51 prévenus sur le banc des accusés, poursuivis pour avoir violé tour à tour une femme inerte, droguée par son mari pendant plus de dix ans.

Une victime et plaignante, Gisèle Pelicot, qui refuse le huis clos pour que la honte change de camp. 

Des milliers de personnes en soutien, qui attendent impatiemment un jugement exemplaire. 

En France, le procès de "l'affaire Pelicot" est relayé sur les réseaux sociaux par des journalistes présents au tribunal, séance après séance. Les sorties des uns et les coups de gueule des autres deviennent viraux. Le caractère hors-norme de cette affaire, mais aussi les profils si tristement communs de ces prévenus, résonnent ailleurs dans le monde.

Pour comprendre l'écho de cette affaire en Europe et ailleurs, nous avons demandé aux éditions internationales de Marie Claire (de la Grèce à l'Australie, en passant par l'Italie) le retentissement de ce procès dans leur pays.  

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Elena Mantaut, Marie Claire Italie : "Je ne souviens pas d'une affaire aussi terrible ou prolongée dans le temps"

Collage : Abaca Images + titre MC Italie

Marie Claire France : L’affaire Pelicot est sans précédent. Quel est son retentissement dans votre pays ?  

Elena Mantaut, directrice générale de Marie Claire Italie : "Les journaux italiens commencent seulement aujourd'hui [18 septembre 2024, ndlr] à parler de l'affaire Pelicot, rapportant le témoignage de Dominique Pelicot, qui accuse de complicité toutes les personnes qui ont violé sa femme Gisèle pendant des années.

Concernant le viol sous soumission chimique, est-ce un fléau connu ou encore tabou en Italie ? Votre pays a-t-il récemment été sensibilisé à ce sujet par une affaire, un témoignage ?

En Italie, on a beaucoup parlé du GHB, la drogue dite du viol, en relation avec des événements survenus à plusieurs reprises dans des boîtes de nuit, où des garçons ajoutent de la drogue aux boissons à l'insu des filles qui les boivent et en abusent ensuite. Cependant, je ne souviens pas de quelque chose d'aussi terrible et d'aussi prolongé dans le temps.

En France, en parallèle du procès, on voit une grande mobilisation en soutien à Gisèle Pelicot. Des rassemblements ont-ils également eu lieu dans votre pays ?  

Malheureusement, il n’y a toujours pas de véritable débat autour de ce sujet, ni d’expressions de soutien, pas encore…

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Magdalena Fraj, Marie Claire Espagne : "Une vague d'indignation soulignant la nécessité d'une réponse judiciaire forte"

Abaca Press + collage

Marie Claire France : L’affaire Pelicot est sans précédent. Quel est son retentissement dans votre pays ?  

Magdalena Fraj, directrice exécutive Marie Claire Espagne Cette affaire a eu un impact médiatique et social important. Elle a été largement couverte par les médias, suscitant des débats sur la violence fondée sur le genre et les droits des femmes.

En ce qui concerne les viols commis sous soumission chimique : ce type de crime est-il déjà connu dans votre pays ou reste-t-il tabou ? Votre pays a-t-il été récemment exposé à ce type de crime par une affaire ou une allégation ?

En Espagne, les crimes impliquant la soumission chimique ont été plus largement reconnus ces dernières années. Bien que cette question ait pu être moins ouvertement débattue dans le passé, la sensibilisation du public s'est considérablement accrue. Plusieurs cas et allégations ont été révélés, suscitant des discussions sur les dangers de la soumission chimique. Cela a conduit à des efforts accrus pour éduquer le public et encourager le signalement. Les organisations et les autorités s'efforcent de lutter plus efficacement contre ce type de criminalité, en veillant à ce que les victimes soient conscientes des risques et de l'aide dont elles peuvent bénéficier.

L'implication du mari a suscité une vague d'indignation [en Espagne], soulignant la nécessité d'une réponse judiciaire forte.

En France, alors que le procès est en cours, il y a eu un élan de soutien à Gisèle Pelicot, de nombreuses manifestations, etc. Y a-t-il eu également une mobilisation dans votre pays ? Des manifestations ?

En Espagne, il y a effectivement eu une mobilisation et un tollé en réponse à l'affaire Pelicot. La société espagnole a une forte tradition de protestation contre la violence fondée sur le genre, et cette affaire a eu une grande résonance.

Sur quel aspect de cette affaire les médias mettent-ils l'accent dans votre pays ? Qu'est-ce qui a eu le plus d'impact ? 

Les médias soulignent la gravité du crime et le fait que les auteurs ont agi en toute impunité. L'implication du mari a suscité une vague d'indignation, soulignant la nécessité d'une réponse judiciaire forte. La dignité et le courage de Gisèle Pelicot ont également été soulignés, faisant d'elle un symbole de résistance et de lutte contre les violences sexistes.

