"J’ai demandé à Maud de recouvrir toutes mes cicatrices. Je ne veux plus rien voir." Allongée sur une table, Fabiola, 47 ans - dont six à combattre un cancer du sein - semble sereine. Penchée sur elle, Maud, dermographe à la main, est prête à dessiner. En rémission, Fabiola espère de ce tatouage qu’il lui fera tourner la page.

Voici plusieurs années que l’association Soeurs d’encre - fondée et présidée par Nathalie Kaïd* - organise "Rose Tattoo", un événement dédié au tatouage post-cancer du sein durant Octobre Rose.

Le principe ? Tous les ans, au moment du mois de sensibilisation au cancer du sein, des femmes déposent une candidature auprès de l’association, auréolée du prix Ruban Rose qualité de vie en 2021. Les heureuses élues sont tatouées lors d’évènements ponctuels, par des professionnelles bénévoles à Paris, Bordeaux, Colmar ou encore Clermont-Ferrand… Le reste de l’année, l’association dirige les patientes intéressées vers des "Rose tatoueuses" actives en région.

Sur les seins, des fleurs à la place des cicatrices 

Cet avant-dernier week-end d'octobre, à Paris, la boutique parisienne "Le Gamin a dix doigts" accueille les Soeurs d’Encre à titre gracieux. Deux jours et une vingtaine de tatouages faits par des femmes pour oublier les stigmates du cancer, en recouvrant les cicatrices laissées par une mastectomie. D'autres parties du corps - le dos, l'abdomen ou la cuisse - peuvent aussi être tatouées, dans le cadre d'une reconstruction par lambeau (prélèvement peau, graisse, muscle pour récréer le volume du sein, en les déplaçant depuis une autre partie du corps, ndlr).

Pour Fabiola, ce sera "quelque chose de floral", histoire de recouvrir "enfin" l’ablation de son sein gauche. "J’ai eu quatre opérations, donc je ne sens pas du tout l’aiguille." Déjà encrée à la hanche droite, cette brune aux cheveux courts a fait le déplacement d’Abbeville avec son compagnon pour ce premier tatouage depuis son cancer.

Ça tourne !

Premier aussi pour Anne, 47 ans, dont 20 passés à tenir une boutique de tatouage. Après un cancer du sein à 40 ans, puis un autre, du rein à 42 ans, son premier cancer devient métastatique en 2019. Depuis, Anne a passé son temps en chimiothérapie. Pour se faire tatouer, elle a obtenu l’accord de son médecin, l’une des conditions imposées par l’association. En effet, letatouage pouvant faire office de porte d’entrée aux infections, il est impossible de le réaliser lorsque l'on est en cours de chimio.

L’autre exigence ? Patienter un an et demi à deux ans après la dernière opération. "Mon médecin a fait analyser mes plaquettes et mes globules pour vérifier que je cicatrisais bien." Si la peau est hyper pigmentée ou fibrosée à cause de la radiothérapie, il faudra impérativement demander un avis médical avant de se faire tatouer. Toutes les précautions sont également prises pour éviter tout risque d'allergie aux encres. Aussi, "la taille du tatouage et la quantité d’encre utilisée doivent rester raisonnable", précise l'association.

Celles qui ont bénéficié d'une reconstruction mammaire ou portent une prothèse peuvent se faire tatouer, "mais pas profondément, en fonction de l’épaisseur de la peau. Si celle-ci apparaît très fine, demander absolument un avis médical", préconise là encore Soeurs d'encre.

J’avais besoin de reprendre possession de mon corps, besoin de l’embellir.

Pour Anne, il n’était plus question d’attendre la guérison. "J’avais besoin de reprendre possession de mon corps, besoin de l’embellir." Comme motif, elle a souhaité une fleur de lotus. "Les patientes demandent souvent du floral, du végétal, de l’ornemental", confirme Alexandra, l’une des dix tatoueuses du week-end. Le deuxième voeu d’Anne, c’est qu’une fois nue, devant la glace, elle ne perçoive plus "ces plis" sur sa poitrine.

Réapprivoiser son corps grâce tatouage 

Le tatouage devient aussi une solution pour celles qui, comme Fabiola, ont vécu le rejet d’une prothèse mammaire. Soudain, son compagnon revient dans la boutique et tente de scruter le travail minutieux de Maud sur le buste de sa chérie. Un tendre sourire se dessine sur leurs visages. "Là, il est heureux, car je le suis… Aussi parce que, dans les moments intimes, je gardais toujours mon soutien-gorge." Ce corps, cette runneuse peinait également à le montrer dans les douches collectives de son club.

Le tatouage n’est plus juste un outil pour aider ces femmes à cacher leurs cicatrices, il redonne une harmonie à leur corps.

