Sixième femme à avoir fait son entrée au Panthéon en novembre 2021, Joséphine Baker a marqué l'histoire de bien des façons. Tour à tour chanteuse, danseuse, actrice, meneuse de revue et résistante, elle est devenue une figure de lutte contre le racisme et pour l'émancipation des Noir.es. Mais ces combats n'ont pas toujours été simples à mener : parce que femme et noire, Joséphine Baker s'est elle-même conformée à des standards de beauté occidentale au cours de sa carrière. En témoigne sa coiffure emblématique : des cheveux lissés, plaqués, gominés. 

L'esclavage, point de départ de l'injonction au cheveu lisse occidental  

Avant d'arriver aux années 20 - période durant laquelle Joséphine Baker a rencontré le succès qu'on lui connaît - il faut un peu remonter le fil de l'Histoire pour comprendre comment la star en est arrivée à défriser ses cheveux crépus. Avant l'horreur de l'esclavagisme, le cheveu est pour les Africain.es un moyen de transmission, de communication, mais aussi un indicateur social. Il est chéri et soigné, mis en valeur. L'esclavage va anéantir tout cela en voulant anéantir le cheveu afro : il est caché, rasé, il doit se plier aux exigences des esclavagistes et propriétaires d'esclaves. La perte d'identité est totale. Un rejet intériorisé par la communauté noire, qui au fil des générations déprécie sa nature capillaire et s'impose l'épreuve du défrisage.

"Par la pratique du défrisage, il s’agit de soustraire les cheveux à la tyrannie du regard qui pénalise socialement, explique la sociologue Juliette Sméralda dans son ouvrage Peau noire, cheveu crépu : lhistoire d’une aliénation (Éditions Jasor, 2004)Crépu étant synonyme de disgrâce, d’imperfection, de ruralité, de manque de raffinement, etc., ce cheveu-là doit disparaître derrière un lissage".

Un défrisage raté à l'origine de la coupe de Joséphine Baker 

Mais revenons à Joséphine Baker. Dans son ouvrage Joséphine : le coeur affamé, Jean-Claude Baker - son fils adoptif - donne des détails sur la genèse de son fameux style capillaire. D'après ses écrits, tout serait partie d'un défrisage raté, puisque la chanteuse se serait endormie avec une congolène (ou conk') dans les cheveux.

Il s'agissait d'une recette de défrisant chimique, concocté à partir d'un mélange de lessive, de pomme de terre et d'oeuf et de soude, très populaire dans la communauté afro-américaine "Cela lui a provoqué des trous dans les cheveux, des brûlures et des cicatrices sur son cuir chevelu", précise-t-il. Contrainte de se rendre chez un "célèbre coiffeur, parisien" celui-ci aurait alors eu l'idée de découper un morceau de papier à la forme de sa tête et d'appliquer une laque par-dessus pour fixer le tout.

Au passage, il aurait façonné ses baby hair, ces petites mèches de cheveux sculptées qui épousent les bords du contour de son visage. Elle deviendra dans le même temps celle qui lancera la mode de la coiffure "finger waves", ces ondulations en forme de S plaquées sur l'ensemble du cuir chevelu. 

Joséphine Baker continuera à populariser sa coiffure culte dans les années 30 en se lançant dans l'industrie cosmétique avec sa brillantine Bakerfix. Un produit destiné à fixer les cheveux sans les graisser, peut-on lire sur de veilles affiches publicitaires. "Du point de vue de sa composition, il s’agit d’un gel de gomme adragante généreusement parfumé (40 grammes de gomme adragante, 990 grammes d’eau distillée, 10 grammes de glycérine, 3 grammes de soluté de formol, 1,5 grammes d’ionone blanche pure, 1 gramme de zeste de bergamote, 0,20 gramme d’essence d'ylang ylang de Madagascar, 0,05 gramme d’essence absolue liquide de jasmin)", précise le site regardsurlescosmetiques.com.

Même si les coiffures arborées par la star sont nées des racines du racisme, les femmes noires - mais aussi les cholas - les ont porté au rang d'œuvres d’art les siècles suivants. Aujourd'hui, de nombreuses célébrités revendiquent leurs baby hair, à l'instar de Rihanna et Zendaya. Cependant, comme le souligne très justement un article du Harper's Bazaar US, "malheureusement, comme beaucoup de choses créées par les Noirs et popularisées dans la société dominante, les baby hair sont devenus à maintes reprises sujets à une appropriation culturelle."