Sur son compte TikTok, on retrouve les images de son voyage à Bali, un "haul" de ses derniers achats, ainsi que sa routine beauté matinale. Mais depuis septembre dernier, Kelsey Russel a légèrement changé sa "ligne éditoriale" : dangers de l'Ozempic, gentrification... Après avoir reçu un abonnement au New York Times pour son vingt-troisième anniversaire, l'étudiante à Columbia se lance dans l'exercice de la revue de presse.
"Je résume ce que je lis dans le journal chaque jour comme je parle de ce que je fais dans ma journée. Mon audience adore", nous raconte la jeune femme. Dont les vidéos rencontrent effectivement un certain succès auprès de ses 87 000 abonné·es, mais aussi des groupes de presse : le New York Times l'a invitée dans ses locaux et d'autres titres lui ont offert un abonnement : "Le Wall Street Journal, Chicago Tribune, Miami Herald, j'aime me confronter à différents bords politiques."
La presse papier, condamnée par les experts depuis des décennies, retrouverait-elle un certain état de grâce auprès des plus jeunes ? En novembre dernier, la mannequin Karlie Kloss s'offrait le mythique magazine de mode i-D, elle qui avait déjà chapeauté le rachat de W Magazine en 2020. Étrange choix quand on connaît le désintérêt pour le papier des jeunes générations, le manque de confiance dans la presse mais aussi l'inexorable chute des tirages. À en croire les estimations de l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI), agence de l'ONU située à Genève, la disparition des journaux traditionnels sur papier serait prévue pour 2040.
Les journaux en lutte
Pourtant, l'objet fait de la résistance, et des publications se lancent encore dans un contexte peu favorable, entre hausse du prix du papier et changement des usages. En 2020, dans le New York Post, Samir Husni, fondateur de l'University of Mississippi's Magazine Innovation Center, notait que malgré la pandémie, soixante magazines papier avaient été lancés durant l'année. En France, 2,5 milliards de journaux ont été vendus en 2022. Une sorte de vitalité proche du miracle et qui se lit aussi au nombre de jeunes pousses que l'on voit prospérer en kiosques ou ailleurs telles Chut !, revue dédiée à l'impact du numérique sur nos vies, Sphères et ses longs formats consacrés à des communautés, des libertins aux motards, ou encore Beau Magazine, "indépendant, engagé et optimiste".
"La presse a toujours été déclarée en état de mort imminente, c'est consubstantiel à son histoire que de penser qu'elle va disparaître, avance Adeline Wrona, professeure au Celsa-Sorbonne Université et spécialiste de l'histoire de la presse. Ce qui a disparu, c'est le modèle économique, le moyen d'être rentable avec la presse papier. Mais elle continuera d'exister, pour différentes raisons. En France, c'est par l'attachement à cet objet inscrit dans l'histoire de la République, où il existe un consensus sur la nécessité de le soutenir financièrement."
Ce qui est intéressant, dans l'approche de Kelsey Russel, c'est de jouer sur réseaux avec un objet dont les usages sont hors réseaux. Alors que TikTok est devenu la première source d'information pour les jeunes Britanniques, comme le montrent les derniers chiffres de l'Office of communications (Ofcom), régulateur des communications au Royaume-Uni, la presse papier offre une tout autre expérience, qu'ils connaissent peu ou mal, loin du "scroll", de la saturation des espaces visuels, des infos non vérifiées et des algorithmes jouant sur l'émotion.
"Les réseaux sociaux me montrent les informations qu'ils pensent que je veux voir. En lisant un journal, je sais que ce qui s'y trouve mérite d'être lu, explique la jeune femme. C'est impossible d'aller sur Instagram et d'enchaîner les images d'une guerre avec celles d'une copine en soirée ou d'une publicité. C'est trop dur à gérer émotionnellement !" Et d'initier ses contemporain·es à une pratique quasi vintage. Fétichisant un objet dont l'importance dépasse pourtant bien le simple prisme de la tendance.
La presse écrite en 3 chiffres
- 2,5 de journaux milliards d'exemplaires ont été vendus en France en 2022 (dont 668 millions en version numérique).
- 38 % affirment des 18-24 ans suivre avec intérêt les infos, selon le baromètre annuel La Croix (2022, Kantar-Onepoint pour La Croix).
- 1 000 c'est euros le prix de la tonne de papier fin 2022, contre 400 euros l'année précédente.
Ce décryptage a été initialement publié dans le magazine Marie Claire numéro 857, daté février 2024.
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