Si la prévention contre les violences sexuelles faites aux enfants est prévue par la loi elle n’est que très peu appliquée dans les écoles par manque d’informations, de moyens et parfois une résistance des parents qui ont peur de voir ce sujet abordé auprès de leurs jeunes enfants. Il est nécessaire de se rassurer et de comprendre comment la prévention pourrait avoir un effet vertueux sur les chiffres très élevés de violences faites aux enfants. Interview avec Rebecca Royer.

Votre Linkedin nous dit que vous êtes avocate à la Cour, avocate à l’Antenne des Mineurs de Paris et engagée dans la lutte contre les violences conjugales et intrafamiliales : en quelques mots concrets, quel est votre métier ?


Mon métier consiste à défendre et protéger les plus vulnérables, en particulier les enfants et les femmes victimes de violences. En tant qu'avocate spécialisée en droit pénal, droit de la famille et droit des mineurs, j’interviens pour protéger les femmes et les enfants victimes de tout type de violences et notamment de violences sexuelles, de viol ou d'inceste, en utilisant ma formation initiale de pénaliste et ma technicité en droit de la famille.

Concrètement, cela signifie que j’accompagne les enfants et leurs familles, ou les plaignantes, lors des étapes clés de la procédure, de l'audition jusqu'à la plaidoirie, en veillant toujours à préserver leur intégrité émotionnelle.


Je travaille également en amont, en collaboration avec des associations et des réseaux de professionnels, pour sensibiliser et prévenir les violences intrafamiliales.

Mon approche est holistique : je combine une défense juridique rigoureuse avec un engagement actif pour faire évoluer les mentalités et les pratiques, afin que la justice place l’intérêt supérieur de l’enfant* au cœur de ses décisions.


*En droit français, l’intérêt supérieur de l’enfant, consacré par la Déclaration des droits de l’enfant de l’ONU en 1959 et la Convention internationale des droits de l’enfant en 1989, doit guider ceux qui sont responsables de son éducation et de son orientation, principalement ses parents. Ce principe, qui doit être une considération primordiale dans toute décision le concernant, est censé être le fil conducteur des décisions prises à l’égard de chaque mineur. Bien que ce principe soit affirmé à maintes reprises dans le Code civil, sa mise en application demeure insuffisante ou inadéquate en pratique.

Depuis quand êtes-vous engagée auprès des mineurs victimes de violences ? Quel a été l'élément déclencheur de cet engagement ?


Je suis engagée dans la défense des mineurs victimes de violences depuis plusieurs années, et l'élément déclencheur a été mon premier dossier impliquant un enfant qui avait subi des violences sexuelles. J'ai été bouleversée par le manque de moyens alloués à la protection de ces enfants et par l'incrédulité à laquelle ils sont souvent confrontés.

L’enfant n’était pas cru hormis par sa mère qui se battait pour qu’on puisse les écouter et surtout le croire. Cela a été un tournant dans ma carrière : je me suis formée en droit des mineurs et j'ai intégré l'Antenne des Mineurs de Paris pour contribuer activement à la défense des droits de l'enfant. Depuis, je consacre une grande partie de ma pratique à sensibiliser et à lutter pour que la justice accorde la priorité à l’intérêt supérieur des enfants. 


Afin que nos lecteurs se rendent compte du contour de ces violences, auriez-vous en tant que professionnelle quelques chiffres à partager ?


Les chiffres sont malheureusement effrayants : un enfant sur dix est victime de violences sexuelles en France. Parmi eux, la majorité sont des victimes de leur propre entourage familial.

La CIIVISE a mis en lumière que 3 enfants par classe en France subissent des violences sexuelles. Toutes les 3 minutes en France un enfant subit une violence sexuelle.

Chaque année, environ 160 000 enfants subissent des violences physiques graves, et ces chiffres ne tiennent même pas compte des milliers de cas qui ne sont jamais révélés. Ces violences laissent des séquelles profondes, d’où l’importance d’agir vite pour protéger ces enfants et leur offrir des espaces sécurisés pour s’exprimer.

Surtout, il y a urgence pour que la justice évolue et mette en place des mécanismes pour protéger les enfants de manière adéquate après leurs révélations sans faire primer la présomption d’innocence du prétendu auteur sur leur protection. Je souhaiterais que le principe de précaution soit appliqué avant le principe de présomption d’innocence lorsqu’il s’agit d’un.e mineur qui dénonce des faits de violences sexuelles.


On entend beaucoup parler de la CIIVISE et de son changement de gouvernance, pensez-vous qu'elle ait encore un rôle à jouer malgré ce changement ?


Absolument. La CIIVISE n°1 (Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants) a réalisé un travail essentiel en révélant l’ampleur des violences sexuelles infligées aux enfants. Je regrette profondément le changement de gouvernance et le départ du juge Édouard Durand, dont l'engagement et l’action remarquable, aux côtés des autres membres, ont été déterminants. Malgré cette transition, la nouvelle CIIVISE doit continuer à jouer un rôle central : recueillir des témoignages, sensibiliser le public, et proposer des réformes législatives indispensables. Le combat contre ces violences ne s'arrête jamais, et la CIIVISE reste un outil crucial pour influencer les politiques publiques et soutenir les victimes.


Pourtant, le chemin reste long. Bien que la parole des enfants se libère progressivement, la justice tarde encore à prendre des mesures adaptées face à leurs révélations. Je constate malheureusement que, dans la majorité de mes dossiers impliquant des accusations de violences sexuelles incestueuses, les mères qui croient et soutiennent leurs enfants sont systématiquement accusées de manipulation. Cela mène à une situation dramatique où la justice sépare les enfants des mères qui cherchent à les protéger, une réalité tragiquement fréquente.


