S'il y a une chose que les tiktokeur·euses maîtrisent à la perfection, c'est le sens de la mise en scène.

Et sur des réseaux sociaux où chaque micro-épisode du quotidien peut être transformé en événement digne d'être partagé, le moment de la toilette est en passe de devenir, lui aussi, objet de sublimation. À ce titre, le bain semble s'être délesté de sa fonction purement hygiéniste, pour devenir un temps de ralentissement et de reconnexion à soi, les réseaux sociaux consacrant le terme de "bathscaping", soit le fait de recréer chez soi des décors de spa à l'esthétique léchée.

Mais aussi, plus récemment, celui de "everything bath", version immergée et allongée de la "everything shower" popularisée par Gwyneth Paltrow, qui consiste à faire appel à un maximum de produits de soin de la peau, du visage et des cheveux au moment de la toilette.

Recréer la thalasso à domicile 

S'il est souvent présenté comme une pratique archaïque, à mille lieues des préoccupations sur la raréfaction des ressources, le bain semble pourtant faire de la résistance.

"Depuis plusieurs années, nos enquêtes montrent que 9 Français·es sur 10 préfèrent la douche au bain, sans que le bain ne disparaisse pour autant des pratiques, note Nathalie Davoisne, responsable du pôle étude du Centre d'information sur l'eau. La relation à la douche est purement hygiéniste, un geste du quotidien. Le bain incarne, lui, un moment de détente, de plaisir, de soin accordé à soi".

Une distinction qui trouve sa déclinaison marchande, le "bath leisure", ces gammes de produits permettant de créer des rituels qui présenteraient de véritables vertus pour la santé (sommeil, tension artérielle ou musculaire, régulation du système nerveux).

Parmi eux, le kit routine complète (bougie, peignoir, gel lavant et sels de bain) de la marque Vieve, de l'influenceuse américaine Jamie Genevieve, les poudres de bain régulatrices de pH développées par Susanne Kaufmann, ou encore les produits de la marque française Yanne Wellness, dont les cosmétiques marins (poudres de bain, gels douche aux algues) souhaitent recréer l'univers des thalassos, à domicile.

Un amour du bain universel 

Historiquement, il n'existe pas une époque ou une culture qui n'ait édicté de règles de conduite sur notre rapport à l'immersion.

Élevé au rang d'art via les onsen et les sentô au Japon, lieu de purification de l'âme dans la tradition juive, conspué sous la Renaissance où l'on pensait que des miasmes pouvaient pénétrer par l'eau dans les pores de la peau, le bain a lentement mué d'une pratique collective et publique à un acte éminemment intime.

Dans Le Propre et le Sale, l'hygiène du corps depuis le Moyen Âge (éd. Seuil, 2013), l'historien Georges Vigarello retrace la conquête, par la bourgeoisie parisienne "d'un bain devenu explicitement lieu d'intimité dans des hôtels particuliers" et d'une eau désormais fournie « à volonté ».

Quid de la planète ?

C'est bien la question écologique qui aurait pu, à jamais, vider le bain de sa substance. La pratique a été régulièrement pointée du doigt depuis le début des années 2000, quand les premières campagnes écologistes ont mis en lumière la consommation d'eau excessive liée à ce rituel.

"La douche est vraiment économique en eau si elle dure cinq minutes seulement, précise encore Nathalie Davoisne. Si l'on prend une douche de vingt minutes en laissant couler l'eau, autant prendre un bain. Une solution si l'on veut le plaisir d'un bain de temps en temps, c'est de remplir une petite moitié de baignoire seulement et de se rincer le corps avec l'eau qui s'y trouve".

Et tenter de se détendre, ainsi, en évitant toute éco-anxiété.

Cet article a été publié dans le magazine Marie Claire n°867 (décembre 2024)