Nous l’avions vue quelques jours après son sacre en équipe et sa médaille de bronze en individuel : Amandine Buchard nous confiait alors, entre deux sourires, son envie de délaisser un peu les tatamis pour courir sur les terrains de rugby. Mener une double vie sportive, tenter de montrer une “autre” Amandine que celle qu’on connaissait jusqu’alors… 

Mais où en est-elle, quatre mois plus tard ? Rencontrée aux Étoiles du Sport 2024 à Tignes, elle nous raconte ce tournant décisif dans sa vie et son après Jeux de Paris. 

Marie Claire : Quelles sont les images, les souvenirs ou les émotions des Jeux 2024 que vous gardez en vous aujourd'hui ? 

Amandine Buchard : "En toute honnêteté, en émotions et images, c'est vraiment le soulagement que ces Jeux soient finis, que je garde aujourd'hui en moi. C’est peut-être aussi ce qui a fait que je n’étais pas pleinement efficace : je suis arrivée aux Jeux avec la hâte qu’ils se terminent… Ce n’est pas un indicateur très positif !

Quand je gagne le bronze, je pleure, parce que je sais que je suis médaillée, mais je pleure aussi parce que je sais que c'est la fin, entre guillemets, de cette Olympiade, du moins individuellement. C’était un moment très pesant et stressant.

Évidemment, il y a aussi eu beaucoup de bonheur parce que je n'ai rien lâché et j'ai été récompensée pour ça. Et fière bien sûr, parce que deuxième Jeux et de nouveau médaillée… 

L’une des très belles images des Jeux de Paris, c’est l’état d’esprit de l’équipe de France de Judo. Chaque jour, vous veniez vous soutenir les uns, les autres…

Dans l'équipe de France de judo, je pense que si on est aussi soudés, c'est parce qu'on sait qu'on est tous dans la même galère. On est tous partis, en général, très jeunes de chez nous, et on s'est construit une nouvelle famille. On sait ce que c'est d'être triste, on sait ce que c'est d'être contre-performant, on sait aussi ce que c'est de gagner, on sait ce que c'est que les côtés vicieux du haut-niveau, et, en fait, on se soutient les uns les autres. 

On a l'impression d'avoir des frères, des sœurs à nos côtés... Si tu as besoin d'une oreille à qui parler, je suis là, si tu as besoin d'un conseil, je suis là. Et oui, ça s'est vu à la télé, parce qu'on a fait qu'un : filles, garçons, confondus, on a fait qu'un. 

Ce qui nous a motivés, transcendés, le jour de l’épreuve par équipes, c'est qu'on savait qu'il y avait des déçus, qui n’ont pas pu être médaillés individuels, donc on s’est investis à 1 000 % pour que tout le monde remporte une médaille. 

Très vite après Jeux, vous avez annoncé votre envie d'embrasser une double carrière. Comment cela a-t-il pu se mettre en place depuis ? 

Ça a été difficile. À la base, j’avais informé mon club avec qui j'ai fait les Jeux, le PSG, et ils ne m'ont pas suivie dans le projet. Pas de renouvellement de contrat. Ça a été un gros coup dur alors que j’étais encore dans l’euphorie des médailles… Je savais donc qu’au 31 août, je perdais ma plus grande source de revenus et que le mercato pour trouver un autre club était déjà passé… Je me suis dit, mais quel club va pouvoir m'accueillir ? Quel club va me permettre financièrement de vivre et de m'accompagner dans mon projet sportif ? 

J’ai eu une période très compliquée, avec énormément de stress, beaucoup d’anxiété et peu de sommeil… Et là, le Stade Français m’a tendu la main : c’était incroyable, je me sentais d’un coup comme un phœnix. En plus, ils sont très humains, ils font passer avant tout l'intégrité de l'athlète, son épanouissement et son équilibre. J'ai été vraiment très heureuse de tomber sur eux. 

Et depuis, j'ai fait beaucoup de rugby. D’abord parce qu’après les JO, je n’avais pas forcément envie de faire du judo. Il fallait que je coupe un peu. Mais aussi pour atteindre rapidement un bon niveau. Je n’ai repris le cardio-judo que la semaine dernière…

Actuellement, je suis à trois entraînements par jour, quatre fois par semaine. Les jours où je ne m'entraîne pas trois fois, je m'entraîne deux fois. Les dimanches, soit je suis au five le matin, soit je suis en match l'après-midi… Donc, j'ai des grosses semaines. Mais je suis tellement épanouie dans cette pratique sportive que je ne ressens pas cette fatigue. Je me sens bien dans ma peau, dans mes baskets.

