Jogging peau de pêche au bord des canaux du Festival de Venise, total look denim underground sur le tapis rouge de Cannes, dégaine motarde au premier rang des défilés… Difficile, ces dernières saisons, de passer à côté du changement d’allure drastique d’Isabelle Huppert, devenue, presque du jour au lendemain, ambassadrice de Balenciaga.
Mais alors que Demna, jusqu’à présent à la tête de la maison, a troqué son poste pour celui de directeur artistique de Gucci, que va-t-il advenir de l’actrice et de ses silhouettes improbables ? Va-t-elle "suivre" son nouveau mentor stylistique dans ses nouvelles responsabilités transalpines ? Ou bien rester fidèle à la griffe parisienne et à son nouveau créatif en chef Pierpaolo Piccioli ? Quelques coups d’œil dans le rétroviseur de la mode devraient pouvoir permettre de répondre à la question qui se pose à chaque (grand) mouvement du mercato mode.
Les égéries, reflets d’une vision créative personnifiée
Car à chaque arrivée ou départ d’un directeur artistique dans une grande maison de mode, le sort des ambassadeur-rice-s, muses et ami-e-s de la marque se retrouve en suspens, la nomination de ces dernier-ère-s étant la plupart du temps liée à la vision de la ou du directeur artistique en place. Un statut précaire, donc, qui laisse le destin de ces acteur-rice-s, mannequins et autres it girls aux mains de la future tête pensante créative de ladite maison de luxe.
Celle-ci pourra ainsi choisir de conserver certains visages de la marque, pour assurer une continuité ou, au contraire, de renouveler entièrement le casting afin de marquer une forme de rupture avec le règne de sa ou son prédécesseur. C’est la méthode pour laquelle a opté Hedi Slimane lors de son arrivée chez Céline en 2018. En plus de s’affranchir de l’accent qui coiffait le "e" du logo, il a dit au revoir à la quasi totalité des égéries de l’ère Phoebe Philo, Daria Werbowy en tête, remplacées par des profils plus rock’n’roll, en phase avec son identité stylistique.
Un renouvellement qui s’avère d’autant plus probable lorsqu’une marque décide d’opérer un changement d’identité à 360 degrés, sur fond de stratégie de communication bien huilée. Plus récemment, c’est Daniel Lee chez Burberry qui en a fait la démonstration prodigieuse, en convoquant dès 2022 des talents hétéroclites comme le rappeur Skepta, la musicienne Shygirl ou encore le mannequin Lennon Gallagher. Le but ? Remplacer les sœurs Hadid et leurs collègues it girls aux millions de followers, muses fétiches de Riccardo Tisci, son prédécesseur, par des célébrités plus représentatives de la jeune scène anglaise.
Quant à Gucci, la maison italienne a profité du départ de l’exubérant Alessandro Michele pour se délester de ses égéries hautes en couleurs, de Harry Styles à Lana Del Rey, remplacées par des personnalités moins tapageuses, comme Julia Garner, star de la récente campagne The Art Of Silk.
Une représentation aux considérations institutionnelles
À l’inverse, Chanel a tenu au maintien de ses "visages" historiques — comme Caroline de Maigret, Vanessa Paradis et Kristen Stewart — lors de la succession de Karl Lagerfeld par Virginie Viard, priorisant une stabilité salutaire… Mais aussi, certainement, des impératifs juridiques. Car au-delà des liaisons artistiques ou amicales qui peuvent lier un-e créateur-rice à sa muse, les contrats d’ambassadeur-rice-s sont presque toujours signés avec la maison, et non avec la ou le directeur artistique.
Ce qui signifie qu’en théorie, une égérie ne peut pas "suivre" le designer dans sa nouvelle maison. Résultat ? Lorsque Raf Simons est passé de Dior à Calvin Klein, il n’a pas emmené avec lui Jennifer Lawrence, alors tenue par des obligations contractuelles envers ce qui reste l’une des plus prestigieuses maisons du triangle d’or.
Par ailleurs, crise du luxe oblige, les marques tendent de plus en plus à privilégier la cohérence de leur image aux coups de com’ tonitruants et souvent très coûteux. Selon le site Business of Fashion, la tendance serait ainsi à des collaborations plus longues et plus alignées avec les valeurs de la maison, afin de renforcer la confiance du public dans ce qui fait la désirabilité de la marque. Ici, le "visage" devient alors une figure institutionnelle qui incarne moins une identité stylistique singulière qu’un esprit de corps à part entière.
Suivre ou rester, telle est la question
À l’inverse, pour les muses en question, le changement de direction artistique au sein de la maison qu’elles représentent peut aussi être l’occasion d’un repositionnement de leur propre image dans une industrie de l’entertainment au sein de laquelle les apparences sont reines, et parfois la clé de voûte de leur longévité. Certaines, comme Cate Blanchett, n’hésitent pas à naviguer entre différentes griffes, adaptant leur image aux évolutions du secteur.
D’autres restent fidèles à des amitiés authentiques qui les unissent à un-e créatif-ive et sa vision. Après avoir été très proche de Nicolas Ghesquière du temps de son passage brillant chez Balenciaga, Charlotte Gainsbourg, amie d'Anthony Vaccarello, est ambassadrice de Saint Laurent depuis plusieurs années. Certaines muses, elles, renoncent à incarner une maison qui leur était pourtant intensément associée à la disparition de leur acolyte — à l'image de Daphne Guinness avec Alexander McQueen — Ou quand la mode a ses raisons que la raison n’a pas toujours.