"Même si le féminisme contribue à déconstruire cette injonction, on a toujours envie de s'enlever les poils, on a été éduquées comme ça !" Pour Juliette Lenrouilly, résister à la pression à l’épilation reste un combat. Co-autrice de l’enquête Parlons Poil aux éditions Massot, Léa Taieb et elle ont cherché à comprendre pourquoi les femmes sont toujours sous contrôle quand il s’agit de leur pilosité et pourquoi l’épilation reste un indéboulonnable passage obligé.
"Le poil, c’est l’attribut masculin par excellence dans une société patriarcale et capitaliste où il est impératif de différencier les genres", rappelle Juliette Lenrouilly. Mais si le diktat de la peau impeccablement lisse n’a pas disparu, loin de là, dans les pratiques individuelles, les choses ont un peu bougé : le nombre de femmes qui arrêtent de s’épiler à augmenté, selon un sondage Ifop pour Charles, passant de 15 % en 2013 à 28 % en 2021.
Pourquoi et pour qui les femmes s'épilent-elles ?
Dans Parlons Poil, Juliette Lenrouilly et Léa Taieb ont demandé à 1 700 femmes les raisons qui les poussent à s’épiler. "À chaque fois, la réponse commence par 'Je le fais pour moi'… mais quand on développe un peu, ça devient 'C'est pour mon mec', ou 'Quand je sors', 'Quand je mets une robe', 'Quand je vais à la plage'". Traduction : pour les autres.
Ce discours, Béatrice, 29 ans, l’a souvent entendu dans la bouche de ses copines qui s’épilent toujours. "Elles soutiennent mordicus que cette idée vient d'elles, mais moi aussi je me suis racontée ça !" La jeune femme a arrêté de toucher à ses poils d’abord par conviction féministe : "Ma pilosité a longtemps été une obsession, je pensais que j'étais hyper poilue, plus que les autres. Ado, j’ai même envisagé le laser. Puis, vers 21-22 ans, j'ai dû tomber sur des blogs de meufs queers qui ne s'épilaient pas du tout et je les trouvais sexy, j'avais envie d'être ce genre de nana." Aujourd’hui, c’est tout simplement par "flemme" qu’elle ne s’épile presque plus. C’est d’ailleurs le confinement de 2020 qui a été un moment charnière pour elle, et pour bien d’autres.
Cette période a permis de changer de regard, analyse Juliette Lenrouilly : "Les femmes ont ensuite repris l'épilation, mais pendant quelques mois, elles ont pu observer leur corps. Pour la première fois, elles ont pu voir leurs poils pousser. Ça leur a permis de découvrir leur pilosité, de se rendre compte de sa couleur, de son toucher, de voir que c'est agréable de se passer la main sur les jambes, d’être curieuse et indulgente avec son corps." Ainsi, une Française sur six affirme moins s’épiler qu’avant le confinement selon l’Ifop.
La pression du regard de l’autre
Pour Sarah, 37 ans, l’arrêt de l’épilation correspond à son besoin de retour au naturel au début des années 2010. "Je commençais à faire du shampoing, du déodorant moi-même, et j’avais envie de me réapproprier mon corps, à cause de cette sensation que même dans l'espace public, il ne nous appartient pas. Je voulais me ré-approprier toutes les parties de moi, y compris les poils, surtout les poils des aisselles que je rasais tout le temps."
Dans ses relations intimes, elle n’a jamais reçu de remarques désobligeantes de la part de ses partenaires, son dernier mec affirmait d’ailleurs aimer qu’elle garde ses poils. L’idée qu’une femme non épilée susciterait moins de désir est tenace. Dans les faits, les hommes hétérosexuels pour qui le poil n’est pas rédhibitoire dans le cadre de relations sexuelles sont majoritaires, que ce soit au niveau des aisselles (66 %), des jambes (61 %) ou du pubis (70 %). Toutefois, un homme sur quatre a déjà demandé à son ou sa partenaire de s’épiler totalement les poils pubiens.
"Ça m'est arrivé de fréquenter des mecs hétéros pas particulièrement déconstruits, et ils s'en foutaient !", assure Béatrice. C’est plutôt dans la sphère professionnelle que son choix est compliqué à assumer : "Je n'ai pas envie que ça perturbe les conversations avec mes collègues, qu'on me remarque à cause de ça." Elle adapte ses tenues afin de cacher ses poils sous les aisselles. "En formation, quelqu'un s’est moqué de moi parce que je ne m'étais pas épilée les jambes. J’ai entendu une femme dire 'Mais son mec qu'est-ce qu'il en pense ?'. J'ai fait semblant de ne pas entendre, je n'ai pas envie d'entrer dans ce débat."
Pas pro le poil ? 60 % des personnes interrogées par l’Ifop affirment que le fait d’afficher ses aisselles ou ses jambes non épilées sur son lieu de travail n’est pas approprié pour une femme.
Le poil enfin visible dans l’espace public
La Gen Z est-elle épargnée par cette haine des poils chez les femmes ? Pas vraiment, mais elle évolue dans une époque où le poil est enfin visible. "On a la chance d’avoir des Emily Ratajkowski, des Angèle qui montrent leurs poils et ça c'est quelque chose qu'on n’avait jamais vu avant, note Juliette Lenrouilly. Dans nos recherches pour Parlons poil, on a été choquées de voir que plein de garçons, même ados, ne savent pas que les femmes ont des poils, donc une seule image placardée dans le métro, ça montre que ça existe."
Reste que le glabre est toujours la norme. "La diabolisation du poil est toujours là, même si elle est moindre par rapport à celle des années 90-2000. Et les poils peuvent être perçus comme cool, quand des gens cools les gardent." Elle souligne un choc des extrêmes sur les réseaux sociaux : d’un côté des modèles féministes qui assument poils, vergetures, rides, une envie de s’assumer fièrement telle que l’on est, et de l’autre une esthétique du zéro défaut et la promotion de techniques d’épilation définitive.
Enfin, en début d'année le Januhairy (contraction de january, janvier en français, et hairy pour poilue) a fait la lumière sur celles qui choisissent de lâcher le rasoir et la cire le temps d’un mois. "Aussi anodin que cela puisse paraître, décider de ne pas toucher à son corps pendant un mois, c'est quand même fort, quand bien même on reprend après", s'enthousiasme Juliette Lenrouilly.