Certains supporteront bien de dormir peu pendant plusieurs nuits d'affilée, alors que d'autres se sentiront épuisés après une seule nuit insatisfaisante. C'est donc à chacun de prendre son sommeil en main, d'apprendre à l'évaluer et de concocter un programme pour l'améliorer au quotidien".
À ce programme, peuvent figurer des corrections alimentaires, de l'exercice physique, des relaxations, des respirations, des plantes médicinales, des huiles essentielles, des massages… Dans tous les cas, la solution est toujours multifactorielle. Il n'existe pas de solution miracle aux problèmes de sommeil. Il vaut mieux associer plusieurs gestes simples qui, ensemble, grâce à leur synergie, apporteront de meilleurs résultats. Et consulter des professionel.les.
Parfois, consulter s’impose
"Les personnes qui sont en dette de sommeil à cause d’erreurs de comportement de type jetlag social pourront se recaler en 3 à 4 semaines", estime le Pr. Philip.
La musique n’est pas la même pour les profils qui ont commencé à développer des plaintes insomniaques depuis au moins 3 mois, à fortiori en présence d’une anxiété anticipatoire (la peur de ne pas dormir).
"Ceux-là auront besoin de beaucoup plus de temps. Certains devront consulter pour enrayer le contexte anxiogène et les risques dépressifs", considère le soignant. Le conseil reste valable quand on soupçonne que le problème de sommeil est lié à un autre facteur (ronflements, syndrome des jambes sans repos, narcolepsie, hypersomnie, apnée du sommeil…).
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