Coline Bach exerce l'un de ces métiers qui fait rêver les fans de mode : styliste de stars. Son goût très sûr et sa connaissance du secteur lui ont permis de travailler pour Omar Sy, DJ Snake ou encore Angèle. Habituée des événements tapis rouges, la trentenaire raconte son quotidien, du Met Gala aux Jeux olympiques, en passant par le Festival de Cannes.
Marie Claire : Quand avez-vous compris que votre métier aurait un lien avec les vêtements ?
Coline Bach : C'est un peu cheesy, mais depuis aussi loin que remontent mes souvenirs, je dessine des croquis de mode. J’ai gardé tous les cahiers de ma scolarité; dans les marges, j’ai retrouvé des dessins d'habits et de silhouettes. Après mon baccalauréat littéraire j’ai intégré l’école d’art appliqué Duperré. C’est l’une des seules à proposer une section mode reconnue gratuite. Parmi les alumnis figurent Alexandre Mattiussi, le fondateur d’Ami, Julien Dossena de Rabanne ou encore Jeanne Friot.
Quel métier visiez-vous avec cette formation ?
À l’époque, je pensais que je deviendrais designer. Mais au cours de mes études, je me suis rendu compte que je n’avais ni la patience ni la concentration pour suivre une collection de A à Z. Cela prend beaucoup de temps, il faut passer par la recherche d’inspiration, de matière, le patronage, les premiers prototypes… Au bout de deux semaines, j’étais ennuyée par le process.
Quand avez-vous changé de voie ?
En parallèle de ma licence pro design de mode, j’ai commencé à écrire des chroniques pour un média en ligne. À cette époque, j’ai appris qu’il y avait une section journalisme de mode à la Central Saint Martins de Londres. Comme c’est une école très renommée, le Graal de la mode dont sont sorti-e-s John Galliano, Alexander McQueen et Phoebe Philo, je ne pensais pas du tout réussir à y entrer.
Vous souvenez-vous de vos premières expériences professionnelles ?
C’est à Londres, alors que je suivais ce master de journalisme de mode, que j’ai commencé à faire des stages dans des magazines. Le tout premier, c’était le titre Tank. J’ai été affectée à l’équipe mode que j’assistais sur des shootings. J’ai eu une épiphanie, je me suis dit : "C’est ça qui me plaît". C’était le juste milieu entre créer des habits, comme je pensais le faire à Duperré, et écrire des articles, ce que je pensais faire à la Central Saint Martins. Le stylisme photo, c’est vraiment la narration d’une histoire à partir de vêtements.
Comment avez-vous débuté que le stylisme de célébrités ?
À l’époque, la styliste de Lady Gaga, Anna Trevelyan, avait beaucoup de succès. Je lui ai écrit un mail sur son blog et elle m’a embauchée comme assistante pendant six mois. J’ai travaillé avec elle sur de gros clips de la chanteuse, comme Judas et Alejandro. C’était hyper intéressant, parce qu’à l’époque, tout le monde voulait l’habiller, donc nous avions accès aux plus grandes marques, qu’Anna Trevelyan mixait avec les créations de jeunes designers à peine sortis de l’école.
Ensuite, je suis entrée à la rédaction de Dazed & Confused, comme assistante de Robbie Spencer, le directeur de la mode, auprès de qui je suis restée deux ans. En parallèle, j’ai continué l’assistanat en free pour les stylistes de célébrités, notamment celle de Madonna, B. Akerlund. Elle était basée à Los Angeles et moi à Londres, donc je devais, à partir de moodboards, lui proposer des pièces sur des thématiques bien précises : bondage, latex, etc.
Et puis, à force, j’ai commencé à être contactée pour faire du stylisme de jeunes talents musicaux. C’est de cette façon que ma carrière a débuté.
Qui était votre premier client ?
C’était un groupe qui s’appelait Years and Years, dont le leader était Olly Alexander et dont le tube King a été numéro dans les charts au Royaume-Uni en 2015. J’ai suivi les membres au festival de Coachella, à Glastonbury, quand ils ont participé au Tonight’ Show… Je les habillais à chacune de leurs apparitions.
En quoi consiste le métier de styliste de stars exactement ?
À redéfinir ou affiner l’image d’un-e artiste en fonction de ses besoins. Je lui propose des pièces qui mettront en valeur ses idées, ce qu’iel a envie de retranscrire et d’incarner à ce moment-là précis de sa carrière.