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Galateia Laskaraki, Marie Claire Grèce : "Tout le monde était choqué et en parlait sur le lieu de travail"

Abaca Press + collage

Marie Claire France : L'affaire Pelicot est sans précédent. Quel écho a-t-elle eu dans votre pays ?

Galateia Laskaraki, rédactrice en chef Marie Claire Grèce : C'était un cas sans précédent pour la Grèce également. Tout le monde était choqué et en parlait sur le lieu de travail. L'affaire a fait l'objet de nombreuses mises à jour pendant des jours.

En ce qui concerne les viols commis sous soumission chimique, ce type de crime est-il déjà connu dans votre pays ou reste-t-il tabou ? Votre pays a-t-il été récemment exposé à ce type de crime par le biais d'un cas ou d'une allégation ?

C'est connu oui, mais pas à grande échelle, nous n'avons jamais eu de cas de ce type ces dernières années.

En France, alors que le procès est en cours, il y a eu un élan de soutien à Gisèle Pelicot, de nombreuses manifestations, etc. Y a-t-il eu aussi une mobilisation dans votre pays ? Des manifestations ?

Non, il n'y a pas eu de manifestations, seulement une indignation sur les médias sociaux et une couverture médiatique et des opinions publiées.

Sur quel aspect de cette affaire les médias mettent-ils l'accent dans votre pays ? Qu'est-ce qui a eu le plus d'impact ? 

Pour moi, il est troublant de constater que ce sont surtout les femmes qui parlent et écrivent contre ce phénomène. Nous avons besoin de plus de réactions masculines sur ces crimes.

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Georgie Abay, Marie Claire Australie : "Nous avons été choqués et dégoûtés qu'un tel crime puisse être commis"

SOPA Images / Contributeur

Marie Claire France : L'affaire Pelicot est sans précédent. Quel a été l'écho dans votre pays ?

Georgie Abay, rédactrice en chef Marie Claire Australie : En Australie, la réaction a sans doute été la même que dans le reste du monde : choc total et dégoût. Nous suivons tous l'affaire de très près et les médias continuent d'en parler. Il y a un sentiment général d'horreur pour ce que Gisèle a vécu, ainsi que de colère qu'une telle chose puisse se produire.

L'année a été riche pour les femmes australiennes en termes de sensibilisation à la violence à l'égard des femmes. Au début de l'année, une attaque meurtrière à l'arme blanche a fait six morts à Sydney. L'agresseur visait les femmes.

Actuellement, dans notre pays, quand une femme est assassinée par son partenaire actuel ou ancien, nous sommes en colère, et à juste titre. Si nous ne nous mettons pas en colère, si nous acceptons les choses telles qu'elles sont, comment pourrons-nous changer les choses ? Nous n'accepterons jamais d'apprendre qu'une autre femme a été assassinée alors qu'elle se promenait seule dans un parc. Nous n'éprouverons rien d'autre que de la rage en écoutant Grace Tame raconter l'histoire de son professeur de mathématiques qui l'a manipulée lorsqu'elle était adolescente.

Lorsque j'ai interviewé Grace Tame, peu après qu'elle a été nommée Australienne de l'année 2021, je lui ai demandé si c'était le courage qui l'avait poussée à parler. Ce n'était pas le cas. C'est la rage qui l'a poussée à dénoncer son agresseur. "La peur que j'avais de lui a fini par être remplacée par la rage. C'est ce qui m'a permis de parler, car l'idée que d'autres personnes puissent subir les mêmes sévices de la part de ce prédateur était plus terrifiante. Je n'étais pas prête à vivre avec cela. Je vivais déjà dans la peur, mais je ne pouvais pas vivre avec l'idée que d'autres personnes souffriraient à cause de lui. Cela venait d'un désir inné de protéger les autres. C'est en se penchant sur l'amour, non seulement pour soi, mais aussi pour les autres, et en étant prêt à remettre en question ses propres besoins pour le bien d'autrui ", a-t-elle déclaré.

Et je me demande si Gisèle ressent la même chose ? Je regarde cette femme extraordinaire, qui se présente au tribunal, entourée de ses agresseurs, et je suis impressionnée par sa force, non seulement pour obtenir justice, mais aussi pour sensibiliser l'opinion publique aux viols commis sous soumission chimique.

Concernant les viols commis sous soumission chimique : ce type de crime est-il déjà connu dans votre pays ou est-il encore tabou ? Votre pays a-t-il été récemment exposé à ce type de crime par un cas ou une allégation ?

