Pièces durables par excellence, les bijoux portent des récits de vies à travers les générations et les frontières.
D’une bague mexicaine à des boucles d’oreilles en diamant, quatre jeunes adultes partagent l’histoire d’un bijou qui a marqué leur famille.
Les diamants, symbole de solidarité
Quand elle a reçu des boucles d’oreilles avec deux diamants, tous simples, attachés à des fermoirs, Iris ne s’est pas émue outre mesure.
Ces pierres de 5 millimètres ne sont pas forcément son style et sur le coup, elle n’a pas saisi leur valeur. "Je les ai eues dans un petit sachet en velours le jour de mes 18 ans, et au début je n’ai pas trop compris pourquoi".
Après l’invasion de Bucarest par l’Armée rouge en 1944, les grands parents d’Iris veulent fuir la Roumanie pour échapper au régime communiste et à l’antisémitisme qui pèse sur celui qui deviendra son grand-père. Il leur faudra attendre les années 70 pour y parvenir, période où ils parviennent à négocier un passage vers Israël.
"Sauf que c’est très compliqué : tu pars sans argent, ta vie tient dans trois valises et tu dois te reconstruire dans un pays étranger", observe la jeune femme.
Finalement, ce sera la France dans laquelle ils arrivent, avec très peu, de moyens dans les années 80 et rencontrent Vivi, une amie qui a également réussi à fuir à Paris.
Les objets te permettent de poser des questions pour mieux comprendre ton histoire à travers la leur. - Lucas
Iris : "Vivi n’avait pas d’argent, mais elle avait réussi à emporter un collier de diamants. Au cours de sa vie en France, elle a vendu, diamant par diamant. La quasi-totalité du collier pour construire une vie. Mais elle les a aussi partagé avec ses amis : je crois qu’une dizaine de personnes ont réussi leur migration grâce à cette ressource".
Cette solidarité a aidé grands-parents d’Iris, qui ont même réussi à conserver trois diamants dans la famille, dont ceux sur ses boucles d’oreilles.
Pour elle, ces bijoux évoquent des émotions mitigées : "Quand je les regarde, je pense à cette solidarité mais aussi à la pression et la difficulté de réussir son immigration. Mes grands-parents s’en sont sortis, mais on ressent aussi cette injonction à réussir autant qu’eux".
Garder la mémoire de son passé
Lucas, lui, connaît depuis longtemps l’histoire du bracelet dont il nous parle, qui lui venait de sa grand-mère.
"J’ai toujours été extrêmement proche de mes grands-parents maternels. Mon grand-père, que j’ai perdu l’année dernière, était algérien. Il a épousé ma grand-mère, une française, qui est venue vivre avec lui en Algérie", se souvient-il.
Alors qu’elle y habite, elle se prend de passion pour le pays et passe beaucoup de temps à y voyager. C’est notamment au Sud, dans le Sahara, qu’elle découvre les cultures touaregs et leur savoir-faire en matière de bijouterie.
Le couple déménage ensuite en France, où Lucas se souvient : "Je regardais toujours les objets sur la commode de ma grand-mère, avec des toiles de Baya, qu’elle a connue, accrochées aux murs."
Il reçoit l’un de ces bracelets à 14 ans, et l’a porté tous les jours pendant des années. Pour lui c’était un moyen d’interroger ses grands-parents sur leur vie et comprendre ses origines.
Je crois qu’une dizaine de personnes ont réussi leur migration grâce à cette ressource. - Iris
"J’ai perdu ce bracelet, mais pour moi il a été un fil qui me reliait à ce sujet qui m'interrogeait beaucoup", explique-t-il, "C’est une part de ton identité, mais que tu connais assez mal, et les objets te permettent de poser des questions pour mieux comprendre ton histoire à travers la leur".
Les bijoux pour honorer une culture réprimée
Marie tient sa bague de sa grand-mère, originaire du Mexique qui a quitté le pays aux côtés de ses parents, pour des raisons qui lui sont inconnues. Ce bijou, elle l'a ramenée caché dans sa jupe où il est resté tout au long de sa traversée de l’Atlantique en 1937.
"Elle est toute cabossée, car elle la gardait dans sa poche: c’est une pierre de jade claire, qui représente le visage d’une divinité Maya ou Aztèque. Elle est sertie d’argent, donc je crois qu’elle avait peur d’un vol. Au départ, elle appartenait à mon arrière-grand-mère, née à Pazcuaro”.
Arrivé dans le Sud, son arrière-grand-père décède rapidement et sa femme doit reprendre l’entreprise familiale. Avec sa fille, elles souffrent du racisme.
"À ton arrivée en France, tu devais lisser ton identité, effacer tes traditions et ta manière de parler, de t’habiller… Une de mes grand-tantes a francisé son prénom. Et ma grand-mère, qui a dû renoncer à sa nationalité mexicaine pour les papiers français, a refusé d’enseigner l’espagnol à ma mère", résume cette dernière.
Pour sa famille, les bijoux sont une façon de conserver une partie de cette culture réprimée.
[Les bijoux créent] des liens intergénérationnels. - Clémence
"Les affaires mexicaines ont toujours une grande place chez nous. Ma mère a eu la chance d’hériter de beaucoup de biens, et j’ai eu cette bague à mes 18 ans. J’ai toujours voulu avoir quelque chose de ma grand-mère", explique Marie.
Pour elle, c'est l’occasion de mieux comprendre ce qu'a vécu cette mère qu'elle n'a pas connue : "Je me pose tellement de questions sur sa vie, donc ça fait du bien d’avoir cet élément tangible qui lui a appartenu. Elle avait une personnalité et une histoire complexe bien sûr, mais en tant que femme latina, on projette beaucoup de clichés sur cette identité. Outre ces morceaux d’identité, elle avait un caractère bien à elle, et cette bague bien à elle".
Les bijoux comme souvenirs transgénérationnels
Pour Clémence aussi, le bijou est un signe de ralliement familial. Habitant au Maroc, son arrière-grand-mère a acheté un lot de bagues identiques à Casablanca, pour les transmettre aux différentes générations de femmes de la famille.
L’une de ces pièces en or marocain serti d’une pierre verte et ovale a été offerte à sa grand-mère, qui l’a portée jusqu’à sa mort avant que Clémence n'en hérite. "J’ai plombé l’ambiance de mon dix-huitième anniversaire ! J’avais perdu ma grand-mère récemment, et je me suis effondrée en larmes quand j’ai reçu cette bague en cadeau. C’était très symbolique pour moi. Je la porte tout le temps, sauf pour me baigner." se souvient-elle.
À ton arrivée en France, tu devais lisser ton identité, effacer tes traditions et ta manière de parler, de t’habiller... - Marie
Pour elle, c’est un lien fort avec cette femme dont elle était très proche "Je l’ai tellement vue la porter : elle faisait beaucoup d’activité manuelles, comme de la couture, donc j’observais constamment ses mains et cette bague qui les ornaient. Au tout début, la porter m’évoquait les premières choses que je faisais sans elle, donc beaucoup de mélancolie. Maintenant, c’est plus doux et joyeux".
Comme souvent, les bijoux permettent d’honorer ou d’imaginer des vies à travers les familles : "Cette bague me fait aussi penser à mon arrière grand-mère, que je n’ai pas connue mais qui avait l’air d’avoir un sacré caractère ! Je trouve qu’il y a quelque chose avec les bijoux, on imagine la vie des gens qui les ont portés. Ça crée des liens intergénérationnels".