"Championne du monde, championne d’Europe et championne olympique". 

Si la carte de visite d’Allison Pineau, joueuse emblématique de l’Équipe de France féminine de handball est époustouflante, c’est bien sa simplicité et son franc-parler qui nous marquent le plus, quand nous la rencontrons quelques semaines avant qu’elle n'annonce se retirer des terrains pro en 2024.

"Certes, ma carrière n'est pas encore terminée mais ce sera ma dernière saison, que je me souhaite la plus longue possible…", écrivait l’athlète de 34 ans le 20 octobre 2023 sur Twitter, à l’occasion de l’annonce de la sortie de son autobiographie (Ed. Les Sportives, à paraître en janvier 2024). 

C’est avec deux médailles décrochées en championnats d’Europe (une en bronze et une en or), quatre en championnats du monde (trois en argent et une en or), et deux médailles olympiques (une en argent à Rio en 2016 et l’autre en or à Tokyo en 2021) assurées, que la joueuse tirera sa révérence.

Et alors que les championnats du monde de handball féminin prennent leurs quartiers au Danemark, en Norvège et en Suède du 29 novembre au 17 décembre 2023, c’est l’occasion rêvée de revenir, avec la demi-centre - qui ne participera pas à cette compétition - sur ses 22 ans de carrière, ses médailles, ses défaites et l’héritage qu’elle souhaite "laisser derrière elle". 

Briller individuellement dans un sport collectif

Marie Claire : Vous êtes une championne incontestée de handball, désignée même meilleure joueuse du monde en 2009 (elle est la seule Française à avoir reçu cette distinction, ndlr), qu’est-ce que ce sport représente pour vous ? 

Allison Pineau : "Pour moi le hand c’est l’école de la vie, le sport qui m’a permis de me trouver, d’avoir de l’ouverture d’esprit. C’est aussi 22 ans de moi, des sacrifices, des joies, des peines, une évolution, une progression, des gens fabuleux rencontrés, ma famille. 

Le handball est un sport collectif, mais y a-t-il une volonté de briller individuellement, même quand on fait partie d’une équipe ? 

Déjà, je n’étais pas destinée à faire un sport collectif. On voulait que je fasse de l'individuel, parce que j’avais souvent le dessus, même face à des garçons de mon âge. 

Mais Daniel Deherme (alors coach adjoint du club féminin de handball d'Aubervilliers, ndlr) m’a poussée vers le sport collectif, il m’a dit que j’avais des grandes mains, que j’étais faite pour ça. J’ai touché un premier ballon de hand, pour essayer, puis je n’ai plus jamais quitté le gymnase. 

Ce sont plus les individualités rassemblées qui permettent à l’équipe de s’élever de la plus belle des manières.

Bien sûr, il y a cette volonté d’être la meilleure. Ce sont les qualités individuelles qui se mettent au service du collectif pour faire briller l’équipe, donc on doit performer individuellement. Mais le but, c’est de jouer ensemble, ce sont plus les individualités rassemblées qui permettent à l’équipe de s’élever de la plus belle des manières.

Vous avez remporté des championnats d’Europe, du monde et des médailles olympiques. Comment gère-t-on cette pression de la "gagnante" quand on enchaîne les compétitions ? 

Ce n’est jamais simple de réitérer des titres, même si parfois on ne dirait pas. Tous les ans, avec nos compétitions, on a l’occasion de briller. Mais répéter, dans un temps aussi court, une telle performance, c’est très complexe car on n’a pas le temps de savourer nos sacres comme il se doit. 

Après, la pression fait partie du sport de haut niveau, c’est normal qu’elle soit là, il faut savoir la transformer, s’en inspirer et s’en servir pour briller, s’élever et amener les autres avec soi. 

Et comment vit-on la défaite quand on gagne presque tout le temps ?

Pendant des années j’ai été une très grosse boudeuse. J’étais vraiment en peine quand je perdais un match.

La défaite en quart de finale des JO de Londres (face au Monténégro, ndlr) a été très douloureuse. Mais c’est aussi ce qui m’a permis d’accrocher cette médaille d’or olympique à Tokyo, de me recentrer en me disant que ma mission d’être championne olympique n’avait pas été un succès en 2012 et que c’était à moi de créer les opportunités suivantes.

Le sport féminin, les plafonds de verre et le sexisme 

Les sportives souffrent encore aujourd’hui d’un cruel manque de visibilité. Comment continue-t-on à trouver la motivation d’aller chercher des médailles, quand on sait qu’elles seront moins bien mises en avant que celles d’une équipe masculine ? 

C’est sûr que j’ai aussi envie d’arrêter parce que j’ai la sensation qu’on stagne un peu dans mon sport. 

Je suis arrivée en Équipe de France fin 2006 et je mesure le chemin parcouru. Mais sur les six dernières années, alors que l’EDF féminine a réellement brillé et enchaîné podiums et titres, je n’ai pas la sensation que l’on arrive à surfer sur cette vague, à faire parler de nous encore plus. J’ai surtout la sensation qu’on a atteint un plafond de verre. 

