Taches de rousseur, cernes, rides et ombres naturelles, Pamela Anderson a décidé, depuis quelques années, de montrer son visage sans artifice. Une quête d'authenticité personnelle, un manifeste de liberté séduisant pour beaucoup de femmes et une belle découverte pour celles et ceux qui ne voyaient dans cette blonde peroxydée qu'une silhouette ultra-sexy. Mais si le visage nu est une avancée (encore trop) rare sur la scène médiatique, quid des corps nus, ou presque, qui se multiplient sur les tapis rouges, les défilés et autres événements publics ?
Chemisiers transparents ou micro-bandeaux y font souvent office de "tops" couvrant à peine le haut du corps tout comme les culottes "habillées" qui en dévoilent le bas au maximum. Des podiums à la rue, on le sait, il n'y a qu'un pas, que des femmes, célèbres ou non, ont choisi de franchir.
À l'extrême de cette tendance, le cas de Bianca Censori, désormais séparée (ou pas ?) de Kanye West, qui a révélé son anatomie lors des derniers Grammy Awards, a marqué les esprits, sans que l'on sache finalement si ce coup d'éclat était une décision commune ou une pression du rappeur. L'avenir nous révélera peut-être les dessous de ce moment qui en a mis plus d'un.e mal à l'aise et a en grande partie éclipsé la cérémonie, démontrant, s'il en était encore besoin, la force de frappe des attributs féminins sur une foule.
En attendant, peut-on dire qu'au XXIe siècle, avec les avancées du courant body positive invitant à se montrer tel que l'on est peu importe son poids, sa morphologie ou son âge, un corps, plus ou moins dévoilé, n'a plus à émouvoir ? Ou au contraire qu'avec le dynamisme actuel du féminisme, le corps dénudé, donc objet, devrait être définitivement relégué dans les oubliettes du voyeurisme de mauvais goût ou du capitalisme mercantile ?
Un acte politique
Sans prétendre être une spécialiste de ces grandes questions à la frontière de la sociologie et de la psychologie, Edie Blanchard, réalisatrice, s'interroge dans son premier livre Bimbo : repenser les normes de la féminité (éd. JC Lattès) sur le cliché de cette fille sexy qu'on juge un peu trop vite superficielle.
"Une femme qui se dévoile dérange car elle prend de la place et ne demande l'autorisation à personne pour le faire. Être sexy, ce n'est donc pas forcément caresser le patriarcat dans le sens du poil, c'est aussi prendre un risque, analyse-t-elle. Le problème, c'est que le corps de la femme étant très sexualisé, un style jugé provocant ressemble à une invitation. Or c'est souvent une erreur d'interprétation." D'autant qu'une femme, pour sentir et affirmer que son corps lui appartient, peut aussi choisir d'en montrer ce qu'elle souhaite. Comme l'actrice Rose McGowan, en 1998 déjà, lors des MTV Video Music Awards à Los Angeles qui fait de son apparition dans une robe transparente, un acte délibérément politique après l'agression sexuelle subie l'année précédente. Même si la victime aura finalement essuyé une vague d'insultes peu empathique après ce manifeste sur tapis rouge...
On est dans une sur-exhibition croissante du corps féminin que l'on peut notamment observer sur les défilés et les tapis rouges mais aussi sur les réseaux sociaux.
Depuis, la "naked dress" comme accessoire de mode s'est généralisée, de Rihanna à Beyoncé en passant par Zoë Kravitz, Kourtney Kardashian, Bella Hadid...
Elsa Godart*, philosophe est surprise de constater "qu'on est dans une sur-exhibition croissante du corps féminin que l'on peut notamment observer sur les défilés et les tapis rouges mais aussi sur les réseaux sociaux. Or il faut tout de même rappeler que la première domination patriarcale et masculiniste est celle du corps, à travers la sexualité et le contrôle de la maternité. En ce sens, la nudité est une régression du féminisme. D'autant qu'aujourd'hui, les femmes continuent d'être soumises en permanence à des diktats liés à leur corps qui l'asservissent comme rester mince, combattre le relâchement et autres signes du vieillissement... Si certaines semblent maîtriser leur désir de se dévoiler, peuvent-elles être réellement conscientes des déterminismes qui conditionnent leur choix ?".
