Des célébrités qui viennent soutenir Gérard Depardieu lors de son procès pour agressions sexuelles, le droit à l’IVG toujours plus malmené aux États-Unis, la multiplication des discours masculinistes de la part de Donald Trump et Elon Musk, ou encore, le retour en force du modèle de la "tradwife" sur les réseaux sociaux… Bref, nous sommes en plein "backlash féministe", véritable "retour de bâton" contre les droits des femmes après des avancées significatives.

Alors qu’en 2017, le mouvement #MeToo secouait Hollywood, inondait la Toile de témoignages, et émergeait en France, la parole qui dénonçait des violences sexistes et sexuelles se libérait, "la honte" semblait peu à peu "changer de camp". Que reste-t-il de cet élan en 2025 ? Pourquoi avons l'impression que l'opinion a fait "un pas en avant" pour "trois pas en arrière" sur les droits des femmes ?

Ce terme de "backlash", doté d’une "vertu explicative" selon Laurence Rosier, linguiste et autrice de l'essai La Riposte : Femmes, discours et violences (Payot, février 2025) a envahi les médias, donnant "l’impression que les femmes se trouvent dans une position 'réactive', alors que dans les faits, ce sont elles qui sont 'proactives'". 

Face à ce nouveau retour en arrière, et la fatigue militante qui s’installe, comment alors continuer à lutter et ne pas perdre espoir ? Deux femmes, deux féministes engagées, issues de deux générations différentes, nous répondent. L’une a 77 ans. Elle figurait parmi les militantes engagées du MLF (mouvement de libération des femmes) et du MLAC (mouvement pour la liberté de l'avortement et de la contraception), dont elle était même la porte-parole. Annie Chemla a bravé la loi pour porter le combat de la légalisation de l’avortement. L’autre est âgée de 58 ans. Linguiste, Laurence Rosier étudie les discours féministes qui ont permis aux femmes de riposter et d’affronter le patriarcat.

Un nouveau "retour du bâton" pour les droits des femmes

Après la victoire du droit à l’avortement en 1975, "un retour de bâton" s’est opéré "dans les années 90-2000", se souvient Annie Chemla. Après des années de lutte, le féminisme est devenu tabou, presque honteux : "On disait : 'Je ne suis pas féministe, mais…'", confie-t-elle. "Quand on intervenait en tant que féministe, on s’excusait d’être là, et d’être féministe." Un signe clair de cette régression : les noms des collectifs et associations fondés durant cette période : "Osons le féminisme", "Encore féministe"…

La pop culture a, elle aussi, été témoin de ce recul à l'époque. Les pubs sont redevenues "humiliantes et agressives à l’égard des femmes", revoit l’ancienne "faiseuse d’anges". Dans un même temps, il y a "eu un retour massif et régressif de l’image de la femme au foyer traditionnelle", rembobine l'interview, déplorant que ce soit de nouveau le cas aujourd'hui, avec la tendance "tradwife" dont le hashtag comptabilise plus de 50 000 publications sur TikTok. 

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À l’ère du "post-MeToo", on observe une montée en puissance des idéologies masculinistes, notamment chez les jeunes, comme le rapportait le dernier rapport annuel du Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes (HCE). En 2023, 29 % des hommes âgés de 25 à 34 ans estimaient que "les hommes sont plus performants dans les carrières scientifiques". Pour Laurence Rosier, "la solidarité virale et vitale qui unit les femmes a déclenché et redéclenché les attaques" venant des idéologies opposées. Qui énumère : "La violence verbale, les menaces, la propagation de discours de haine sur les réseaux sociaux..."

Le backlash féministe, une douloureuse période de "solitude" et de découragement

Si le backlash n’a rien de nouveau et existe depuis que les femmes "ont quitté l’espace intime pour intégrer et prendre la parole dans l’espace public", comme nous le rappelle la linguiste, il n’en reste pas moins difficile, même dangereux pour elles.

