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Cancer du sein : quand le partage sur les réseaux sociaux rend plus forte

Par Géraldine Dormoy
partage cancer sein
Face à la maladie, de plus en plus de patientes éprouvent le besoin d'exprimer leur ressenti sur Instagram ou dans une association. Quatre femmes nous racontent comment prendre la parole les a aidées à avancer sur le chemin de la guérison.

Laure Guéroult-Accolas a vécu son cancer du sein bien entourée mais isolée. "C'était en 2009, j'avais 39 ans, je vivais à l'étranger avec mon mari et mes enfants, à l'époque il n'y avait pas beaucoup de communication sur les femmes jeunes touchées par cette maladie", se souvient-elle. Lorsqu'elle rentre en France deux ans plus tard, elle réalise que son sentiment d'avoir manqué d'informations utiles est partagé par de nombreuses femmes.

En 2014, elle fonde Mon réseau cancer du sein pour faciliter l'échange avec d'autres personnes et l'accès à une information fiable. Sa plateforme digitale rencontre un tel écho qu'elle l'a depuis déclinée, sous le nom de Patients en réseau, sur d'autres types de cancer. Elle sait pourtant qu'oser verbaliser la maladie n'est pas facile.

"C'est pour cette raison que l'on veille à séparer le monde des patients de celui des proches, explique-t-elle. On puise de la force auprès des personnes qui vivent la même chose. Échanger entre pairs permet de se lâcher et de dire quand ça ne va pas sans risquer d'effrayer ou de heurter l'entourage." Un cocon protecteur que plébiscite Anne-Vincent Salomon, pathologiste à l'Institut Curie et présidente du comité scientifique de Ruban Rose : "Dire que l'on a un cancer reste un moment bouleversant, mais ce n'est plus un signe de faiblesse. L'essentiel est de comprendre son parcours de soins : dès que l'on sait où l'on va aller, on a moins peur. En parler entre patients permet de s'approprier le sujet."

Avec l'essor des réseaux sociaux, nombreuses sont celles atteintes d'un cancer du sein à évoquer en ligne leur quotidien sous les hashtags #cancerdusein ou #kfighteuse. Les motivations d'Émilie, Magali, Marie-France et Nina, que nous avons rencontrées, sont multiples : besoin de rompre l'isolement, de partager les émotions et les questionnements, volonté de briser un tabou, urgence à sensibiliser. Pour celles qui s'étaient déjà constitué une communauté avant la maladie, cela implique en outre de composer avec les projections de leurs abonné.es. "Parce que je suis influenceuse, les gens s'imaginent que ma vie est parfaite, pointe Émilie Daudin, alias @emiliebrunette sur Instagram. J'ai voulu montrer que ça n'était pas le cas."

Toutes insistent sur la bienveillance et la sincérité qui entourent ces échanges. "On entend beaucoup de choses négatives sur les réseaux sociaux mais je n'ai jamais essuyé la moindre remarque blessante", constate Marie-France. Laure Guéroult-Accolas y voit l'expression d'une sororité bâtie contre un ennemi commun : "Les malades livrent bataille et apportent leur soutien à celles qui sont en première ligne. Elles s'encouragent, compatissent, se félicitent des victoires." Le ton est souvent joyeux, voire teinté d'humour noir. "Dédramatiser permet de ne pas se laisser envahir par le cancer, note Anne-Vincent Salomon. En rire, c'est le remettre à sa juste place."

Comment, toutefois, se prémunir contre le caractère parfois anxiogène de ces espaces de partage ? Nina est membre des Triplettes, un groupe Facebook réservé aux personnes atteintes d'un cancer triple négatif : "À un moment, j'y ai appris la mort de plusieurs membres. Je n'y allais plus, ça me faisait trop peur." Elle a aussi su s'éloigner périodiquement d'Instagram : "Quand je reçois trop de messages privés de témoignages, je prends mes distances quelques jours."

