"J’ai le sentiment que ces stages sont nécessaires en termes d’empowerment, d’acquisition de confiance en soi, de se sentir libre de ses mouvements. Et aussi pour savoir que le corps de l’adversaire est vulnérable, et que toi, tu as de la force."

À 46 ans, Mélanie a franchi le pas en avril 2023, elle qui avait toujours eu envie de participer à un stage d’autodéfense. Pour Mathilde Blézat, autrice du livre Pour l’autodéfense féministe - Enquête et récits, "les gens opprimés se sont toujours défendus. La 1ère occurrence de l’autodéfense féministe, ce sont les Suffragettes. Édith Garrud les formaient au ju-jitsu, pour se défendre de la police et des antiféministes, en axant notamment sur l’effet de surprise pour déstabiliser l’agresseur."

"Déconstruction de la supposée faiblesse" des femmes et introspection

Les stages en tant que tels ont par la suite été développés par les mouvements féministes, "et surtout par les lesbiennes, très présentes dans l’histoire de ces stages", note l’autrice. Longtemps, le terme accolé "féministe" a pu en stopper certaines. Des associations interrogées par Mathilde Blézat indiquaient d’ailleurs "autodéfense pour femmes", afin d’en toucher le plus grand nombre. "Il n’y pas besoin de se sentir féministe en réalité. L’idée étant simplement de lutter contre les violences, grâce à des outils concrets."

"On se sent mieux qu’en n’ayant pas d’autres possibilités que de subir, parce que c’est la seule chose qu’on attend des filles et des femmes." Lucie, 36 ans

Mélanie y a vu pour sa part une forme "de déconstruction de la supposée faiblesse" des femmes. Un environnement et des échanges qui lui ont permis de "réfléchir aux freins qu’on se met". Que l’agression soit physique ou verbale, les stages, souvent d’une durée de deux jours et restant délibérément mystérieux en amont sur leur contenu, offrent aux participantes une introspection intéressante, celles-ci découvrant, non sans surprise, qu’elles ne partent pas de zéro.

"Tu passes au crible des moments vécus, et tu te rends compte qu’inconsciemment tu utilisais déjà des réflexes de l’autodéfense", note la quadragénaire. Mélanie se rappelle également un scénario du stage avec un potentiel agresseur à califourchon sur sa victime, et la technique pour s’en débarrasser. "Ce truc que tu penses impossible est en réalité possible. Tu expérimentes donc que tu as en toi des ressources insoupçonnées pour te défendre. Ça te donne une sacrée confiance !"

Un intérêt croissant

Un vécu que partage Lucie, de 10 ans sa cadette, et deux stages à son actif. La jeune femme a subi plusieurs agressions au cours de sa vie et a réalisé qu’on ne lui avait jamais appris à se défendre. Pire, qu’il ne fallait surtout pas, "sous peine d’ 'exciter' l’agresseur !" "Ça change énormément de choses de savoir qu’on a la capacité de se défendre. Ça n’enlève pas la peur, mais, déjà, savoir où frapper et quels dégâts ça cause fait qu’on se sent mieux qu’en n’ayant pas d’autres possibilités que de subir, parce que c’est la seule chose qu’on attend des filles et des femmes. En tout cas ça a été mon cas."

Le stage de Lucie s’est déroulé avec la technique Riposte, méthode née au Québec dans les années 80, et arrivée en France dans les années 2000.

"Toutes les femmes devrait avoir la possibilité de le faire une fois dans leur vie." Aurore, 36 ans

Ancienne participante, Pauline est aujourd’hui animatrice de ces stages depuis quatre ans. Elle constate sur ces dernières années une augmentation de la demande due à une forme de légitimité de ces stages, acquise par le temps et le bouche-à-oreille.

"Ce n’est pas un espace de pure militance. On n’est pas là pour apprendre l’histoire du féminisme ! Et ce n’est ni un cours d’art martial, ni de sport, ni de self-défense." Le stage est davantage une ressource, dont il faut savoir se saisir à un moment qui nous convient. Pour Aurore, 36 ans, "toutes les femmes devrait avoir la possibilité de le faire une fois dans leur vie".

Elle se souvient des techniques de défense apprises, savoir porter un coup, simplement pour se mettre en sécurité. "Ça rassure beaucoup sur nous. Je suis plus assurée grâce à ce stage. On nous redonne le pouvoir d’agir."

Des ateliers proposés à des victimes de violences conjugales

"C’est aujourd’hui considéré comme un outil à part entière dans la lutte contre les violences sexistes et sexuelles, assure Pauline, l’animatrice. Réussir à toucher des acteurs institutionnels permet d’ouvrir à d’autres publics." Et pour cause, la jeune femme travaille à présent avec des associations axées parentalité ou des collectivités. Ainsi, au CCAS (Centre Communal d'Action Sociale) de Lannion, deux stages par an sont proposées aux femmes volontaires.

Marianne Somé, responsable du pôle Action sociale, a vite été convaincue. Au CCAS sont reçues des femmes victimes de violences conjugales, et des ateliers collectifs leur sont proposés, selon leurs demandes. "Ces femmes nous disent souvent 'moi je voudrais pouvoir regarder mon ex dans les yeux’ ou ‘je voudrais ne plus avoir peur de faire des cauchemars', 'de me promener seule'… J’ai cherché des solutions, et suis tombée sur l’autodéfense."

La responsable, qui a voulu faire le stage afin de savoir ce qu’allaient vivre ces femmes, a spécifié les particularités de son public à Pauline, l’objectif étant clair : reprendre de l’assurance, tenir le regard, éviter un coup. Et balayer la forte appréhension qui précède cette expérience. "Elles m’évoquent après un stage libératoire mais épuisant. Ça réveille énormément de choses chez elles, il faut penser un temps de débrief post-stage."

"Un moment très joyeux" 

Fédérateur, l’espace-temps clos et puissant du stage créé des liens entre ces femmes aux vécus traumatiques et parfois similaires. "Elles se rendent compte qu’elles ne sot pas seules. Elle se recontactent parfois entre elles après. C’est une expérience très positive", constate Marianne Somé.

On réalise qu’un cri puissant est déjà un moyen de se défendre. Il faut donc et apprendre à le faire, et surtout s’autoriser à le faire.

 Les femmes qui se présentent à Pauline, la formatrice, sont de tous âges, et viennent par curiosité. Beaucoup, à la suite de violences vécues. Pour l’animatrice, il faut commencer par déconstruire la culpabilité qui les tenaillent.

"Elles vivent comme un échec leur agression, me disent qu’elles n’ont pas réussi à réagir. Alors qu’en fait, elles ont mis en place des choses concrètes pour se sortir de cette situation." Ensuite, se pose la question de la légitimité à se défendre. "Il faut débloquer ça." Les femmes ont le droit de courir, de crier, de frapper. "On réalise qu’un cri puissant est déjà un moyen de se défendre, raconte Mélanie. Il faut donc et apprendre à le faire, et surtout s’autoriser à le faire". 

Si ces pratiques d’autodéfense étaient confidentielles, pour Mathilde Blézat, elles sont bel et bien aujourd’hui sorties de la clandestinité, et accessibles au grand public. "Ce sont des outils peu compliqués à acquérir. C’est aussi un moment très joyeux. Et le déclic est très fort. Ça vient dire : 'c’est faisable'."