De plus, de nombreux experts judiciaires concluent encore à l’imagination des enfants, même lorsque leurs récits de viol sont précis et circonstanciés, et les mères continuent d’être accusées de manipulation ou d’endoctrinement au sein des expertises.


A ce jour, la justice prétend vouloir la libération de la parole des enfants mais en réalité l’enfant n’est ni entendu ni cru.
La CIIVISE demeure donc fondamentale pour que les recommandations de la première commission soient enfin appliquées, permettant une réelle évolution du système judiciaire et une protection effective des enfants.


Vous avez récemment co-fondé le mouvement 3 par classe avec d'autres mères ; pourquoi choisir de fonder un mouvement, plutôt que de participer à un mouvement existant ?


Maud Zylnik et Angèle Ferreux Maeght, deux amies, ont eu l'idée de créer un groupe WhatsApp et d'y inviter des personnes qu'elles savaient sensibles à la question des violences sexuelles faites aux enfants, dans le but de trouver des moyens d'agir concrètement.

Elles ont ainsi réussi à nous fédérer autour de cette cause, donnant naissance au collectif 3 par classe. Il existe en effet une pluralité d’associations mais nous n’arrivions pas à nous retrouver dans une en particulier. Nous avons donc décidé de créer ce collectif pour partager sur le fléau que représente les violences sexuelles subies par les enfants en France.

Nous souhaitons échanger sur ce sujet pour que le public prenne conscience que nos enfants ne sont pas suffisamment protégés. Nous avons conscience que nous ne pouvons pas agir sur la baisse de la criminalité donc nous souhaitons agir sur la généralisation de la prévention des violences sexuelles directement auprès des enfants car nous sommes convaincues que seule la prévention pourra réellement les protéger.


Quels sont les ambitions de ce mouvement ?


Notre ambition est de briser le silence autour des violences sexuelles faites aux enfants et de veiller à ce que chaque enfant en danger soit protégé. Nous militons pour l'application systématique de l'article L312-16 du Code de l'éducation, qui oblige les écoles à sensibiliser les enfants.

Plutôt qu'une association, nous voulons être un lien et un soutien pour les parents et les enseignant·e·s, les aidant à concrétiser la prévention des violences sexuelles dans chaque établissement scolaire.

Notre collectif a pour objectif de veiller à l’application de cet article L312-16 dans tous les écoles, du CP à la Terminale. Cela implique qu’au moins une des trois séances de prévention annuelle soit consacrée à la prévention des violences sexuelles faîtes aux enfants.
Cette démarche ne relève en aucun cas d'une éducation sexuelle. Il ne s'agit pas d'apprendre aux enfants à se protéger eux-mêmes — la responsabilité ne doit jamais peser sur eux —, mais de leur donner les outils pour reconnaître un comportement inappropriée même lorsque c’est effectué par une personne proche, se positionner et libérer leur parole pour demander de l'aide et se protéger le cas échéant.


Le nom de notre collectif fait référence à une réalité tragique : dans chaque classe de 30 élèves, en moyenne 3 enfants sont victimes de violences sexuelles. Créer notre propre mouvement nous a permis de nous concentrer sur des actions concrètes et citoyennes, comme la sensibilisation dans les écoles, tout en militant pour une stricte application des lois existantes. Nous croyons fermement qu'enseigner aux enfants le respect de leur corps et l'importance de signaler des situations préoccupantes peut contribuer à réduire ces chiffres.


Nous voulons également que tous les adultes en contact avec les enfants — enseignants, médecins, éducateurs — soient formés pour repérer les signaux de danger. Enfin, nous œuvrons à généraliser les actions de prévention afin qu'elles soient adaptées à chaque âge, proposant aux parents et aux professionnels des moyens concrets pour lutter quotidiennement contre les violences sexuelles faites aux enfants.


À notre échelle de parent, comment peut-on agir ?

En tant que parent, la première démarche consiste à parler régulièrement et ouvertement avec vos enfants sur les sujets relatifs à la sexualité et aux dangers, éduquer vos enfants au respect de leur corps et aux limites, en leur apprenant l’importance du consentement. Il faut les encourager à s’exprimer et à parler de toute situation qui aurait pu les mettre mal à l'aise sans risque que l’enfant soit grondé ou puni. Il est également essentiel de rester attentif, de poser des questions sans jugement, et de prendre au sérieux tout signe de mal-être ou toute révélation.


Pour agir concrètement, chaque parent peut solliciter l'école de son enfant afin que l'article L312-16 du Code de l’éducation soit appliqué, garantissant la mise en place de séances de prévention contre les violences sexistes et sexuelles, avec un minimum de trois séances annuelles. Vous pouvez également suggérer des actions comme l'installation d'une boîte aux lettres Les Papillons (ou équivalent), l’intervention d’associations habilitées pour ces séances de prévention — par exemple, l'artiste Maï Lan Chapiron, dont la vidéo de sensibilisation est très efficace auprès des enfants. D'autres initiatives incluent l'affichage, à hauteur d'enfant (environ 1 mètre), du numéro d’urgence 119 dans chaque classe, ou la participation d'associations (comme l’Enfant Bleu) ou d’intervenant.e.s extérieur comme (Joana Romba  @enfance préservée » - formatrice en prévention), pour sensibiliser les élèves.


Enfin, parler autour de vous, que ce soit entre amis, au travail, ou dans vos cercles privés et professionnels, est déjà un acte de protection qui contribue à la sécurité de tous les enfants.

Sur la photo de groupe, de gauche à droite ; Fanny Caillol, Caroline Bourgeois, Angele Ferreux Maeght, Rebecca Royer. En bas  ; Roxane Lagache, Olivia Vindry, Scarlette Chavinier, Maud Zilnyk.