L'art et la mode sont deux domaines interconnectés, ce qu'Ayça Özbank Taskan le prouve chaque jour. Architecte de formation, la créatrice franco-turque a fondé, avec son époux, la marque Mara Paris en 2015. Une jeune maison qui a su se faire une place dans le paysage joaillier grâce à ses accessoires aux inspirations arty non dissimulées. Pour célébrer ses 10 ans, la griffe saute dans le grand bain : celui de la joaillerie fine.

Lip cuff en or massif, sautoir pavé de diamants et boucles d'oreilles constellé de gemmes : Mara Paris met sa créativité à l'épreuve au fil de sa première ligne high jewelry intitulée "Natura Forma". En cette année anniversaire, Marie Claire s'est entretenu avec Ayça Öbank Taskan, cofondatrice de la marque.

Marie Claire : Ayça Öbank Taskan, vous êtes architecte de formation. Qu'est-ce que ce métier vous a appris ?
Ayça Öbank Taskan : J'ai fait mes études à Venise, en Italie, où j'ai obtenu ma licence à l'Université IUAV di Venezia avant d'aller à Milan poursuivre un master à Politecnico di Milano. L'architecture est un domaine très intéressant, car c'est la base de beaucoup de disciplines liées au design. J'ai eu la chance d'étudier en Italie où, bien sûr, l'art occupe une place très, très centrale. Cette expérience m'a permis de trouver un précieux équilibre entre la technique, l'esthétique et l'histoire de l'art.

À l'époque où j'étais encore à la fac, j'ai eu l'opportunité de travailler dans une agence d'architecture renommée, Cino Zucchi Architetti. Puis, j'ai travaillé à l'étranger, en France, en Finlande. J'ai même eu, pendant ma carrière d'architecte, la possibilité d'écrire des articles sur l'architecture.

À quoi ressemblaient vos journées de travail ?
Elles étaient très longues. Dans ce métier, il n'y a pas de vraie séparation entre le travail et la vie personnelle. Quand on est architecte, il faut sans cesse apprendre, s'enrichir, rester informé sur tout ce qui est important techniquement, mais aussi sur la culture générale, l'histoire de l'art, le design. C'est toute une mentalité. Pour ma part, j'ai toujours été très intéressée par l'art, parce que je viens d'une famille d'artistes. Quand j'étais petite, c'était, avec le design, des sujets quotidiens autour de moi.

Il existe différentes branches d'architecture : vous pouvez choisir une carrière axée sur la technique ou bien une filière qui mélange l'art et l'architecture. J'étais plus intéressée par cette seconde option.

Quand avez-vous décidé de changer de profession et pourquoi la joaillerie ?
Je n'ai pas eu de déclic précis, ça s'est fait progressivement. Ma curiosité et l'ouverture d'esprit que m'a apportée l'architecture m'ont poussé à relever des défis. J'ai d'abord travaillé sur des projets de design, à différentes échelles, avant de penser à la joaillerie. En architecture, on dit souvent que les bâtiments publics sont les sculptures d’une ville. Ils marquent le paysage, mais aussi les émotions collectives. J'ai grandi avec cette sensibilité que j'applique aujourd'hui à une autre échelle : je vois chaque bijou comme une sculpture intime, qui vient habiller, compléter, prolonger le corps. Quand j'ai réalisé que je portais ce regard-là sur la fabrication de joyaux, je me suis lancée.

Ce qui me guide avant tout, c'est la recherche de formes qui provoquent une émotion

Contrairement à la mode, la joaillerie est un secteur qui ne semble accessible qu'aux expert-e-s en la matière. Ça a été facile de vous familiariser avec les spécificités techniques de cette industrie ?
Je ne peux pas dire que ça a été facile, mais je ne dirai pas non plus que c'est difficile. Mon expérience en tant qu'architecte m'a beaucoup aidée parce que, dès la fac, on nous encourageait à être autonomes, à apprendre par nous-mêmes.

Quand j'ai dessiné la toute première collection de bijoux Mara Paris, je ne savais pas à quoi ressemblait le processus de fabrication de bijou. J'ai fait une petite maquette, j'ai fait appel à un artisan que je connaissais déjà et j'ai passé une semaine dans son atelier. C'est comme ça que j'ai commencé à apprendre les techniques et à compléter mes connaissances. Car le design, ce n'est pas simplement une affaire d'esthétique. Je le vois à travers nos artisan-e-s, c'est beaucoup de boulot et iels sont de véritables passioné-e-s.

Et vous pouvez compter sur votre cofondateur, qui est également designer...
Oui, c'est Gökçe Taskan, mon mari. On est partenaire dans la vie et dans le boulot. Lui aussi est designer de formation, et à deux, nous nous répartissons les différents aspects de la marque. Je m'occupe plus de la partie concrète, c'est-à-dire la création des collections. Mon époux vient d'un background plus technologique, plus digital. Nous nous complétons.

La genèse de Mara Paris

Mara Paris naît donc en 2015. Quelles ambitions aviez-vous en tête à ce moment-là ?
Quand nous avons créé Mara Paris il y a dix ans, mon intention était claire : concevoir des bijoux comme des objets d'expression personnelle, entre art, architecture et émotion. Je venais du monde du design et de l'architecture, et je voulais apporter cette rigueur des formes, cette recherche de fluidité, dans l'univers du bijou. Ma vision créative n'a pas fondamentalement changé, mais elle a pris en maturité.

