Traditionnellement, la Fashion Week s'achève à Paris par le défilé Louis Vuitton. Mais le 3 octobre 2024, un "outsider" créait la surprise en clôturant le printemps-été 2025 avec un show spectaculaire. Coperni, alias Sébastien Meyer et Arnaud Vaillant, présentait ainsi sa collection dans l'univers féerique de Disneyland Paris. Une première pour le parc qui a vu défiler devant le château de la Belle au bois dormant des "cool kids" en T-shirt Mickey, des "méchantes" coiffées des cornes de Maléfique, et même Kylie Jenner, invitée surprise de ce show devenu viral.
Une sorte d'apothéose pour le label parisien, qui n'en finit pas de créer le buzz depuis sa renaissance en 2019 à coups de défilés happening. Ainsi, les images de la robe spray projetée sur le corps dénudé de Bella Hadid en septembre 2022 ont fait le tour du monde, tout comme la danse poétique des robots-chiens conçus par Boston Dynamics pour l'hiver 2023. La combinaison noire portée par Angèle lors de la cérémonie de clôture des JO de Paris ? Encore Coperni !
Ces coups d'éclat illustrent la philosophie que les deux trentenaires se sont fixée depuis des années : proposer une mode intelligente et portable, sublimée par des innovations technologiques.
Originaire du sud de la France, le couple au studio et à la ville s'est rencontré sur les bancs de l'école de mode Modart International. En 2013, ils lancent Coperni, un nom qui fait référence à l'astronome Nicolas Copernic connu pour sa théorie de l'héliocentrisme. Chacun y tient une place bien définie : Sébastien s'occupe de la création et Arnaud du business. Très vite, tout s'accélère : ils raflent le prix des Premières Collections de l'Andam en 2014, prennent la direction artistique de Courrèges de 2015 à 2017. Après trois ans de pause, Coperni revient sur le devant de la scène en 2019, avec une nouvelle approche qui fait fusionner tech, sport et glamour.
À l'image de leurs robes en pliage origami ou de leur sac Swipe, un ovni inspiré par l'icône d'Apple "glisser pour déverrouiller", qui se prête chaque saison à de folles expérimentations.
Pourtant, derrière leur image de doux rêveurs, Sébastien Meyer et Arnaud Vaillant ont les pieds solidement ancrés dans la terre et un sens de la com redoutable. Nous les avons rencontrés dans leurs bureaux, près de Bastille à Paris, en compagnie de leur chien Nemo.
Marie Claire : Défiler à Disneyland, c'est un rêve de gamin ?
Sébastien Meyer : Nous venons tous les deux du sud de la France et, comme pour beaucoup d'enfants de province, le premier souvenir de Paris, c'est Disneyland. Nous avons d'ailleurs retrouvé des photos de nous à l'âge de 10 ans posant chacun devant les mêmes attractions.
Arnaud Vaillant : Et nous avons été bien sûr bercés par les dessins animés, notamment La Petite Sirène, qui est notre film préféré...
Quelles étaient les inspirations de cette collection ?
A. V. : Sébastien a eu l'idée de construire la collection comme les films de Disney. Au début, toutes les princesses sont des petites filles, puis elles découvrent la peur pour éclore ensuite. Cette évolution nous correspond : nous avons commencé très jeunes notre marque et, en dix ans, nous avons vu grandir nos clientes, devenues des femmes...
Kylie Jenner, c'est la princesse Coperni par excellence ?
A. V. : Ce qui m'impressionne le plus chez Kylie, c'est sa liberté. Elle fait ce qu'elle veut quand elle veut. Elle n'a pas de contrat d'exclusivité avec les grandes maisons, mais préfère soutenir les jeunes designers. C'est vraiment quelqu'un de très généreux.
S. M. : Et c'est peut-être la fille la plus connectée au monde. Tout son business, sa personnalité reposent un peu là-dessus. Personne ne s'attendait à ce qu'elle défile. Ça a été la cerise sur le gâteau !
En 2019, vous avez relancé votre marque. Comment définir le Coperni 2.0 ?
S. M. : Le premier Coperni n'avait rien d'innovant, mis à part le nom. Il était question de chic, de tailleur, de broderies, de manipulations textiles. L'univers de Courrèges, en revanche, était complètement techno. Alors, quand nous avons recréé Coperni, nous avons voulu mélanger les deux. Mais l'identité se construit tous les jours.
Qu'est-ce qui vous a donné envie de faire de la mode ?
A. V. : Moi, je l'ai découverte à travers les magazines. J'en achetais des tonnes au kiosque de Sanary-sur-Mer, la ville dans laquelle j'ai grandi. C'est surtout l'image qui m'intéressait.
S. M. : J'ai toujours rêvé de venir à Paris et d'y faire quelque chose de créatif. La mode est arrivée un peu par hasard. Mais il doit certainement y avoir une part d'inconscient : mon père étant dans l'armée, j'ai fait ma scolarité dans une école militaire où on portait l'uniforme.
