Ce jeudi soir, entraînement au Boxing Beats... Allongée en ligne, au sol, dans la salle, la jeune Ambre enchaîne les pompes à un rythme quasi militaire.

À ses côtés, ses camarades garçons font de même. La synchronisation est parfaite. "Tu t'es pesée ?", lui demande, inquiète, sa maman. Ce week-end, Ambre participe à une compétition dans le Nord, du côté d'Olhain. "Elle doit être entre 57 et 60 kilos, poursuit Soraya, qui conduit sa fille trois fois par semaine pour ses entraînements depuis Margency, petite bourgade dans l'Oise, à une heure de route. Elle en fait depuis qu'elle a huit ans et on voulait qu'elle progresse, justifie Soraya. On connaissait le club pour sa réputation vis-à-vis des boxeuses, donc c'était évident qu'il fallait qu'elle s'entraîne ici".

Après son entraînement, Ambre conte son parcours d'une voix douce et posée. "La boxe me libère l'esprit. Il me suffit d'avoir un sac de frappe, et ça fait tellement de bien de se défouler". Une fois passé ses gammes du côté d'Argenteuil, Ambre a rejoint Aubervilliers. "Je manquais de partenaires pour m'entraîner, donc j'ai choisi de changer". 

Aujourd'hui, la jeune fille se nourrit avec patience des conseils du coach emblématique du club, Saïd Bennajem. "Il me dit souvent qu'un bras avant, ça peut mettre KO. Et qu'il faut donc que je travaille mon esquive". On sent chez Ambre une intense hâte. C'est qu'elle a un objectif clair en tête. "Je veux devenir championne olympique".

Boxe féminine : le Boxing Beats comme référence

En France, l'engouement pour la boxe s'est accru depuis 2012, quand l'épreuve féminine a rejoint le plus grand événement sportif au monde. Un engouement record s'en est suivi dans l'Hexagone : entre 2013 et 2020, le pourcentage de pratiquantes est passé de 19 à 29 %.

Parmi les clubs qui font la part belle aux femmes, le Boxing Beats est devenu une référence. Le club reçoit aujourd'hui plus d'inscriptions féminines que masculines. "40% de nos pratiquants sont des femmes", fait remarquer Saïd Bennajem.

Depuis 1986, le Boxing Beats a décroché 58 titres de championnes de France, contre 15, côté masculin. C'est ce qui a incité Yuma, 24 ans, à rejoindre "Auber'" il y a un an. Cette étudiante à l'École nationale supérieure des arts décoratifs se sent bien dans cette salle. "Ils sont tous tellement bienveillants, et ici, il y a une âme, quelque chose de puissant...".

Après la boxe thaïe et le MMA, Yuma s'est dirigée vers le noble art. Elle n'a pas pu pratiquer pendant quatre ans, à la suite d'une rupture des ligaments croisés. Mais Yuma s'est rattrapée lors de son échange universitaire à Cincinnati, aux États-Unis.

"Au premier abord, la boxe paraît très violente. On voit du sang, des nez cassés. Mais une fois en club, il se passe bien plus de choses en nous-mêmes et avec les autres. C'est un sport chaleureux... Les interactions, le fait de donner de soi, de s'investir de façon totale... ça m'a parlée".

"Pour une fille, la boxe, c'est un double combat"

Après un tour de chauffe, Inès Grante s'assoit sur une chaise près de la maman d'Ambre. Soraya détaille à la boxeuse les restrictions alimentaires de sa fille.

"Pour une fille, la boxe, c'est un double combat", répond la combattante, rieuse, et dont les cheveux bouclés cachent son bandana Nike transpirant. "On est pesée en compétition, mais on doit aussi gérer le fait que les règles influent sur notre performance...".

Pas assez pour l'empêcher de performer sur les rings. En quelques saisons, Inès Grante est devenue l'une des étoiles du club. Ces dernières semaines, elle prépare son dixième et dernier combat de la saison. Après 17 ans de judo et trois ans de sport-études, elle s'est mise au noble art en 2021 et boxe aujourd'hui en moins de 63 kilos.

"Cela m'a fait beaucoup du bien de débuter un sport de zéro, car je ne ressens aucune frustration, j'apprends la patience". Quelques minutes plus tôt, l'un de ses camarades lui versait de l'eau dans sa bouche, tandis que ses gants l'empêchaient de tenir sa bouteille. "Au départ, c'était le début, j'assimilais les bases. Et là, l'entraînement devient plus précis".

Depuis quelques mois, Inès s'est aussi accordé les services d'un préparateur mental, Grégory Boulicaut. Vice-championne de France en 2024, vainqueure de la Coupe de France et gagnante de la ceinture WBC amateur, Inès est arrivée au club après avoir été conquise par sa notoriété de faiseuse de championnes.

"Stelly Fergé, une boxeuse reconnue, m'a dit que l'un des entraîneurs, Saïd Bennajem, s'occupait beaucoup des femmes via l'exemple de Sarah Ourahmoune, se souvient Inès. C'est le premier coach à avoir fait boxer une fille en France".

Un "club de gonzesses" assumé

Le combat fut long. Pendant très longtemps, les femmes n'avaient pas le droit de cité au Boxing Beats. Elles étaient même exclues. En témoigne l'expérience vécue par Sarah Ourahmoune, à la fin des années 1990.

