En remportant la Route du Rhum en 90, Florence Arthaud est entrée dans l’histoire. Par son courage et sa volonté, cette pionnière faisait entendre sa voix pour faire bouger les lignes. Disparue en 2015 dans un accident d’hélicoptère (sur le tournage de l’émission Dropped, ndlr), elle reste l’une des figures emblématiques du sport nautique féminin.
À l’occasion de la sortie en salles du film “Flo” de Géraldine Danon, nous avons demandé à cinq navigatrices, qui l’ont connue personnellement ou non, de nous raconter leurs souvenirs de Florence Arthaud. Des témoignages émouvants qui montrent l’impact des roles modèles, et la puissance des souvenirs.
Alexia Barrier : “Flo, c’était une amie, une femme libre de ses pensées qui avait de grandes valeurs”
Flo, c’était une amie. J’ai navigué avec elle. Pour moi, c’est évidemment une figure emblématique de la voile, au-delà même de la question d’être un homme ou une femme. Flo, c’était tout simplement un grand marin.
Elle a marqué l'histoire de la voile avec sa victoire sur la route du Rhum, sur son bateau magnifique, un trimaran, pas facile à mener. D'un point de vue plus personnel, elle représentait pour moi une femme libre de ses pensées, de ses choix et très altruiste, très humaine, avec de grandes valeurs. Je pense qu’elle n’a jamais cherché à être une pionnière ou un rôle modèle : elle n’avait rien à prouver. Elle faisait ce qu’elle aimait, avec passion. Et pour moi, c'est ça Flo, c'est une femme passionnée et engagée.
Elle me manque. J’aimerais parfois poursuivre mes conversations avec elle sur plein de sujets de société au-delà du sport, parce qu'elle était vraiment inspirante dans ses propos. Elle avait une personnalité unique.
J’aimerais parfois poursuivre mes conversations avec elle sur plein de sujets de société au-delà du sport, parce qu'elle était vraiment inspirante dans ses propos.
En tant que navigatrice, je ne peux pas dire que je me réfère à elle. Évidemment, elle m’a appris quand on a navigué ensemble. J'ai vraiment apprécié sa manière de barrer. Je pense qu’on se ressemble dans le fait de tracer nos routes, sans regarder ce qu’il se passe à côté.
Une chose que je regrette un peu, c'est qu'on s'intéresse beaucoup à elle maintenant qu'elle n’est plus là alors qu’elle avait eu des difficultés à pouvoir mener ses projets. Elle avait fait ce choix de cette émission de télé pour gagner en notoriété, pour pouvoir monter une course pour la paix et pour les femmes*. Ce serait mieux qu'on s'occupe des gens tant qu'ils sont là et qu'on les écoute un peu plus et de ne pas attendre qu'ils soient partis pour s'intéresser à eux.
Passionnée de voile depuis son plus jeune âge, Alexia Barrier se lance dans un nouveau défi : un tour du monde 100% collectif et féminin, le "Famous Project". "Ça va être une grande première, un peu comme si on allait marcher sur la lune avec les filles de mon équipe", a-t-elle déclaré à France3 PACA.
*Avant sa disparition, Florence Arthaud avait en projet de mettre en place l'Odyssée Des Femmes, une course 100% féminine sur la Méditerranée.
Amélie Grassi : “C’était une pionnière qui a représenté pour moi l’idée que tout est possible quand on est une femme”
“Au tout départ, ce sont mes parents qui m’ont donné le goût de la voile. Mais quand j’ai commencé la régate et que je cherchais des figures auxquelles m'identifier, Florence Arthaud a été l’une d’elles. Elle avait déjà marqué l’histoire en remportant le Rhum en 90. Et encore aujourd’hui, c’est la seule femme qui a gagné cette course mythique**.
Florence Arthaud, c’est une championne qui m’a fait comprendre indirectement que la voile est un sport où le fait d’être une femme ou un homme, ça ne change rien. Au large, la force physique n’a pas d’influence directe sur la performance. Il faut être en forme bien sûr, mais ce n’est pas déterminant ! Il faut surtout être malin et faire les bonnes manœuvres au bon moment.
Les images de Florence victorieuse, qui arrive en Guadeloupe sur son bateau, sont ancrées en moi.
Et Florence Arthaud en avait fait une démonstration remarquable. C’était une pionnière qui a représenté pour moi l’idée que, même au-delà de la voile, tout est possible quand on est une femme. Je n’ai pas eu le plaisir de la connaître, mais les images de Florence victorieuse, qui arrive en Guadeloupe sur son bateau, sont ancrées en moi. Ce sont des images qui ont structuré et nourri mes envies, mon imaginaire… Et je pense que toutes les perfs de femmes d’hier et d’aujourd’hui dans la course au large, ça inspire les suivantes. Ça les autorise à rêver.”
Amélie Grassi, 29 ans, est une navigatrice française basée à Lorient. Elle est à la barre du Class40 La Boulangère Bio, actuellement en course pour la transat Jacques Vabre, en binôme avec Anne-Claire Le Berre.
** À noter, Ellen MacArthur a remporté la Route du Rhum en catégorie IMOCA en 2002 (monocoque), mais cette année-là, c’est Michel Desjoyaux qui est le vainqueur de la course.