Laure Guéroult-Accolas invite chacune à respecter son rythme et sa sensibilité. En cas de doute, "on peut commencer à échanger en ligne quand les traitements sont finis, pour bien gérer l'après-cancer", suggère-t-elle. Jusqu'à quand poursuivre les échanges ? En général, la reprise du travail est marquée par une moindre disponibilité, mais toutes ne se détournent pas pour autant du sujet. En rémission d'un cancer du sein, Alexandra Mariez a créé l'année dernière le compte instagram @allons_y_prevention, sur lequel elle met chaque jour en ligne le témoignage vidéo d'une personne atteinte ou guérie d'un cancer. Elle n'envisage pas d'interrompre son action.

"J'ai une mutation génétique, précise-t-elle. Cela m'obsède. Autant prendre le pouvoir sur la manière dont le cancer me prend la tête !" Elle a déjà un nouveau projet, sur YouTube cette fois. Magali, elle, a décidé de devenir bénévole au sein du collectif Jeune & Rose. "L'association a changé ma vie, s'enthousiasme-t-elle. Écouter, comprendre, donner de l'espoir à mon tour m'apportent beaucoup." Nina aussi s'inscrit dans une démarche d'entraide : "J'ai réalisé que mon expérience pouvait aussi permettre à d'autres de mieux savoir à quoi s'attendre."

Fédérés, ces témoignages aident les soignant.es à mieux se mettre à la place des patient.es. La puissance du groupe s'exerce même politiquement : en attente du Trodelvy, un médicament innovant destiné aux personnes atteintes d'un cancer triple négatif et dont le laboratoire américain n'assure la distribution en France qu'au compte-gouttes, les malades se sont mobilisées. Une pétition a recueilli près de cent mille signatures et sensibilisé les pouvoirs publics. Une nouvelle preuve que l'union fait la force. 

Nina Camara, 32 ans : "Je n'ai jamais reçu autant d'amour"

Comment avez-vous découvert que vous aviez un cancer ? Aux toilettes, en juin 2020, j'ai soudain cru que l'on me transperçait avec un pic. À la palpation, j'ai senti une boule. Mon médecin traitant m'a auscultée, a supposé un kyste mais m'a fait faire une mammographie. Une IRM puis une biopsie ont confirmé que j'avais un cancer du sein, triple négatif.

Comment avez-vous décidé d'en parler sur Instagram ? J'ai hésité. À l'époque, je ne montrais que des photos sur mon compte, suivi par deux mille personnes. J'écrivais mon ressenti face à la maladie dans un carnet, mais ça ne me suffisait pas. J'ai écrit mon premier post après ma première chimio, à un rythme frénétique. Tout ce que je retenais est sorti.

Quelles ont été les réactions ? Je craignais de recevoir des remarques ou des conseils, mais les gens m'ont juste envoyé de la force et des ondes positives. Beaucoup de femmes m'ont avoué qu'elles étaient passées par là mais qu'elles n'en avaient jamais parlé sur leur compte. Le sujet reste tabou. D'autres ont eu du mal à y croire : "Tout a l'air si bien dans ta vie", m'écrivaient-elles, comme si sembler épanouie pouvait protéger de la maladie.

Qu'est-ce que cela vous a apporté ? Je n'ai jamais reçu autant d'amour. La barrière entre réel et virtuel est devenue floue, je ne m'adresse plus à de simples pseudos. Pouvoir échanger avec d'autres malades a aussi été très libérateur : avec sa famille, on ne peut pas tout dire.

@ninacamara

Marie-France Manoliu, 67 ans : "Notre combat nous unit"

Comment avez-vous découvert que vous aviez un cancer ? Lors d'une mammographie de contrôle, en 2019. Mais ma fille en avait eu un deux ans plus tôt. Je l'avais accompagnée, cet univers m'était déjà familier.

Comment avez-vous décidé d'en parler sur Instagram ? Après ma tumorectomie, j'ai commencé à aller sur ce réseau social. Énormément de jeunes femmes échangeaient sur leur maladie mais, passé 65 ans, il n'y avait pas grand monde. Je trouvais important de laisser mon témoignage.

