"Quand JK Rowling a commencé à liker des posts transphobes sur Twitter, ça a été une trahison intime." Morgan•e se souvient bien des premières alertes via l’activiste Lexie (du compte @aggressivelytrans) dès 2019. Depuis, ce trentenaire non-binaire a rompu avec l’univers Harry Potter : "Ça ne fait plus du tout partie de ma vie. JK Rowling a tout gâché".

Impossible de faire abstraction des prises de positions contre les personnes trans de l’autrice de la saga. Un sentiment de "déchirement" que la chercheuse spécialiste des fandoms Julie Escurignan a identifié chez de nombreux fans, qui pour beaucoup, "ont grandi avec la saga et se sont construits par elle". Au-delà de l’œuvre, un vrai attachement s’était construit autour de l’autrice : "Ça a d’autant plus choqué les fans qu’elle véhicule dans son œuvre des valeurs d’amour, de respect, d’inclusion." 

Transmettre (un meilleur) Harry Potter

Cela fait longtemps que Belinda n’achète plus rien d’estampillé Harry Potter : "Je suis obligée de faire un espèce de coming-out 'Cessez de m’offrir des trucs Harry Potter !'", plaisante-t-elle.

Son ancienne passion s’est naturellement transmise à son fils, mais elle tient à lui expliquer pourquoi l’autrice de la saga est une ennemie des personnes LGBTQI+, et donc, de sa propre famille : "J’ai retrouvé une figurine Harry Potter chez mes parents, il l’a voulu et je lui ai donné, mais il m’a bien dit : 'Oui je sais, JK Rowling on ne l’aime pas'". 

Julia, fan de la première heure et toujours attachée à la saga, avait repéré des éléments problématiques des livres, comme les tropes antisémites dans la représentation des gobelins, bien avant les déclarations transphobes de JK Rowling.

Aujourd’hui, elle raconte les histoires à son fils de six ans "en mode woke", en abordant la toxicité du personnage de Dumbledore ou le côté "incel" de Rogue : "En tant que femme afrodescendante lesbienne qui a parmi ses proches des personnes trans, le militantisme d’extrême-droite actif de JK Rowling est très loin d’être anecdotique pour moi."

L’argent des fans d’Harry Potter dans la poche des transphobes

Dans le fandom, l’heure n’est donc plus à se demander si la romancière est transphobe ou non. De son rapprochement idéologique avec Elon Musk quand tous deux ont cyberharcelé la boxeuse championne olympique Imane Khelif, à sa célébration en avril dernier de la décision de la Cour suprême britannique établissant la définition juridique d’une femme comme relevant de son sexe biologique, et plus récemment, son don de plus de 80 000 euros à une association transphobe, JK Rowling ne fait pas mystère de son combat contre les personnes trans.

Et se félicite de voir reculer leurs droits. Elle l’assume d’ailleurs avec une provocation quasi trumpienne, comme en témoignait la photo postée sur X, champagne à la main et cigare aux lèvres se réjouissant par ses mots : "J’aime quand un plan se déroule sans accroc". 

Son combat n’est pas circonscrit à quelques tweets. "Elle le transforme en actions politiques concrètes", s’inquiète Claire, elle aussi Potterhead depuis l’enfance.

Fin mai, l’autrice a annoncé la création d’un fonds privé pour protéger les "droits fondés sur le sexe biologique des femmes", autrement dit, pour soutenir financièrement les actions visant à exclure les personnes trans des milieux professionnels et associatifs.

"Si l’argent des fans de Harry Potter va à des fondations transphobes, alors on se retrouve à financer des actions contre les personnes trans, résume Julie Escurignan. Cela pose des questions éthiques pour les fans, notamment pour des fans queers qui se sont beaucoup appuyés sur cette œuvre".

Fiorellæ a jeté tout ce qui était en rapport avec Harry Potter : "Et j’en avais des trucs ! Même un cosplay, j’avais aussi tricoté une écharpe. Bref, étant autiste, c’était un de mes intérêts spécifiques. Aujourd’hui, je ne peux détacher l’artiste de son œuvre. Je me tiens aux côtés de mes adelphes trans qui veulent juste vivre dignement." 

Se réapproprier et "queeriser" Harry Potter

Pour Claire, plus question non plus de donner un centime : "Je n’ai aucun problème à regarder illégalement les films en streaming. Quant au jeu vidéo, je boycotte. Ce n’est pas comme si on avait grandi avec, contrairement aux livres, qui sont encore une madeleine de Proust pour moi."

Il arrive encore à Lou de regarder des films de la saga, mais elle aussi "sans lâcher une thune", donc en piratant. En tant que femme trans, elle tient à maintenir son lien avec Harry Potter d’un point de vue affectif, mais aussi politique, comme pour dire que la saga "n’appartient pas à JK Rowling" : "C’est une façon de la déposséder de l’œuvre et d’y injecter de la queerness".

Avec la série HBO prévue pour 2026 (dont JK Rowling est productrice exécutive ce qui devrait lui rapporter 20 millions de dollars par an selon Forbes), Lou espère qu’au-delà d’inciter à ne pas la visionner sur la plateforme, ce sera l’occasion de continuer à informer sur les positions de JK Rowling et de marteler que consommer Harry Potter, c’est renforcer la capacité d’action des lobbys d’extrême-droite qui s’attaquent à la communauté LGBTQI+.

Par le passé, d’autres fandoms ont déjà désavoué leur auteur. Julie Escurignan cite Roald Dahl, célèbre écrivain pour la jeunesse à qui l’on doit Matilda ou Sorcières dont les propos antisémites assumés ont fait l’objet d’excuses publiques de la part de ses héritiers.

"Pour ce qui est de JK Rowling, cela se produit de son vivant et avec la première génération de fans, souligne Julie Escurignan. On est en plein dedans, on est cette génération qui a le pouvoir de choisir : va-t-on transmettre le fandom à nos enfants ? Ou le tuer dans l'œuf ? Il y a là un enjeu très politique."