Et au final, ça m'a même redonné envie de faire judo. 

Cette nouvelle aventure dans le rugby vous a-t-elle permis d’éviter le passage à vide post-Jeux dont parlent de nombreux sportifs ?

Ce passage à vide, je l'ai eu à Tokyo, c'était horrible. Et pourtant, c'étaient mes premiers Jeux, j’étais double médaillée - argent en individuel, or par équipe - incroyable. Mais je crois que j’avais trop d’attentes, vu que je n’avais pas pu faire Rio pour des problèmes de santé. 

Et le vide d’après. Horrible. Quand plus personne n’en parle et que tu retrouves ton quotidien, que tu n’as plus d'objectifs… c’est très dur. J’ai eu des signes dépressifs et j’ai tellement paniqué que je suis retournée à l’entraînement hyper vite.

Après cet été à Paris, j’ai eu un coup de blues, du fait notamment de cette histoire de club, mais je suis finalement passée à autre chose assez vite, grâce à mes nouveaux objectifs. Et ça m’a sauvée !

Quand vous avez fait l’annonce de ce désir de double carrière, vous aviez évoqué le désir de montrer “une autre Amandine”. Pouvez-vous nous parler d’elle ? 

Cette autre Amandine, c'est celle qui est à la recherche de performance, celle qui a besoin d'aller chercher sa place. En fait, c'est celle qui est réinitialisée, c'est-à-dire celle qui part de zéro. C'est bête, mais j'ai l'impression d'être retournée quinze ans en arrière quand je suis arrivée dans le monde du judo, que j'étais cadette et qu'il fallait que j'aille chercher les filles de l'équipe de France pour gagner ma place.

Aujourd'hui, j'ai toujours des challenges dans le monde du judo, mais ce ne sont pas les mêmes. Je suis habituée au podium européen, mondiaux. Ma place, je l'ai depuis des années et on ne me l'a jamais prise.

Au rugby, le fait d'arriver et se dire qu'il faut que je devienne meilleure, c'est ce qui me transcende, c'est ce qui m'anime. Dans le monde du rugby, je n'ai rien prouvé, je ne suis personne. Il y a des gens qui sont toujours à la recherche de lumière, d'être quelqu'un. Moi, au contraire, ça me fait énormément de bien de n'être personne parce qu'au final, j'aimais cette expression de 'pour vivre heureux, vivons cachés'.

Plus t'es médiatisée, plus on parle de toi, plus t'es mise en avant, plus tu en payes les frais, c'est un cercle vicieux parce que tu es plus exposée aux critiques, à la méchanceté gratuite.

Depuis votre annonce l’été dernier, avez-vous eu des retours d’autres sportifs inspirés par votre double projet ?

J’ai eu pas mal de retours, quelques-uns ici même aux Étoiles du Sport. Certains m’ont dit qu’ils avaient aussi envisagé ou s’étaient lancés dans une nouvelle discipline. Arnaud Assoumani, champion en para-athlétisme s'est lancé aussi dans la para-natation. Et là, il prépare les championnats de France [qui ont eu lieu les 7 et 8 décembre, ndlr]. Il s’est lancé le défi de faire Los Angeles en para-natation. Son projet est né avant mon annonce bien sûr, mais c’est super de voir que d’autres se lancent dans ces double voies. 

Parfois dans nos carrières, on se sent en trop-plein, on a l’impression d’étouffer, que notre carrière patine ou qu’on est coincé dans une case : mais non, la plupart d’entre nous ont des qualités de sportif de haut-niveau, qui peuvent nous permettre d’être performant.es dans d’autres disciplines. Pourquoi ne pas essayer ?

Je n’aime pas la normalité, j’aime l’idée de casser les codes. Et j’aime aussi l’idée que mon projet peut possiblement en inspirer d’autres. 

Que faites-vous pour vous ressourcer ?

Déjà, j’ai le rugby… Et puis je fais des five [Football 5x5] tous les dimanches matin, quand je n’ai pas de matchs. Et en dehors du sport, ma thérapie, ce sont mes animaux. Je fais partie des personnes qui absorbent beaucoup les énergies des autres, et j'ai vraiment l'impression que dès que j'arrive à la maison, je vois mes chiens, je décharge tout.

Évidemment, j’ai aussi mon entourage, mes amis. Je n’ai jamais eu un bon équilibre familial, il a toujours été très compliqué même. Ma famille, je l’ai trouvée à travers le judo. Ce sont toutes ces personnes-là que je considère comme des frères ou des sœurs, de savoir que je peux les voir, faire des activités avec eux… Ça me ressource aussi".