Qu'est-ce que cela vous a apporté ? Ce qui fait peur dans le cancer, c'est de ne pas savoir. Dialoguer avec des personnes qui sont passées par là et qui sont guéries, ça donne un élan formidable. On peut même y parler de choses très privées : en ligne, les gens sont vrais. Et disponibles ! Un jour, à 23 heures, alors que j'angoissais au fond de mon lit à l'idée de ma première chimio, quelqu'un m'a répondu et a su m'apaiser. Instagram m'a permis de connaître de magnifiques personnes que je n'aurais pas pu rencontrer autrement car nous ne sommes pas de la même classe sociale, du même âge ou de la même origine. Face à la maladie, ces différences s'oublient, notre combat nous unit.

Vous êtes sur le chemin de la rémission, pourquoi continuer d'échanger ? Par envie de redonner ce que l'on m'a donné. L'après-cancer est difficile. En me montrant souriante, j'espère encourager les suivantes. Et puis, il y a des personnes auxquelles on s'attache !

@le_crabe_de_manou

Émilie Daudin, 33 ans : "Gynécologues, sages-femmes, écoutez vos patientes !"

Comment avez-vous découvert que vous aviez un cancer ? Trois mois après la naissance de ma fille, j'ai senti une boule dans mon sein droit. Elle me faisait mal. J'en ai parlé à ma sage-femme, mais elle a cru à une déchirure musculaire. Une seconde sage-femme a eu le même avis. La douleur ne passait pas. Je suis finalement allée faire une échographie mammaire en octobre 2020. Les examens ont révélé un cancer du sein triple négatif, très agressif.

Comment votre communauté - Plus de 115 000 abonné.es sur Instagram - a-t-elle réagi à l'annonce ? Ça a été une onde de choc. J'ai reçu des milliers de messages privés. J'en ai parlé sur les réseaux sociaux et sur mon blog, mais aussi dans un épisode de mon podcast Pow[HER], afin d'inciter à prendre sa santé en main. Plein de femmes sont allées se faire contrôler, et plusieurs m'ont à leur tour annoncé leur cancer.

Pourquoi était-il important de partager votre expérience de la maladie ? J'ai voulu utiliser mon influence pour démythifier le cancer. Quand on évoque la chimio, on imagine une femme malade au fond de son lit. Mais la vie ne s'arrête pas pour autant. Je voulais aussi alerter le corps médical, qui pense souvent qu'à moins de 40 ans, sans antécédent familial, on ne peut pas avoir de cancer du sein. Si, ça arrive. Gynécologues, sages-femmes, écoutez vos patientes !

@emiiliebrunette

Magali Frutoso, 42 ans :"On se confie plus facilement à des gens qu'on ne connaît pas"

Comment avez-vous découvert que vous aviez un cancer ? Par autopalpation, en septembre 2019. Les examens ont révélé un cancer du sein HER2 positif (forme de cancer particulièrement agressive, ndlr).

Avec qui avez-vous décidé d'en parler, en dehors de votre entourage ? J'étais tombée sur une publication de l'association Jeune & Rose, qui aide les jeunes femmes et dont le siège est près de chez moi, en Gironde. Après ma première chimio, je l'ai appelée. J'avais besoin d'échanger avec quelqu'un qui avait déjà vécu la maladie. Mélanie, la co-fondatrice, m'a répondu. On a discuté pendant deux heures, sans tabou ni rôle à jouer.

L'association dispose d'un groupe Facebook privé mais organise également des événements et ateliers de prévention... Chaque support a son importance. Pouvoir appeler quand on veut, c'est l'essence même du collectif. Sur le groupe Facebook, on lit des réponses à des questions que l'on n'ose pas formuler. Les rencontres, hyper-joyeuses, permettent de se retrouver avec bandeaux, perruques ou tête nue, sans complexes. 

Pourquoi vous être engagée à votre tour ? Je souhaitais m'investir dans une association depuis longtemps. Après ma radiothérapie, j'ai proposé mon aide pour les permanences téléphoniques. Je me sentais prête à écouter avec le recul nécessaire. Je savais aussi que l'on se confie plus facilement à des gens qu'on ne connaît pas.

[Dossier] Octobre Rose : tous unis contre le cancer du sein avec l'association Ruban Rose - 51 articles à consulter
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