Quels créateur-rice-s vous ont influencés ?
S. M. : Helmut Lang est vraiment un modèle. J'admire son approche très rigoureuse du vestiaire qui semble simple à première vue. Mais quand on s'approche, il y a toujours un détail, une construction incroyable. Même si parfois, nous créons des choses spectaculaires, à la fin, nous aimons les vêtements qui sont portables par nos copines, nos mères...
A. V. : Plus récemment, parce que ça a été aussi un peu notre école, l'époque Nicolas Ghesquière chez Balenciaga : ce côté science-fiction qui était à la fois chic et parisien. Et Hussein Chalayan pour la technologie, avec l'idée de repousser les limites du défilé.
On essaie de davantage comme une aide. En ce moment, on s'intéresse à de qui font
Le show avec Bella Hadid et sa robe sprayée est entré dans l'histoire de la mode. Ça fait quel effet ?
A. V. : On ne s'y attendait pas du tout. La veille encore, Sébastien pensait que ça allait être un fiasco.
S. M. : Il y avait de quoi être inquiet. La performance est un exercice très risqué et c'était notre première expérience. En plus, l'odeur du spray était très forte, le happening final doublait le temps du show, on se disait : les gens vont s'ennuyer, ils vont partir. Et puis, quand ils ont vu la toile d'araignée s'épaissir sur le corps de Bella pour devenir une robe, ils ont été subjugués. C'était fou.
La mode a souvent eu un rapport frileux à la technologie. Est-ce toujours le cas ?
A. V. : Oui, je pense que les gens ne sont pas prêts à porter des vêtements trop tech. Brancher son manteau, ça fait peur, et mettre une robe lumineuse n'a pas trop de sens, à moins d'être une célébrité invitée au Met Gala.
S. M. : Nous, on essaie de penser l'innovation de manière plus discrète, davantage comme une aide. En ce moment, on s'intéresse à de nouveaux tissus qui font du bien à la peau et la protègent. Ce qui nous passionne, c'est de faire le pont entre la technologie et une certaine élégance parisienne, parce qu'on aime aussi le tailleur, la broderie.
Coperni, c'est une solide communauté. Quel est votre rapport au numérique ?
A. V. : L'outil digital, et particulièrement celui d'Instagram, nous a ouvert des portes de dingue.
S. M. : On s'est beaucoup rapprochés de notre communauté pendant la pandémie de Covid-19. C'était la première fois qu'on pouvait se poser et s'intéresser à chaque utilisateur-rice. Avec les réseaux sociaux, tout est très direct : on se prend le retour en pleine face, ce qui permet de mieux comprendre et de s'ajuster. Et puis l'audience est tellement vaste, il y a les vrai-e-s consommateur-rice-s, mais aussi des jeunes qui viennent juste kiffer les idées.
Aujourd'hui, comment voyez-vous la mode ?
A. V. : Je trouve qu'actuellement, tout le monde est assez libre de faire ce qu'il veut.
S. M. : J'espère que ça donne de l'espoir aux jeunes de voir que nous, à notre âge et avec nos moyens, nous arrivons à faire des gros shows à côté de marques comme Saint Laurent et Chanel. Mais je trouve qu'il y a peu d'innovation en matière de production et de fabrication. On fait encore beaucoup les vêtements à l'ancienne. Et puis, les prix du luxe sont devenus déconnectés.
A. V. : C'est une frustration que nous avons eue chez Courrèges. Une amie, qui gagne bien sa vie, nous avait dit qu'elle était rentrée dans la boutique et qu'elle ne pouvait rien s'acheter. La veste coûtait un Smic. Depuis, nous avons un positionnement plus "luxe accessible", mais c'est un vrai défi, surtout en ce moment.
Vous êtes indépendants financièrement. Est-ce un choix ou une étape ?
S. M. : Nous aimons être libres de nos décisions, d'autant qu'aujourd'hui, la marque est rentable.
A. V. : Mais nous avons des rêves : développer l'homme, ouvrir des boutiques, étoffer notre équipe. L'innovation nécessite des moyens, on aura certainement besoin à un moment de partenaires.
Vous êtes un couple au travail et à la ville. Est-ce qu'il y a des choses que vous ne partagez pas ?
A. V. : Je fais du tennis sans Sébastien et lui bouquine des trucs de geek que je ne lirai jamais. Récemment, nous sommes allés dans la Silicon Valley visiter le siège de Meta. En rentrant, j'ai acheté tous les livres que j'ai vu traîner sur le bureau de Mark Zuckerberg et je les ai offerts à Sébastien pour son anniversaire.
Et ça vous a donné des idées ?
S. M. : Nous avons un petit projet secret avec Meta pour bientôt, mais chut, nous ne pouvons pas encore en parler !
À l'heure où nous bouclons, Mark Zuckerberg annonce mettre fin au fact-checking sur la plateforme. Sollicités, les Coperni n'ont pas souhaité commenter.