Elle aurait pu être reléguée et enterrée au rayon des années 2000, mais c’était sans compter le revival Y2K qui ne cesse de submerger les tendances contemporaines. Label fétiche des âmes d’artistes à la dégaine bohème et des enseignantes du secondaire, Desigual semble renaître de ses cendres via un comeback savamment orchestré.
Car il faut s’en souvenir, la griffe anticonformiste, née dans les ruelles du Raval à Barcelone, était passée d’un succès retentissant — elle enregistrait 1,1 milliard d’euros de chiffre d’affaires en 2014 — à un effondrement en bonne et due forme face à une crise du covid-19 qui n’a pas arrangé les choses.
À l’heure de l’athleisure et du sportswear en tout genre, les robes patchworks et les vestes multicolores peinaient à trouver leur place dans une industrie de la mode désormais dictée par la Gen Z et les réseaux sociaux. C’était sans compter la résilience de Desigual, bien décidée à faire de son slogan phare, "La Vida Es Chula" ("la vie est cool" en français), un véritable mantra.
Dès 2021, la marque opère ainsi une restructuration stratégique majeure et commence par un signal fort : retourner son logo, comme un geste de remise en question. "Nous avions pris beaucoup de retard en matière d’innovation. Nous voulions reconnecter avec le public et redevenir pertinents sur le marché", confesse alors Thomas Meyer, fondateur et propriétaire de la marque. Avant d’opérer un virage à 360 degrés sur plusieurs plans.
Nouveau look pour une nouvelle vie
D’abord, une révision stylistique. Exit le maximalisme à outrance : les coupes ont été épurées, la palette chromatique apaisée et l’ADN général modernisé. La collection printemps-été 2025 fusionne ainsi esprit nineties, sensualité et humour second degré, comme le montre la campagne Funshion. Taken Seriously, incarnée par Amelia Gray.
La mannequin y évolue dans un décor de studio, sirotant un matcha entre deux poses, entourée de coiffeur-euse-s, d’un chat star et de détails volontairement absurdes. Des T-shirts affirment "I like Who I Am" ou 'I Never Thought I'd Wear Desigual".
Les tenues, elles, alternent transparence et denim texturé, robe dégradée et dentelle noire. Bref, sans renier son audace originelle, Desigual se dévoile dans une nouvelle version ancrée dans l’air du temps. Son secret ? De Maitrepierre à Stella Jean, en passant par Collina Strada ou Tyler McGillivary, la chaîne multiplie les collaborations avec de jeunes designers émergents, voire carrément confidentiels, mais aussi avec des studios créatifs comme Matière Noire pour scénographier ses défilés. Comme lors du show anniversaire de ses 40 ans, organisé à Barcelone sur le rooftop du siège de la marque qui fait face à la mer, avec un catwalk miroir de 100 m, un casting cinq étoiles et une collection Reflections SS25 pensée comme une réinterprétation moderne de ses archives.
Résultat ? Les pièces de la griffe s’invitent sur le dos des idoles d’hier et d’aujourd’hui, comme Rosalía, Madonna et Hari Nef.
Une identité mode engagée
En résumé, Desigual cherche plus à séduire les cool kids que les profs d’arts plastiques, avec une mode qui parle à une génération ultra-connectée (et engagée) intéressée autant par la forme que le fond. Pour y parvenir, la marque a investi TikTok, peaufiné ses campagnes sur Instagram et misé sur des micro influenceur-euse-s à forte identité, tout en exaltant ses engagements en faveur de l’inclusivité et de l’environnement. De nouveaux piliers structurants, qui se traduisent par l’utilisation de matériaux durables et des messages visant une communauté plus que jamais en quête de self expression.
Dans la campagne Not a Doll, par exemple, réalisée par Waylon Bone avec l’actrice espagnole Ester Expósito, la marque met en scène une héroïne moderne, libre, imparfaite, qui enchaîne les auditions à Hollywood, les fêtes au bord de piscine et les souvenirs de salsa sous les palmiers. Les slogans brodés sur les T-shirts, "Not a Doll" ("pas une poupée" en vf) incarnent un message générationnel fort, dans la continuité du discours viral d’Ester Expósito contre les injonctions faites au corps des femmes. "Je m’habille pour moi. Je ne suis pas une poupée", martèle-t-elle.
Problème ? Les photos ont été diffusées en même temps que le mouvement contre les violences transphobes avec le T-shirt – devenu viral - Protect The Doll créé par l'Américain Conner Ives. Certain-e-s internautes ont donc accusé la marque d’instrumentaliser un message d’empouvoirement au détriment d’une lecture inclusive.
"Chez Desigual, nous avons toujours cru en la célébration de tous les styles. La campagne Not a Doll consiste à briser les stéréotypes, à être soi-même, audacieuse, authentique et sans compromis", a déclaré la marque, tout en réaffirmant son soutien à la communauté trans.
Un épisode qui rappelle à l’enseigne qu’elle doit se garder de toute forme de récupération politique à des fins marketings en dépit des bonnes intentions affichées. Rester désirable sans trahir son identité ni la population qu’elle prétend cibler, tel sera finalement son défi pour continuer à exister.