Samantha Davies: “je suis très reconnaissante du travail des championnes comme Florence”
“J’ai grandi en Angleterre et j’ai connu Florence Arthaud qu’à partir de mon adolescence. J’ai toujours été une fan inconditionnelle de voile, mais dans l’enfance, c’est la navigatrice britannique Tracy Edwards qui me faisait rêver. Comme Florence a dû faire rêver beaucoup de jeunes filles en France. Puis, à l’adolescence, mes parents ont acheté un petit chalutier. Chaque hiver, ils commandaient un calendrier avec douze très belles photos de voile un peu partout dans le monde. Je les découpais pour en faire des posters pour ma chambre.
Une année, j’ai trouvé une image particulièrement magnifique. Celle d’un trimaran argenté, mené par cette femme, seule sur son bateau, les cheveux au vent. C’était une photo très féminine, très forte, je n’avais pas l’habitude de voir ça. Elle était en maîtrise complète de ce bateau colossal. Cette femme était Florence Arthaud.
Florence a eu la motivation et le courage de suivre ses rêves. Elle nous a donné confiance, nous a montré qu’on pouvait le faire aussi.
Aujourd’hui, avec mon recul de navigatrice, je suis très reconnaissante du travail des championnes comme Florence et Tracy. Contre l’avis de tout le monde, elles ont suivi leur passion dans un monde masculin, à une époque où l’on disait encore que ça portait malheur d’avoir une femme sur un bateau. Il y avait zéro opportunité pour nous de naviguer. Florence a eu la motivation et le courage de suivre ses rêves. Elle nous a donné confiance, nous a montré qu’on pouvait le faire aussi. C’est une vraie inspiration, un rôle modèle.
Avec ses exploits en mer, les attitudes sur les bateaux ont changé vis-à-vis des femmes. Désormais, on sait que les femmes sont capables, qu’elles peuvent apporter une valeur ajoutée à l’équipage et même être le leader. Avant Florence, ce n’était pas des choses que les hommes admettaient. Elle a initié un changement d'attitude qui nous a ouvert la possibilité de faire notre place et de briller.”
Née dans une famille de marins, Samantha Davies a appris à marcher sur le bateau de ses parents. À 49 ans, elle a un palmarès impressionnant : 26 transatlantiques, 3 tours du monde complets et 3 participations au Vendée Globe. À la barre de l’IMOCA Initiatives-Coeurs, elle participe actuellement à la course Jacques Vabre.
Isabelle Joschke : “La première fois que j’ai entendu parler de Florence Arthaud, je devais avoir 12 ans”
“La première fois que j’ai entendu parler de Florence Arthaud, je devais avoir 12 ans. Elle venait de gagner la Route du Rhum. À ce moment-là, moi, je faisais du laser sur le lac de Divonne, un minuscule lac à côté de la Suisse.
Je me souviens qu’un jour, mon coach m’a surnommé Florence Arthaud. Sauf qu’à l’époque, avec mes parents, on ne regardait pas la télévision, je ne savais pas qui elle était. J’ai compris assez vite que c’était quelqu’un d’important. Et plus tard, quand j’ai commencé à naviguer, j’ai découvert le personnage.
Je ne l’ai jamais rencontrée personnellement mais, avec le recul, je me suis rendue compte à quel point avait dû s’adapter, en adoptant les codes masculins de la voile de l’époque.”
À la barre de l’IMOCA Macsf, Isabelle Joschke navigue au grand large. Son défi du moment ? La Transatlantique Jacques Vabre aux côtés de son co-skipper Pierre Brasseur.
Maud Fontenoy : “Quand on aime les femmes fortes, on ne peut qu’admirer Florence Arthaud”
“Florence Arthaud, je n’ai pas eu la chance de la rencontrer. C'est parfois difficile de parler de quelqu'un qu'on n'a jamais vu… Mais en l'occurrence, quand on est navigatrice, forcément, on a suivi Florence Arthaud. Parce que c'était la première, celle qui avait gagné la route du Rhum, celle qui incarnait la liberté, et qui avait ce petit côté mystérieux. C'est une force de la nature.
En tant que jeune fille, je me disais, qu’elle a l'air de n'avoir peur de rien. Elle partait sur son bateau. Elle s’en fichait de ce que l’on pouvait penser d’elle. Elle se battait aux côtés des hommes. Quand on aime les femmes fortes, on ne peut qu’admirer Florence Arthaud. Elle incarnait une femme qui aimait se lancer des défis, qui aimait ce qui n’était pas facile…
J’ai toujours été sensible à ces mots à propos de la mer. Sur la force de la mer, la beauté de la mer.
Et puis à titre personnel, j’ai toujours été sensible à ces mots à propos de la mer. Sur la force de la mer, la beauté de la mer. Nous navigatrices, nous avons un attachement presque charnel à l’océan et on se rejoint là-dessus.
Toutes ces femmes qui partent en mer, de ces femmes très anciennes aux femmes plus contemporaines, de Florence Arthaud en passant par toutes celles qui partent aujourd'hui, qui partiront demain, dont je fais moi-même partie, on a ce goût de l'aventure, ce goût de ce mystère.
Maud Fontenoy est une navigatrice engagée pour les océans. Depuis 2008, sa fondation éponyme œuvre pour une éducation à l'environnement marin auprès de la jeune génération et du grand public. Maud Fontenoy est également autrice. Son dernier ouvrage : “Le livre jeunesse sur les super pouvoirs des animaux marins” (Éd. Nathan) en librairie depuis le 12 octobre 2023.