Ce qui me guide avant tout, c'est la recherche de formes qui provoquent un sentiment. J'ai besoin de ressentir un vrai élan, une excitation intérieure. Tout commence par une inspiration, quelque chose qui me touche souvent de manière très personnelle. Ensuite, je cherche à lui donner une forme qui intrigue, qui émeut, qui fait naître une réaction chez celui ou celle qui la porte. C'est ça, mon moteur : trouver des formes qui font vibrer.

Et comment définissez-vous le style de la marque ?
Insolite, original, moderne, mais en même temps, très réaliste. L'idée, c'est de proposer des accessoires qui sortent de l'ordinaire et qui sont facilement reconnaissables. Nos bijoux aident à s'exprimer, à décrire son style sans avoir à parler. Ce sont des objets qui aident aussi à se transformer. 

Parlez-nous du tout premier bijou que vous avez-créé. Avec du recul, en êtes-vous toujours aussi fière ?
Je commence toujours par concevoir une collection entière. La toute première était assez géométrique, dans le style Bauhaus, et, bien sûr, j'en suis toujours fière. Nous créons des pièces intemporelles que nous continuons à proposer sur plusieurs saisons. Par exemple, aujourd'hui encore, certains designs de notre deuxième collection se vendent. C'est pourquoi, nous n'avons pas d'offre saisonnière.

Parmi vos premiers best-sellers, il y a le "pod cuff" pour Air Pods. Comment avez-vous eu l’idée de ce bijou ?
C'est une histoire marrante qui remonte à peu après la naissance de mon fils. Nous étions en pleine période Covid, la vie quotidienne n'était pas simple et j'avais acheté mes premiers AirPods. Le problème, c'est qu'il était difficile de les garder, car ils tombaient souvent. Comme j'adore imaginer des ear cuffs, ces bijoux qui font le tour de l'oreille, l'idée m'est venue un jour de dessiner un accessoire fashion et fonctionnel, qui m'aiderait à garder en place mes écouteurs sans fil. C'est comme ça que les premiers Pod Cuff sont nés et ils ont vite rencontré leur public. 

Beaucoup de grandes marques ont créé des collections pour ce type d'accessoires depuis, mais nous avons été parmi les premières sur ce terrain.

Vos pièces sont portées par les stars, dans les magazines et sur tapis rouge. Qu'est-ce qui leur plaît tant dans vos designs ?
Leur esthétique unique. Notre marque est audacieuse, nous avons à la fois des pièces statement, mais aussi des bijoux moins grands qui attirent l'attention et suscitent beaucoup de questions, notamment sur la façon dont ils tiennent. 

Quelle star rêvez-vous de voir en Mara Paris ?
Dernièrement, je pense à des Françaises comme Juliette Binoche, Isabelle Huppert. Et puis Tilda Swinton qui n'a pas encore porté nos bijoux.

Mara Paris passe la joaillerie précieuse

Vous célébrez vos dix ans avec une première collection de joaillerie fine. Comment avez-vous sauté le pas et pourquoi ce virage ?
C'est une idée que nous avions en tête depuis un bon moment, et l'anniversaire de Mara Paris s'est présenté comme l'occasion parfaite pour la concrétiser. Cette décennie marque un nouveau chapitre. Nous étions curieux, car une collection de haute joaillerie, ça donne envie. Bien sûr, les principes fondamentaux de l'artisanat restent les mêmes, mais l'approche, elle, est différente. C'est un vrai challenge qui nous sort de notre quotidien. Et puis, nos client-e-s nous ont confié leur envie de porter des bijoux Mara Paris avec de l'or et des diamants. Ça nous a motivé.

Qu'est-ce qui change de la création de bijoux "classiques" ?
La haute joaillerie, en général, reste assez classique dans ses designs. On y retrouve souvent pièces figuratives, des animaux ou des formes géométriques. Il y a aussi des contraintes techniques : quand on commence à travailler le diamant, le processus de fabrication se complique. Ce que nous avons voulu faire, c'est conserver l'esprit Mara Paris et c'est là tout le défi. Moderniser et trouver des formes qui font vibrer tout le monde.

Pourquoi ce nom, "Natura Forma" ?
Car cette collection est inspirée de la beauté brute du monde naturel. La nature est fréquemment une source d'inspiration pour les artistes et les architectes. Pour nous, il ne s'agissait pas de reproduire littéralement ce qu'on y observe, mais plutôt de capter ses tensions, sa douceur organique, et de les transposer dans le diamant.

De quoi rêve-t-on encore après avoir lancé sa ligne de joaillerie fine ?
De baucoup de choses. Je ne considère pas les bijoux comme de simples accessoires ornementaux. Avec cette mentalité, nous pouvons créer tous types d'objets, à des échelles diverses et avec des fonctionnalités différentes.

J'aime les challenges, alors j'adorerais me lancer dans des projets très variés, qu'il s'agisse de fabrication de mobilier pour la maison, d'objets d'art ou de pièces du quotidien sublimées par une touche précieuse.