Dans un monde gouverné par l'image, notamment pour les femmes, Billie Eilish a déboulé dans la pop culture tel un ovni.

La vingtaine éclatante, ce porte-drapeau de la génération Z maîtrise son art, sa communication et son style vestimentaire. D'ailleurs, son look fait partie intégrante de son succès planétaire.

Et si l'interprète de Lost Cause a longtemps été fière de son allure de tomboy qui la protégeait, d'une certaine manière, du regard des autres, elle passe à la silhouette de femme fatale sans aucun mal. Illustration.

Une dégaine hétéroclite

Difficile de définir le style de Billie Eilish. Fan de streetwearelle réussit à mixer les codes de la mode outerwear et ceux de la mode punk, comme par exemple avec sa coupe signature, cheveux noirs et racines néon. Une versatilité vestimentaire à l'image de sa génération : la "gen Z" (née entre 1995 et 2010) qui s'inspire de toutes les époques et de tous les horizons pour se concocter un style déclassé.

Pourtant, il y a bien un type de vêtements dont Billie Eilish, raffole par-dessus tout : les pièces surtaillées. Baggys, pantacourts, chemises, joggings... La musicienne a l'air de sortir tout droit d'un clip des années 2000, une époque à laquelle les tendances mode étaient notamment dictées par les artistes hip-hop et R&B.

Cela lui a d'ailleurs valu des critiques : si Billie Eilish s'est déjà comparée ironiquement au rappeur Soulja Boy, on lui reproche de copier le look des artistes noir-e-s qui font vivre la scène rap américaine, sans jamais les créditer.

Égérie de marques et zones d'ombre

Néanmoins, grâce à son sens du style, la popstar est vite devenue une icône de mode prisée par les marques. En 2019, elle a coréalisé une collection pour la griffe écoresponsable de Stella McCartney, la designer anglaise avec qui elle partage des convictions vegan. La même année, elle a évoqué son rapport aux habits dans la campagne #SpeakMyTruth de Calvin Klein.

Souvent interrogée sur son look, l'interprète de Everything I Wanted a confié vouloir cultiver certaines zones d'ombre à propos d'elle, de sorte que le monde n'en sache jamais trop. "C'est pour ça que je porte des vêtements larges. Personne ne peut porter de jugement, car personne n'a vu ce qui se cache en dessous", affirme-t-elle. "Personne ne peut dire "elle a des courbes généreuses" ou le contraire, "elle a un gros cul" ou "elle n'a pas de cul". Les gens ne peuvent rien dire, parce qu'ils ne savent rien."

Billie Eilish vs. l'hypersexualisation

Pas de vêtements moulants, ni de robes. Consciente que son corps risque d'être instrumentalisé, Billie Eilish fait le choix de la protection et du contrôle. Un parti pris qui transparaît d'ailleurs jusque dans sa carrière : elle compose, interprète ses chansons et réalise même certains de ses clips vidéos.

S'il y a quelques années, il était anodin de voir Britney Spears hypersexualisée dès son plus jeune âge par la presse et son propre staff, Billie Eilish a décidé de se protéger de ces dérives. Mais malgré tout ses efforts, elle doit faire face, en 2019, à des paparazzades publiées contre son gré et à des clichés volés diffusés sans son autorisation sur les réseaux sociaux. Elle y porte notamment un hoodie dézippé et un débardeur qui laisse apercevoir sa poitrine.

Des internautes partagent le cliché accompagné de commentaires glauques, se félicitant de découvrir enfin la "vraie Billie Eilish". Sa réponse ? Le 27 mai 2020, la chanteuse dévoile le clip de Not My Responsibility dans lequel elle fait coulisser le zip de son pull à capuche. La ressemblance avec les photos dévoilées sur Internet est frappante, seulement cette fois, c'est elle qui orchestre le shooting...

La revanche d'une blonde

Il faut attendre l'année suivante pour assister à un revirement de situation. Exit la chevelure néon, la vedette au style punk-ish est désormais blonde platine. Elle annonce dans la foulée la sortie de son nouvel album Happier Than Ever. Comprenez : c'est le début d'une nouvelle ère.

Avril 2021. Celle qui chante Bad Guy déclenche un raz de marée lorsqu'elle apparaît, plus sexy que jamais, sur la couverture du British Vogue, vêtue de lingerie Agent Provocateur et d'un corset Gucci. Avec ses boucles blondes et ses gants longs en latex, Billie Eilish, 20 ans, a des allures de pin-up. Quelques mois plus tard, coprésidente du Met Gala, l'Américaine apparaît dans une longue robe poudrée Oscar de la Renta, casque platine sur la tête. Un clin d'œil à la sensualité assumée de Marilyn Monroe.

Comment expliquer ce nouveau look en total contradiction avec ses propos passés ? Assiste-t-on à une crise d'adolescence à la Selena Gomez post-Disney Channel qui s'émancipe à travers le film Spring Breakers ? Certain-e-s observateur-rice-s n'hésitent pas à faire le rapprochement avec un syndrome Miley Cyrus. C'est vrai que la teinture blonde et le twerk de Billie Eilish dans le clip Lost Cause ne sont pas sans rappeler sa compatriote époque Bangerz...

Mais en réalité, cette métamorphose traduit simplement une nouvelle fois le libre arbitre de Billie Eilish. C'est la revanche d'une jeune femme qui décide de porter ce qu'elle désire, en dépit des commentaires qui pourraient l'en dissuader. Ce faisant, l'artiste assène un coup au male gaze, omniprésente police de l'image qui supervisait jusqu'ici les artistes féminines de la pop. La preuve ultime ? Sa participation à la BO du film étiqueté féministe de Greta Gerwig, Barbie. Son titre What Was I Made For remporte l'Oscar de la meilleure chanson originale en 2024. Ce qui mérite bien une standing ovation.