Pour l’heure, pas question de voir le résultat : toutes les patientes découvriront l’oeuvre à l’unisson, en fin de journée… Du cellophane sur le buste, son pull revêtu, Manu, 49 ans, attend le moment fatidique. "J’ai toujours voulu me faire un tatouage, donc ça a été une évidence. C’est une opération de reconstruction, de la chirurgie esthétique… sans anesthésie." Tandis que les larmes embaument ses yeux, la Chambérienne se confond en excuses. "C’est un nouveau départ… J’ai hâte de voir le résultat."

Vers un remboursement des tatouages post-cancer du sein ?

Après chaque tatouage, Soeurs d’encre conserve l’étiquette de l’outil qui a servi et informe les patientes des soins à réaliser les jours suivants. Maud, qui tatoue Fabiola, fait "très attention à ne pas trop appuyer" pour que l’encre ne pénètre pas dans la peau.

C’est une opération de reconstruction, de la chirurgie esthétique… sans anesthésie.

"On organise des sessions d’information durant lesquelles une chirurgienne explique aux tatoueuses les zones à éviter et les contre-indications après un cancer du sein", rassure Nathalie Kaïd. En 2010, cette photographe et plasticienne expose à Bordeaux ses clichés de poitrines de femmes à travers les âges. L’Institut Bergonié, basé dans la capitale girondine, finance alors le projet dans le cadre d’Octobre Rose. Nathalie Kaïd rencontre alors des femmes atteintes d'un cancer du sein.

"J’ai vu des corps mutilés et je me suis interrogée sur les raisons qui incitent à se faire tatouer." Nathalie Kaïd se prend de passion pour l’art de recouvrir son corps et imagine offrir des tatouages à des "cancéreuses du sein", en lien avec l’Institut Bergonié, pour sécuriser l’initiative au niveau médical. "J’ai vu des femmes fortes et j’ai voulu agir pour elles." Une fois son projet en tête, Nathalie a rameuté des tatoueuses. "Bien sûr que j’ai accepté, insiste Alexandra. Si mon travail peut aider ces femmes…".

C’est en 2016 que le premier Rose Tattoo a lieu, avec le soutien d’oncologues et de dermatologues bordelais. "On a fait tatouer une patiente et elle m’a dit 'Maintenant, tu vois, on est soeurs d’encre'. L’expression est restée." L’association naît en 2017, à Bordeaux.

J’ai vu des corps mutilés et je me suis interrogée sur les raisons qui incitent à se faire tatouer.

Soeurs d’encre est aussi devenu un combat personnel pour Nathalie Kaïd. "Le tatouage est le journal intime du corps", compare celle qui a perdu ses deux parents d’un cancer. Son association a grandi en même temps que sa passion pour le tatouage. Depuis son premier dessin corporel, il y a dix ans, la photographe a aujourd’hui la peau recouverte d’encre. "Le dernier est un hommage à mon papa", indique avec fierté la photographe de 57 ans en désignant son poignet gauche. "Aujourd’hui, le tatouage n’est plus juste un outil pour aider ces femmes à cacher leurs cicatrices, il redonne une harmonie à leur corps."

Depuis 2019, l’association est référencée par l'Association Francophone des Soins Oncologiques de Support (AFSOS). En 2021, Soeurs d’encre a signé une première convention avec la Caisse d’Assurance maladie de la Gironde pour que le tatouage soit remboursé sur conditions de revenus. Elle espère que d’autres suivront.

À la fin de la journée, Fabiola se découvre enfin dans le miroir, très émue. "Je ne vois plus du tout les cicatrices… C’est un merveilleux tatouage, il efface tous les mauvais souvenirs… Ça y est, la page se tourne."

* Nathalie Kaïd a publié l'ouvrage artistique S’aimer Tatouée (Éd. Vega), qui regroupe 195 témoignages de femmes tatouées et tatoueuses, 530 photographies couleur avec un dossier de 30 pages Rose Tattoo dédié au tatouage après un cancer du sein et une préface de Philippe Liotard sociologue et e´piste´mologue, enseignant- chercheur a` l’Universite´ de Lyon. 

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La tatoueuse Hannah Graciano réalise le tatouage de Anne

Nathalie Kaïd
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Maud alias Silverfoxtattoo et Fabiola

Nathalie Kaïd
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Maud, la "Rose tatoueuse" pose avec sa modèle, Fabiola, et son nouveau tatouage

Nathalie Kaïd
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La tatoueuse Hannah Graciano et Anne

Nathalie Kaïd
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La "Rose tatoueuse" Mauella Ana fait découvrir son tatouage à Manu

Nathalie Kaïd
[Dossier] Octobre Rose : tous unis contre le cancer du sein avec l'association Ruban Rose - 51 articles à consulter

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