"C’est plus que jamais le moment de continuer" Annie Chemla et Laurence Rosier

Harcèlement, cyberharcèlement, diffusion de photos… Le backlash que nous connaissons aujourd’hui se révèle être "plus violent" que celui survenu après la lutte pour le droit à l’avortement, selon Annie Chemla. En cause, l’apparition d’Internet, puis des réseaux sociaux, qui offrent un large espace de parole et permettent aux différentes communautés de se retrouver. Pourtant, si les femmes ne veulent pas "subir d’abus ou de cyberviolence, elles doivent s’invisibiliser, sans quoi, la société les juge responsables de ce qu’elles subissent", explique l’autrice de La Riposte. 

Nouvelles formes, mais même recul et isolement après d'importantes avancées. La septuagénaire interrogée se souvient des années qui ont suivi la popularité du MLF et du MLAC et l'adoption de la loi Veil. "Je me sentais très seule. Après tout ce qu'on avait vécu ensemble [entre militantes, ndlr], j'avais absolument besoin de continuer. Mais je n'ai trouvé trouver personne pour m'écouter ni même avec qui en parler. J'avais l'impression que la société était en train d'oublier notre combat." 

Garder espoir grâce à la sororité

Difficile de continuer à lutter, de ne pas baisser les bras, dans un tel contexte. Pourtant, les deux interviewées gardent espoir. "C’est plus que jamais le moment de continuer", affirment-elles l'une après l'autre.

Comment ? Pour la professeure en analyse du discours, chacune, "à son petit niveau", peut poursuivre la lutte en développant une "rhétorique de la riposte, une autodéfense verbale". Un "esprit de la punchline", résume-t-elle, en usant de sarcasme, et retournant les arguments utilisés par "l’oppresseur" contre lui.

À son époque, Annie Chemla utilisait la chanson. De l'autre côté du téléphone, elle fredonne son texte, Cause toujours, tu m’intéresses, qui s’avère être en réalité une "attaque détournée" : "Notre libération, ce n’est pas du bidon / Ils disent : On n’est pas tous des salauds (sic) / On ne serait pas MLF s’ils n’étaient pas phallos."

L’éducation est un autre axe de lutte qu’il ne faut pas négliger, souligne Laurence Rosier. Et ce, dès l’école primaire, pour "déconstruire les stéréotypes" et enseigner aux petites filles qu’elles sont les égales des petits garçons. Dans les universités aussi, il est important de parler de féminisme. Où elle enseigne, l'essayiste constate un "ras-le-bol général" chez les jeunes. Le signe pour elle qu’il ne faut "rien lâcher, continuer pour leur redonner espoir, leur dire : 'Le combat continue'".

"Le rapport de force s’est inversé, les idées féministes sont soutenues et entendues. C'est un signal qu’on est en train de progresser et de gagner du terrain" Annie Chemla

"Optimistes" comme elles se qualifient l'une et l'autre, les deux interviewées n'ont pas perdu espoir. En constatant le nombre de rassemblements dans les rues des villes françaises le 8 mars dernier, à l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes, l’ancienne porte-parole du MLAC a même ressenti une grande fierté face à la capacité des femmes à "recréer une force collective extraordinaire". Elle se soubient : "Il y a des années, on était peu à descendre manifester dans les rues."

C’est "collectivement qu’on peut encore avancer et faire front dans ce backlash", abonde Laurence Rosier. La "sororité" s’impose comme la solution, et ce, depuis toujours, pour Annie Chemla.

C’est d’ailleurs le message qu’elle transmet dans son livre Nous l’avons fait : récit d’une libération féministe, publié en 2024 aux éditions Du Détour. Dans ce backlash que nous traversons, plus qu'un recul, l'autrice perçoit "plutôt signal que le rapport de force s’est inversé et que les idées féministes sont soutenues et entendues". Presque la preuve "que nous sommes en train de progresser et de gagner du terrain".