En général, je demande aux personnes avec qui je travaille de m’envoyer des références de ce qu’elles aiment en mode et de m’indiquer les célébrités dont elles admirent le style pour avoir une idée plus précise de ce à quoi elles aspirent. Je leur suggère aussi de m’indiquer les looks qu’elles ont apprécié porter au cours de leurs carrières, ceux qu’elles ont détesté et de me dire pourquoi. Je propose enfin un moodboard avec différents axes : des idées de tenues pour le tapis rouge, la tournée promotionnelle, les press junkets...
Comme ce sont des célébrités susceptibles d’être paparazzées, je les aide aussi souvent pour leurs silhouettes off duty. Parfois, quand elles documentent beaucoup leur quotidien sur les réseaux sociaux, elles font même appel à moi pour que je les aide à créer leurs looks de vacances. Je me suis occupée de DJ Snake pendant cinq ans et je ne compte pas le nombre d’outfits que je lui ai composé pour ses voyages personnels.
J'aurais adoré habiller Lady Diana
Comment collaborez-vous avec les marques ?
Le rôle d’un-e styliste bien connecté-e avec les maisons de luxe, les bureaux de presse, les attaché-e-s de presse, est d’établir le profil mode de la star dont elle s’occupe auprès de ces différents acteurs. Le but ultime est d’initier des collaborations régulières avec certaines griffes qui, de temps en temps, mènent à des campagnes d’ambassadeur-rice-s.
Cela arrive souvent ?
Disons que c’est dans mon scope de compétences et de responsabilités. Tout dépend aussi de la marge de manœuvre que la célébrité souhaite me confier sur le sujet.
La chanteuse Angèle compte actuellement parmi vos clientes. Comment avez-vous commencé à travailler avec elle ?
Grâce à son chauffeur ! C’est ce que j’explique toujours à mes assistant-e-s et à mes stagiaires : dans le milieu professionnel, il faut être poli-e avec tout le monde, pas seulement avec l’artiste et son agent-e, mais aussi avec les make-up artists, la femme de ménage du studio photo, etc.
En l’occurrence, j’avais rencontré le chauffeur d’Angèle sur un shooting en 2018, à l’époque où il travaillait pour le rappeur MHD, et je m’étais très bien entendue avec lui. Alors, quand un jour, il a entendu Angèle dire qu’elle avait besoin d’un nouveau ou d’une nouvelle styliste, il lui a dit : "Appelez Coline, elle est super". Très vite, Angèle m’a demandé de travailler sur sa tournée Nonante-cinq avec Chanel et la directrice artistique de l’époque, Virginie Viard.
Comment avez-vous imaginé ses looks de scène ?
Nous nous sommes plongées dans les archives de la maison, celles de 1995, année de naissance d’Angèle et avons cherché des silhouettes qui pouvaient correspondre à son show. Les premiers que nous avons repérés étaient majoritairement des looks blancs, du tweed gris, très chic, mais pas vraiment pop. Et puis finalement, nous avons trouvé ce qu’il nous fallait dans la collection printemps-été 1995, avec des boléros colorés, des détails contrastants comme les galons noirs et les bordures sur les poches…
L’idée était d’accorder les codes de Chanel avec ma vision et avec ce dont Angèle avait besoin sur scène pour orienter les customs des tenues. Par exemple, nous avons recouvert une jupe noire de sequins pour qu’elle devienne un élément de costume central.
En dehors des tournées d’Angèle, vous impliquez-vous dans la relation que la chanteuse entretient avec Chanel ?
Mon rôle a plusieurs facettes. Je dois par exemple sélectionner ce qui peut lui plaire pour les différents événements auxquels elle assiste, faire en sorte qu’elle porte suffisamment de Chanel lors de ses apparitions. Et puis dès qu’elle crée du contenu avec la marque, que ce soit pour la presse ou les réseaux sociaux, elle me sollicite. Sans oublier les tapis rouges auxquels elle participe, pour lesquels nous travaillons, avec le studio, sur la création qu’elle portera le jour J.
Au moment où nous nous parlons, vous êtes justement en train de préparer sa participation au Met Gala. Comment anticipe-t-on un tel événement ?
C’est un peu au cas par cas, mais en général, je réalise un moodboard avec des idées de silhouettes. Il y a ensuite un temps d’échange avec la personnalité. En fonction de ce qu’elle aime ou non de mes propositions, j’affine ma recherche, je contacte les marques retenues, je sélectionne plusieurs looks et nous passons aux essayages.
En l’occurrence, pour le Met Gala 2025, le look d’Angèle est évidemment un custom [un ensemble tiré de la collection Chanel automne-hiver 1991-1992 composé d’un corset et d’une jupe lilas enfilés sous un blouson en cuir, ndlr]. Nous avons fait deux essayages en amont du lundi 5 mai. Sur place, ma présence n’est pas forcément nécessaire, puisque 99 % de mon travail a déjà été fait en amont : la retouche de la tenue, la sélection des bijoux, des accessoires, etc.