Des risques pour la santé mentale
Depuis les premières publicités Aubade affichant des corps de femmes en sous-vêtements, retouchés à l'extrême et sans tête, les mentalités comme les campagnes de la marque, montrant désormais les visages des mannequins, ont évolué. "Les femmes, trop souvent regardées comme des corps, sont davantage considérées comme des personnes, confirme Lionel Dany, professeur de psychologie sociale de la santé qui a dirigé l'ouvrage Psychologie du corps et de l'apparence paru en 2020. Cependant, certaines d'entre elles arrivent à un phénomène d'auto-objectification. Ainsi, elles se réduisent elles-mêmes à leur corps en intériorisant cette injonction sociale, pourtant remise en question. La montée en puissance des pratiques esthétiques comme le maquillage, les injections et la chirurgie en témoignent, un phénomène amplifié par la caisse de résonance des réseaux sociaux."
Avec les risques pour la santé mentale que cela peut entraîner, des problèmes de comportement alimentaire à la dépression en passant par l'anxiété, la honte de soi, les troubles sexuels...
Il faut tout de même noter que les hommes ne sont plus épargnés par le body shaming et qu'ils sont de plus en plus nombreux, acteurs en tête, à développer leur musculature.
L'ère du body positive serait-elle déjà en train de s'éloigner ? L'arrivée des mini-shorts, bandeaux, crop tops et tailles basses sur les podiums semble en tout cas coïncider avec le retour des silhouettes à la minceur extrême. Même Kim Kardashian a baissé le volume en perdant du poids et en diminuant ses implants et injections.
Dans ce grand spectacle médiatique, qu'en est-il des hommes ? Moins sexualisé que les femmes, le dévoilement de leurs corps, assez rare, ne provoque pas les mêmes réactions. On se souvient de Timothée Chalamet en dos nu de satin rouge, signé Haider Ackermann, à la Mostra de Venise en 2022. La presse avait salué cette joyeuse rupture de codes et on est vite passé à autre chose. "Il faut tout de même noter que les hommes ne sont plus épargnés par le body shaming et qu'ils sont de plus en plus nombreux, acteurs en tête, à développer leur musculature", tempère Lionel Dany.
Une pratique qui les pousse d'ailleurs à porter des vêtements plus osés mettant en valeur ces reliefs qu'ils travaillent patiemment dans les salles de sport.
Une question d'équilibre
Du côté des femmes, le chemin n'est pas terminé. "Dans cette société de l'image, il faut expliquer à nos enfants les limites de la nudité, souligne Elsa Godart. Pour nos filles, le travail d'éducation est très différent de celui qu'on a connu à la suite de Mai 68. Il n'est plus question de la révolution sexuelle pour se réapproprier son corps. Aujourd'hui, elles doivent se construire une identité et un narcissisme qui leur appartiennent pour accepter et aimer ce qu'elles sont. Tout en comprenant que l'enjeu de l'érotisme est justement de ne pas tout montrer."
Avec le recul qu'autorise un sujet étudié sur plusieurs siècles, l'écrivain Jean-Claude Bologne dans son livre Histoire de la pudeur (Ed. Pluriel), publié en 1986, finissait par cette conclusion pleine de sagesse : "Toutes les époques, tous les pays ont ressenti le besoin d'un équilibre entre pudeur et apudeur, et le terrain que l'une perdait d'un côté était immédiatement repris d'un autre. Notre époque ne fait pas exception. (...) De la même façon que les nuages sont nécessaires pour apprécier le retour du soleil, les règles de vie sociale sont indispensables pour pouvoir être transgressées."
Le nombril du monde
Dans son dernier livre, Cicatrices, l'existence dans la peau (Ed. Métailié), le sociologue David Le Breton rappelle que la peau "incarne les limites individuelles dans une sorte d'entre-deux entre environnement et soi, dehors et dedans, extérieur et intérieur, mais de manière vivante, poreuse, fluide, car elle ouvre au monde, même s'il lui arrive de se rétracter".
Sur la couverture de l'ouvrage, un nombril en gros plan rappelle notre marque de fabrique originelle. "Longtemps honteux, il est aujourd'hui arboré fièrement depuis la vague des piercings et des crop tops, même sur des ventres un peu ronds, affichant un refus évident du diktat de la minceur", note l'auteur.
Le nombril concret et symbolique : une façon d'exister dans son propre regard comme dans celui des autres.
*Autrice de "Enfanter une étoile qui danse – Phénoménologie du chaos quotidien" éd. Armand Colin, 22,90 €.
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