Ce qui nous pousse ce n’est pas forcément d’être médiatique, mais d’écrire l’histoire de notre sport. 

On a quand même deux équipes - féminine et masculine - qui sont championnes olympiques et malgré tout, on sent que c’est encore très compliqué. Après, ce qui nous pousse ce n’est pas forcément d’être médiatique, mais d’écrire l’histoire de notre sport. 

On sait aussi que le sport de haut niveau reste encore aujourd'hui un milieu sexiste. Tout au long de votre carrière, comment cela s’est-il illustré ? 

Souvent c’est par les commentaires. Pas forcément que de la part des hommes d’ailleurs. C’est des ‘oui mais vous n’êtes pas comme les garçons’, ‘vous ne faites pas la même chose’, ‘vos exploits on ne peut pas les mettre autant en avant’... 

Certes, c’est une réalité, parce que les hommes font du sport depuis plus longtemps que nous, avec plus de moyens… Mais j’ai envie de dire aux gens que quand ils vont voir du sport féminin, il ne faut pas s’attendre à voir les mêmes choses que lorsqu’on va voir un match masculin. Parce que les qualités physiques ne sont pas les mêmes, le spectacle n’est pas le même… 

À chaque comparaison, on nous dessert. Il faut qu’on arrive à se créer notre propre identité et comprendre que les valeurs et les messages qu’on cherche à véhiculer ne sont pas les mêmes.

Continuer à rêver après deux médailles olympiques

Quel(s) rêve(s) vous restent-ils à accomplir ?

Paris 2024 (sourire). Parce que quand on commence à gagner, l’appétit s’ouvre, un peu comme quand on mange. On a envie d’en avoir encore plus, d’aller écrire l’histoire d’une autre manière, de vivre de nouvelles aventures… 

Justement, en parlant JO, qu’est-ce que deux médailles olympiques ont changé pour vous ? 

J’ai fait le constat qu’avoir une médaille olympique ne change pas forcément l’extra-sportif. Vous avez beau gagner tous les titres du monde, si vous ne vous faites pas connaître, il ne se passera pas grand-chose. 

Et puis j’ai beaucoup souffert après l’échec de Londres et j’ai mis un peu de temps à comprendre que je devais me servir d’un accompagnement mental. Ce sont des choses qui comptent.

Vous avez beau gagner tous les titres du monde, si vous ne vous faites pas connaître, il ne se passera pas grand-chose. 

Pour moi, la plus belle des médailles, même s’il est dur de passer outre Tokyo, c'est la plus belle aventure humaine que j’ai pu vivre, aux Jeux de Rio. J’ai traversé les générations, je n’ai jamais connu une telle Équipe de France soudée. On était toutes là les unes pour les autres (sourire ému). 

Montrer la voie pour les générations futures

Vous vous imposez désormais comme un role modele pour beaucoup de jeunes. Comment vivez-vous avec cette casquette ? 

Je viens d’un milieu modeste, j’ai grandi dans les quartiers. Je sais que ça peut être difficile, mais on peut s’en sortir. Le sport peut être un ascenseur social, qui véhicule des valeurs importantes (le partage, l’ouverture d’esprit). 

Le sport peut être un ascenseur social, qui véhicule des valeurs importantes.

C’est une joie de se dire qu’on peut être un role modele pour d’autres gamines, des gamins et aussi des adultes, parce qu’il y en a beaucoup qui rêvent au travers de nous. 

Pour moi, c'est un devoir de dire à ces jeunes filles qu’elles sont capables, que leurs rêves sont réalisables, qu'elles peuvent faire de grandes choses aussi bien que les hommes et qu’elles peuvent s’exprimer librement. 

Sur le terrain, quelle est votre plus grande fierté ? 

Sans hésiter, le match France/Pays-Bas, en demi-finale des JO de Rio. On les avait rencontrées en quart du Mondial et on s’était fait laminer. Puis, en qualif' olympique, elles nous avaient battues aussi.

On les a rejouées en match d’ouverture des JO et on a gagné sur un petit score. On était énervée, on voulait les écraser. La demi-finale a été irrespirable, la fin du match a été très difficile.

Je me souviens comme si c’était hier de cette sensation que représentait le fait d’apporter, avec mes coéquipières, la première médaille olympique du handball féminin français. 

Mais j’en suis très fière parce que ça a été le match qui nous a permis d’accéder à la finale : à ce moment-là, on rentre dans l’histoire du sport français, car on est assurées d’avoir une médaille et que ça ne s’est jamais produit auparavant. C’est une émotion très particulière, mais je me souviens comme si c’était hier de cette sensation que représentait le fait d’apporter, avec mes coéquipières, la première médaille olympique du handball féminin français. 

Quel est le conseil que l'on t'a donné et sans lequel tu n'aurais pas pu réaliser tous ces exploits ? 

Il ne faut pas attendre les autres pour croire en soi. Souvent, on a tendance à toujours vouloir que quelqu’un nous pousse pour faire quelque chose. Sauf que si l'on attend ce moment-là, peut-être qu’il n’arrivera jamais. Il faut savoir croire en soi, sans les autres".