En ce moment, les stars sont de plus en plus souvent habillées avec des looks tirés des archives des grandes maisons. Est-ce que ce sont les marques qui encouragent cette démarche ?
Non, généralement, elles préfèrent promouvoir leurs dernières collections. Le plus souvent, ce sont les stylistes qui sont à l’origine de ces choix. Dans les années 80-90, il y avait un niveau de sensualité et de liberté dans la créativité, qui est beaucoup moins présent de nos jours. À l’époque, les silhouettes étaient plus outrancières, plus extrêmes. Pour une personnalité, choisir un look vintage, c’est l’assurance d’afficher une tenue impactante sur le tapis rouge et le témoignage d’une solide culture de la mode. Cardi B a plus de substance en Mugler haute couture automne-hiver 1995-1996 que dans une robe qui a défilé à la dernière Fashion Week.
Quelle relation avez-vous avec les personnes que vous habillez ?
Amicale, mais strictement professionnelle. Comme tous-tes les stylistes, j’ai cru par le passé être très proche de certaines stars avec qui je travaillais. Or quand la relation s’arrête, parce qu’elles changent d’équipes ou ont envie de nouveauté, on a tendance à le prendre très à cœur. Ça m’est arrivé avec mes tout premiers clients et j’étais dévastée.
Et avec les marques ?
Disons que la plupart entretiennent de très bons rapports avec moi depuis que je travaille avec Angèle (rires).
Parlons un peu de Cannes. Comment préparez-vous le Festival ?
En amont, les marques écrivent aux stylistes pour savoir qui sera là et à quel moment. À cette occasion, je précise que je viens avec telle ou telle star, j'indique les red carpets auxquels elle a prévu de participer et ensuite, je récupère les looks sélectionnés auprès de la griffe. En fonction du nombre de personnes que j'accompagne, je pars avec leurs valises à Cannes. Pour Omar Sy et sa femme, en 2022, je suis arrivée sur la Croisette avec trois malles de vêtements et d'accessoires.
Comment se passe la Quinzaine ?
En réalité, chaque minute est comptée, donc il y a très peu de temps pour sociabiliser ou passer du temps avec les gens du milieu. Les stylistes qui ont plusieurs client-e-s courent d’un fitting à l’autre. Celleux qui ne s’occupent que d’une seule personnalité enchaînent les préparations pour les différents événements : la montée des marches, les photocalls, les interviews, les dîners de gala… Quand je suis à Cannes, la plupart de mon temps, je le passe dans des palaces pour superviser les essayages.
Parce que tout se prévoit un peu à la dernière minute, non ?
Exactement. Comme les marques le savent, elles sont nombreuses à installer des showrooms éphémères dans des suites d’hôtels, avec des robes et des paires de talons de toutes les tailles.
Qu’est-ce qui est le plus challengeant pendant le Festival ?
Je crois que les gens se font beaucoup de fausses idées. Ils pensent que tu te la coules douce, ils te répètent : "Tu es tellement chanceuse d’aller à Cannes", alors qu’en réalité, tu es la petite souris dans Cendrillon. Tu n’es pas là pour boire des cocktails avec les stars ou pour faire du networking. Le quotidien est plutôt fait d’attentes interminables dans des suites d’hôtels pendant que ton ou ta cliente est sur le red carpet. Une fois que la projection est terminée, il ou elle revient se changer pour la soirée suivante et ainsi de suite durant deux semaines.
Dans votre carrière, quel est le look dont vous êtes le plus fière ?
Sans hésiter, la tenue qu’Angèle portait à la cérémonie de clôture des Jeux olympiques. Je l’avais repérée chez Coperni huit mois plus tôt. Je l’avais déjà demandée en prévision d’un clip et pour la Fashion Week.
Alors quand le management d’Angèle m’a contacté pour Paris 2024, j’ai repensé directement à cette silhouette, une combinaison pantalon avec une mini cape, à laquelle nous avons apporté quelques modifications. C’était tellement simple, et en même temps hyper sexy. D’ailleurs, il est passé à la postérité : pour Halloween, les gens copient ce look !
Est-ce qu’il y a une star avec qui vous rêveriez de travailler ?
J’aurais adoré habiller Lady Diana.
Vous devez avoir vécu des situations improbables ces dernières années, vous auriez une anecdote à nous raconter ?
Oh oui, des tas. Par exemple, en 2015, j’ai porté les chaussures de Madonna pendant une semaine pour qu’elles soient confortables lors de sa venue aux Brit Awards. Bon, c’est la soirée lors de laquelle elle est tombée au cours de sa performance…