Elles passent des heures à scruter leur peau face au miroir. Sans pouvoir s'en empêcher, elles grattent, percent, arrachent même parfois ce qu'elles considèrent comme une imperfection, c'est à dire la moindre aspérité présente sur leur visage ou leur corps. Atteintes de dermatillomanie, plusieurs milliers de personnes mènent chaque jour une véritable "guerre" contre ce qu'elles considèrent comme des "intrus" à éliminer par tous les moyens, au risque de se blesser.
Une obsession pour les "imperfections" de la peau qui leur pourrit la vie, due à un trouble anxieux compulsif répertorié dans famille des Comportement Répétitif Centré sur le Corps (CRCC), au même titre que la trichotillomanie (arrachage compulsif des cheveux, ndlr) ou l’onychophagie. En France, on estime que 1,4% de la population, aussi bien les hommes que les femmes, en souffrirait.
Camille Montaz, ex-dermatillomane, nous en dit plus sur ce trouble auquel elle consacre un compte Instagram, Peau.ssible. et un livre, Mon histoire avec la dermatillomanie. S'en sortir c'est peaussible.
Marie Claire : comment se manifeste la dermatillomanie ?
Camille Montaz : "À cause de ce TOC, on va en permanence tenter de gratter, triturer, percer, arracher tout ce qui n'est pas lisse sur la peau. On utilise généralement nos mains -c'était mon cas-, mais d'autres ont parfois recours à tout un tas d’outils, de la pince à épiler en passant par l'aiguille jusqu'au scalpel, pour creuser et arracher.
On plonge dans une sorte de croyance totalement irrationnelle qui nous persuade que l’on va la lustrer alors que le résultat est complètement inverse ! Au contraire, on va se créer des lésions qui peuvent être d'une gravité variable. Cela peut aller jusqu’au sang et dans des cas plus graves, nous pouvons même développer une septicémie si la peau s’infecte. Dans ces moments-là, on est en dehors de la réalité, comme déconnecté, voire presque en transe. À aucun moment, on ne se dit que ce que l’on est en train de faire est totalement ridicule.
Je pouvais passer deux heures dans ma salle de bain, devant un miroir, à chercher tout ce que je pouvais gratter ou percer sur mon visage. J’étais obsédée par mes pores, je voulais toujours en faire "sortir" quelque chose. Les crises s’arrêtent généralement grâce à un facteur extérieur comme quelqu’un qui nous appelle ou entre dans la pièce. Aussi, lorsque l'on commence à se rendre compte que l’on a réussi à 'faire sortir' tout ce qui devait l’être, dans tous les sens du terme, on arrête volontairement."
Souvent, ce comportement débute au moment où l’on développe de l'acné. Celle-ci vient un peu 'casser' le rapport que l’on a avec nous-mêmes, l'acné est une intrue. C'était mon cas. J'ai commencé à adopter ce comportement vers l'âge de 12 ans. Au début, j’avais juste une mauvaise habitude liée à l'acné, c'est à dire que je perçais quelques boutons. Petit à petit, j’ai commencé à créer inconsciemment un rituel à partir de ces comportements qui n’étaient pas encore dysfonctionnels. J’y ai sûrement trouvé un sentiment d’apaisement, une sorte de retour à moi un peu étrange. Et ce temps, pendant lequel je ne pensais à rien, est devenu répétitif, jusqu'à ce qu'il prenne beaucoup plus d'ampleur et que je commence à y penser sans arrêt.
Je pouvais passer deux heures dans ma salle de bain, devant un miroir, a chercher tout ce que je pouvais gratter ou percer sur mon visage.
Dès que je rentrais de l'école, la première chose que je faisais était d’aller voir si de nouvelles imperfections étaient apparues. Ce comportement peut commencer beaucoup plus jeune et pour certains, il se manifeste après un traumatisme ou des bouleversements émotionnels."
À quel moment avez-vous pris conscience qu'il s'agissait d'un trouble du comportement ?
"Jusqu'à mes 22 ans environ, j'étais dans une sorte de déni. Je savais que j’avais un problème, mais pour moi, c’était surtout mauvaise habitude et je pensais m'en sortir juste avec ma volonté. Je me suis rendu à l'évidence : ça ne fonctionnait pas, j’y revenais toujours et je ne pouvais pas m’en empêcher.
J’ai commencé à faire des recherches sur Internet. Auparavant, j’étais tombée sur des articles qui évoquaient l’acné excoriée des jeunes filles, l’autre nom de la dermatillomanie, mais je ne m'étais pas attardée dessus. À 23 ans, j’ai commencé à fouiller sur Facebook et je suis tombée sur des groupes anglo-saxons sur lesquels des milliers de gens partageaient leurs photos et racontaient leur histoire.
Et là, je me suis vraiment reconnue. Enfin, je n'étais plus seule ! J’ai alors pris conscience qu’il s’agissait d’un trouble. Les membres partageaient les signes de ce trouble -passer beaucoup de temps à se triturer la peau, le fait que cela ait un impact sur la vie sociale, que l’on annule des soirées ou des rendez-vous à cause des conséquences des crises ou le fait de ne pas pouvoir s'arrêter même si on le veut vraiment. Ce sont toutes ces choses qui marquent la différence entre dermatillomanie et un simple problème de peau."
Comment expliquer ce comportement ?
"C’est pour nous, dermatillomanes, une sorte de manière de soulager des tensions internes, un refuge idéal pour les gérer sans s’y confronter. Cela peut paraître bizarre, mais c'est comme si nous n’arrivions pas à s'en délester autrement. C'est comme un bouillonnement intérieur qu’on ne veut pas voir et que l’on essaye de gérer de manière passive.
