"Je me demande comment la pratique va réussir à s’implémenter en France. Parce que même avec quelqu’un comme moi, qui a ce désir si profond, je me sens déjà testée. Je n’imaginais pas que ça allait être ce niveau d’exigence." Dans le documentaire Sex is comedy de Francetv, la réalisatrice et autrice Iris Brey perd ses moyens face à Paloma Garcia-Marents, engagée sur le tournage de sa série, Split, en tant que coordinatrice d’intimité.

Cette nouvelle activité de l'art du divertissement à de quoi remuer les équipes des plateaux. Finie l'improvisation des scènes de sexe ou de nudité, avec la coordination d’intimité, chaque scène est travaillée en amont du tournage afin de ne laisser aucune place au hasard, et aux violences.

Une activité connue depuis 2017

La CPNEF (Commission paritaire nationale emploi et formation professionnelle), qui planche justement sur une formation certifiante de ce métier, le définit comme le fait de coordonner "l'ensemble des équipes parties prenantes lors de la préparation et du tournage de scènes d’intimité, entendues notamment comme scènes impliquant de la nudité, des actes sexuels simulés, des violences sexuelles, des baisers ou des caresses des parties intimes". Le coordinateur ou la coordinatrice a ainsi "pour mission d’établir et faire respecter le cadre dans lequel sont préparées et tournées les scènes d’intimité, en apportant de la transparence, et en parvenant à des accords conciliant consentement et besoins de la narration, pour anticiper et éviter la survenue de problème lors du tournage de ces scènes."

Encore rarement utilisée sur les tournages français, cette spécialité a cependant fait déjà ses preuves aux États-Unis et au Royaume-Uni, où elle est désormais non pas une obligation, mais une habitude, depuis son arrivée en 2017 dans le monde du théâtre. "Après le mouvement #MeToo et l’affaire Weinstein, on s'est rendu compte que le milieu du cinéma pouvait être dangereux", explique Paloma Garcia-Marents, toujours dans le documentaire consacré à la coordination d'intimité Sex is comedy.

On m’a répondu que ça ne marcherait jamais en France car ici, on a un autre rapport au corps.

Dans le sillage de #MeToo, des initiatives comme le projet anti-harcèlement à Hollywood Time's Up émergent et permettent à cette nouvelle activité de trouver sa place dans l’industrie. Ainsi, dès 2017, l’actrice américaine Emily Meade demande qu’une coordinatrice d’intimité l’accompagne sur certaines scènes de la saison deux de The Deuce, une série dans laquelle elle joue une prostituée. HBO répond positivement à sa demande tandis que Netflix et la BBC suivent le mouvement pour l'ensemble de leurs productions.

Repenser les scènes de sexualité 

En reconversion professionnelle dans le cinéma après une décennie en tant que juriste, Monia Aït El Hadj entend parler de la coordination d’intimité alors qu’elle n'est encore qu'une activité émergente aux États-Unis. Elle se forme sur le tas en psychologie, au yoga et à la communication non violente. "J’ai tapé à la porte de toutes les productions et on m’a répondu que ça ne marcherait jamais en France car ici, on a un autre rapport au corps", a raconté Monia Aït El Hadj lors d’une table ronde dédiée au sujet lors des Assises pour l'égalité, la parité et la diversité dans le cinéma et l'audiovisuel du collectif 50/50, organisées le 11 décembre 2023 à l’Institut du Monde Arabe (Paris).

Ce travail m'a permis de sortir de l’image habituelle des trois coups de reins et de la jouissance.

Finalement, elle obtient une réponse positive de la part de Netflix, qui finance sa formation aux États-Unis auprès d'une professionnelle. Depuis, Monia Aït El Hadj a travaillé sur le tournage de Emily in Paris, Les Liaisons dangereuses ou encore Une Zone à défendre.

"Travailler avec une coordinatrice d’intimité change tout", a assuré de son côté Suzy Bemba, comédienne et cofondatrice de L'Association des Acteurices (ADA). "Dans les scénarios, ces scènes sont très succinctes. Ce travail spécifique m'a permis de savoir ce qu’il y avait derrière ces quatre lignes et de sortir de l’image habituelle des trois coups de reins et de la jouissance."

Comédienne, réalisatrice et également cofondatrice de l’ADA, Ariane Labed a pu faire appel à une coordinatrice d’intimité dans le cadre d’une production mettant en scène des acteurs et actrices mineures. "J’ai appris leurs limites et j’ai adapté le scénario en conséquence, a-t-elle expliqué lors de la table-ronde organisée par le collectif 50/50, cela m’a obligée à être plus créative, alors qu’au début j’ai trouvé cela violent. Mais en fait, on va plus loin, car on est forcé de penser les scènes de sexe et c’est la moindre des choses car ces images ont un impact sur la société".

Une nécessité mal comprise par une partie de l'industrie

Pour Agnès Saal, haute fonctionnaire au ministère de la Culture également présente lors des Assises du collectif 50/50, "nous sommes à l’aube d’une nouvelle ère via la reconnaissance professionnelle de ce métier, la structuration d’une formation et le définition de son périmètre à l’ensemble du spectacle vivant."

Mais encore faut-il convaincre une partie de l’industrie, réfractaire à ce nouveau métier, qui peut être perçu comme "la police du téton", comme l'a caricaturé la série The Idol de Sam Levinson. Lors des précédentes Assises de 50/50, "une réalisatrice avait l’impression que la coordination d'intimité était comparable à la police des mœurs", rappelle à Marie Claire Sophie Lainé Diodovic, directrice de casting et référente sur le sujet au sein du collectif. "Mais on sentait chez d’autres une volonté d’amener ce poste dans un cadre légal avec toute la protection qui va avec. Une formation et une certification permettent aussi d’éviter que n’importe qui s’auto-proclame comme c’est déjà le cas avec les coachs d’acteurs et d'actrices."

Si la "France reste une exception culturelle", selon Sophie Lainé Diodovic, preuve en est que les mentalités ont évolué en une poignée d’années seulement. À terme, les professionnels du métier estiment qu’il faudrait une dizaine de personnes pour assurer les tournages concernés sur le territoire français, selon une étude du CPNEF publiée en décembre 2023. À ce jour, on identifie quatre coordinatrices d'intimité en France seulement.