À cette époque, en France, il n'y a pas de compétition féminine. Alors, quand Sarah débarque, les mecs la rejettent. "On me disait de retourner dans ma cuisine", raconte l'ancienne boxeuse, devenue entrepreneuse et aux responsabilités inspirantes, jusqu'au comité national olympique.

Alors qu'elle déménage avec sa famille à Aubervilliers, Sarah Ourahmoune atterrit le jour de ses 14 ans au Boxing Beats. Une histoire de hasard. "Je faisais du taekwondo et je cherchais un endroit où je pouvais continuer. Sauf que je me suis trompée de lieu". 

Il suffit de peu pour faire un destin. Sarah s'émerveille du noble art. Huitième de finaliste en 1992 aux Jeux de Barcelone, Saïd Bennajem prend alors l'ado sous son aile. Il la guide, la coache, jusqu'à balayer les critiques. "On nous reprochait d'être devenu un 'club de gonzesses'. Mais on le revendiquait". 

La boxe féminine est autorisée en 1999, et au début des années 2000, le club organise des évènements pour développer une vraie section féminine. Démonstrations, discussions, et projections des films Girlfight et Million Dollar Baby, désormais cultes. L'inscription des femmes devient gratuite, les licenciées affluent, la mayonnaise prend.

Lucie Bertaud et Sarah Ourahmoune, fers de lance du club, remportent des titres. Dix fois championne de France, un titre de championne de l'Union européenne, un titre mondial, pour Sarah Ourahmoune. Et puis, en 2016, c'est le Graal. La médaille d'argent aux Jeux de Rio, deux ans après la naissance de sa première fille. Retraitée des rings depuis, la désormais vice-présidente du Comité national olympique, a monté sa boîte de coaching dans la boxe. À l'image de sa figure de proue, le Boxing Beats s'est ainsi forgé une réputation de club de championnes.

Les recettes du succès

"Encore un shadow !", lance la présidente du club depuis deux ans, Djouher Hadj-Henni, 38 ans, à l'un de ses camarades coachs. "On a une compétition ce week-end, donc il faut préparer les boxeurs".

Au milieu des mecs, Yuma se sent à sa place. "On a la chance d'avoir des garçons très respectueux, qui nous encouragent, avec qui je fais des sparrings. Je ne sens pas d'ego et on n'est pas au-dessus des garçons. En fait, femmes et hommes sont sur un pied d'égalité et Saïd y tient".

Hasard, on croise ce jour une figure bien connue de la boxe, Sadaf Khadem, 28 ans. La dernière fois qu'on avait entendu parler d'elle, la boxeuse iranienne exilée en France avait trouvé refuge du côté de Royan, avec l'appui du boxeur franco-iranien Mahyar Monshipour.

Là-bas, le 13 avril 2019, et devant 1 500 personnes, elle était devenue la première femme vivant en Iran à participer à un combat officiel amateur. Après un BTS technico-commercial, Sadaf Khadem est revenue vivre en juillet 2023 en région parisienne : d'abord d'abord entraînée à Bagnolet, elle atterrit à Aubervilliers.

"Il n'y avait pas de femmes à Bagnolet. Saïd sait que les femmes ont besoin d'attention. Ici, je suis comme dans une famille, bien accueillie. Il fait attention au comportement des hommes". Son objectif, aujourd'hui ? Concourir un jour pour la France.

Boxer à l'international pour passer un cap

L'exemple de Sadaf Khadem est inspirant, comme celui de Sarah Ourahmoune. Mais malgré la volonté des boxeuses les plus prometteuses, le Boxing Beats et ses championnes butent toujours sur des obstacles.

"Au niveau de l'entraînement, il n'y a pas de différence de genre, se félicite Inès Grante. Par contre, sur la prise en charge fédérale c'est différent, selon moi. Ce serait bien qu'il y ait encore plus de stages pour les femmes". Au quotidien, Inès Grante partage son temps entre un magasin Nike, où elle est vendeuse, et des cours de judo qu'elle donne dans des écoles.

En boxe comme dans le sport, pas de secret : la compétition, la confrontation, c'est ce qui fait progresser. Sauf qu'Inès Grante s'épuise de toujours combattre "contre les mêmes concurrentes" et le frein que cela représente en termes de progression. "Il n'y a pas beaucoup de filles sur le circuit national et le club n'a pas toujours les moyens de nous emmener à l'étranger, déplore la championne. Pour passer un cap, pour prendre de l'expérience, il faut combattre à l'international". 

Le club, lui aussi, aimerait bien accompagner ses pépites. "Hormis le budget, on n'a pas assez de coachs", regrette Djouher Hadj-Henni. Pas de combat, pas de perspective d'évolution.

L'espoir d'Inès, c'est donc que les Jeux de Paris 2024 apportent "un nouvel élan" parce que "des femmes, il y en a, et elles performent". En attendant un avenir plus radieux, ces boxeuses font scintiller l'âme du Boxing Beats.

"Les filles n'ont plus peur d'affronter des garçons, se réjouit Saïd Bennajem. Elles sont les premières quand il s'agit de s'investir pour le club. Si on valorise une fille, elle va prendre confiance et elle va performer. En tout cas, je suis sûr d'une chose : la femme sera l'avenir de la boxe".

Cet article a été publié dans le hors série Marie Claire "Game ChangeHer" (juillet 2024).