Finalement, comme dans tous les troubles du comportement, ce problème est juste un symptôme qui cache un déséquilibre plus profond. Dans mon cas, je n’ai pas subi de traumatisme, mais il n'empêche qu'il existe un profil type chez les personnes atteintes de dermatillomanie dans lequel je me reconnais : de base, nous sommes des perfectionnistes un peu extrême, donc ce trouble nous permet d’assouvir ce besoin de perfection. En voulant retirer les imperfections de notre peau, on rejette ‘l’imperfection’ tout simplement. On veut être 'parfaits' dans tout ce que l'on entreprend et dans l'image que l'on renvoie de soi, on n’accepte pas la moindre erreur ou la demi-mesure. Cela entraîne une anxiété constante et vicieuse : on est anxieux de base et on veut être parfait, avoir une belle peau, mais on n’y arrive pas donc on continue de nourrir cette anxiété encore et encore... C’est sans fin.
Comme dans tous les troubles du comportement, ce problème est juste un symptôme qui cache un déséquilibre plus profond.
C'est horrible de vivre avec cette pression, de devoir toujours faire les choses au max. Ce besoin d’ultra perfectionnisme se cristallise alors sur ce problème de peau. On ne peut pas s'en sortir tant que l’on n’est pas plus tolérant avec elle, mais aussi avec soi. Aussi, ce profil type concerne les personnes qui ont du mal à gérer leurs émotions, sont hypersensibles et soumis à un foisonnement émotionnel quotidien et permanent. Sans exutoire pour nous permettre de canaliser tout cela, on se retrouve vite submergé et on adopte un comportement capable de l’absorber.
Dans mon cas, je pense que j’avais un rapport ‘malsain’ avec mon apparence physique. Quand j'étais petite, on me faisait toujours des compliments sur mon physique. La première chose que l’on me disait, c’était à quel point j’étais jolie. Je pense que j’ai intégré le fait que ma valeur reposait entièrement sur mon apparence et à partir du moment où j’ai eu de l’acné, je pense que cela a cassé cette image que je renvoyais depuis toujours. Elle compromettait mon identité.
L’une des grosses ‘briques’ de mon cheminement vers la guérison a été de me reconstruire hors de mon physique, de me rendre compte que j’avais de la valeur autrement."
Comment avez-vous traité votre dermatillomanie ?
"Pour m'en sortir, il m’a fallu franchir plusieurs étapes.
J'ai notamment suivi plusieurs thérapies, car même si l’on veut se prouver à soi-même que l’on peut y arriver, ce n’est pas aussi simple tant cela nous dépasse. J’ai fait une thérapie comportementale et cognitive (TCC) qui permet entre-autre de faire un travail sur le comportement et de modifier les schémas de pensée, ainsi qu'une psychothérapie d'inspiration analyse. Les médecines douces m'ont aussi beaucoup soulagée et aidée : hypnose, EFT, sophrologie et naturopathie notamment.
J’ai commencé à mettre des photos de mon visage. Ce n’était pas une démarche facile, car je n'avais pas parlé de mon trouble à tout le monde autour de moi.
C’était un changement de vie assez holistique pour tenter de trouver la cause de mes maux en me posant les bonnes questions : qu'est-ce qui ne va pas dans ma vie ? Est ce qu'il y a des relations toxiques autour de moi ? Est-ce que mon travail ne me convient pas ? Est ce que je n'ai pas confiance en moi ?
Depuis, j'ai fait un énorme cheminement de guérison grâce à tous les spécialistes que j’ai pu rencontrer et qui ont ‘semé des graines que j'ai arrosées’. Ils m'ont fait comprendre énormément de choses à différents niveaux."
Pourquoi avoir partagé votre histoire sur les réseaux sociaux ?
"Fin 2017, j’avais déjà beaucoup avancé. Je voyais que sur les groupes de réseaux sociaux auxquels j’appartenais, les gens étaient très focalisés sur la peau et je savais que ce n’était pas le bon raisonnement pour pouvoir s’en sortir. Je souhaitais donc partager tout ce que j’avais compris. Comme je suis dans la rédaction et la communication, je me suis dit pourquoi ne pas allier mes capacités professionnelles avec un projet autour de ce trouble afin de le faire connaître. J’ai donc créé mon compte Instagram. Au début, je faisais surtout des posts sur le développement personnel, les soins de la peau... Mais il n'était pas 'incarné' et ce n’était pas cohérent avec l’idée de départ. J’ai commencé à mettre des photos de mon visage. Ce n’était pas une démarche facile, car je n'avais pas parlé de mon trouble à tout le monde autour de moi. Finalement, je n’ai eu que des retours positifs.
J'ai été étonnée car je sais que les réseaux sociaux sont à double tranchant... et peuvent entretenir cette chimère de la perfection. Heureusement, je n’ai pas grandi avec, mais certaines adolescentes qui me suivent ont des peurs complètement irrationnelles. L’une d’elle m’a dit qu’elle avait peur que son copain la prenne en photo et zoome sur sa peau. Certaines ne peuvent prendre aucune photo sans filtre. A contrario, le développement parallèle des mouvements skin positivity et body positive essayent de remettre du 'vrai' dans ce qui est partagé. Et c'est tant mieux, car il y a plein de schémas à déconstruire.
Aujourd'hui, je ne me sens plus du tout esclave de la dermatillomanie. Elle n’occupe plus toutes mes pensées comme avant. Mon cheminement à été long et difficile. Finalement, je remercie ce trouble d'être entré dans mon vie, car il m'a permis d'en apprendre énormément sur moi, de travailler à mon bien-être et de me sentir beaucoup plus connectée avec moi-même. C'est "peaussible" d'aller mieux !
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