En Australie, nous sommes très sensibilisés au problème des boissons contaminées. L'année dernière, l'organisation What Were You Wearing, fondée par Sarah Williams, a réussi à faire pression pour que des amendements soient apportés aux lois sur le service responsable de l'alcool en Nouvelle-Galles du Sud, rendant obligatoire la formation du personnel des bars et des services de sécurité à la prévention de la contamination par l'alcool. Cette victoire est intervenue après que Mme Williams a lancé une pétition qui a recueilli 20 000 signatures, déclenchant un débat parlementaire qui a abouti à un soutien unanime de l'initiative. Il s'agit d'un problème majeur ici, comme dans le reste du monde.

En France, alors que le procès est en cours, il y a eu un élan de soutien à Gisèle Pelicot, de nombreuses manifestations, etc. Y a-t-il eu aussi une mobilisation dans votre pays ? Des manifestations ?

Il n'y a pas eu de manifestations, mais les médias ont largement parlé de l'affaire. Nous avons été choqués et dégoûtés qu'un tel crime puisse être commis. Cela a absolument sensibilisé les gens à la soumission chimique.

Sur quel aspect de cette affaire les médias mettent-ils l'accent dans votre pays ? Qu'est-ce qui a eu le plus d'impact ? 

Tous les aspects de ce crime sont choquants. Il s'agit d'un mari apparemment dévoué depuis près de 50 ans, qui est resté à ses côtés, l'a conduite à des rendez-vous chez des spécialistes, lui a fait passer des scanners et l'a aidée à obtenir un diagnostic pour ce qu'elle pensait être la maladie d'Alzheimer. Alors qu'en secret, il la droguait, la violait et invitait au moins 72 autres hommes à la violer entre 2011 et 2020. C'est extraordinaire. Tout comme le fait qu'il y avait tellement d'accusés qu'il a fallu construire un deuxième box en verre pour les contenir tous dans la salle d'audience. Je suis indignée.

Ça tourne !
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Chidera Muoka, Marie Claire Nigeria : "Les viols sous soumission chimique sont malheureusement assez courants au Nigeria"

Abaca Press

Marie Claire France : L'affaire Pelicot est sans précédent. Quel écho a-t-elle eu dans votre pays ?

Chidera Muoka, rédactrice en chef Marie Claire Nigéria : “Au Nigeria, l'affaire Pelicot est survenue à un moment où la violence à l'égard des femmes suscitait déjà une vive indignation dans toute l'Afrique. Nous étions confrontés au meurtre horrible de la coureuse olympique Rebecca Cheptegei, incendiée par son petit ami, puis au meurtre tragique d'Idowu Christiannah, enlevée et assassinée par une connaissance ayant des antécédents de violence à l'égard des femmes. L'affaire Pelicot a ajouté de la colère et suscité des conversations et des protestations en ligne sur la violence persistante à laquelle les femmes sont confrontées.

En ce qui concerne les viols commis sous soumission chimique : ce type de crime est-il déjà connu dans votre pays ou reste-t-il tabou ? 

Les viols sous soumission chimique sont malheureusement assez courants au Nigeria, avec des drogues comme le Rohypnol et les “skunchies” (un mélange de marijuana, de cocaïne, d'éthanol et de boissons à base d'hibiscus) fréquemment utilisées. On craint toujours d'être drogué lors de fêtes ou de rencontres sociales. Le vrai problème, cependant, c'est notre culture du blâme des victimes, qui réduit souvent les survivants au silence et les décourage de porter plainte. Le cas de Cynthia Osokogu, qui a été droguée, violée et assassinée en 2012, nous rappelle douloureusement à quel point le système judiciaire protège mal les femmes dans ce genre de situation.

En France, alors que le procès est en cours, il y a eu un élan de soutien à Gisèle Pelicot, de nombreuses manifestations, etc. Y a-t-il eu aussi une mobilisation dans votre pays ? Des manifestations ?

Nous n'avons pas vu de manifestations spécifiques à l'affaire Gisele Pelicot au Nigéria. Cependant, il y a eu plusieurs mouvements demandant justice pour les femmes nigérianes victimes de violences. L'accent est mis sur des cas locaux, mais l'appel sous-jacent à la justice et à la sécurité des femmes reste le même.

Sur quel aspect de cette affaire les médias mettent-ils l'accent dans votre pays ? Qu'est-ce qui a eu le plus d'impact ?

Au Nigeria, cette affaire n'a pas fait l'objet d'une grande couverture médiatique, et ce que nous avons vu, c'est principalement l'indignation individuelle partagée sur les médias sociaux. Ce qui a le plus choqué, c'est l'impunité dont jouissent les violeurs, d'autant plus que les violences ont été orchestrées par le mari de la femme, une personne traditionnellement considérée comme un protecteur. Cette affaire montre que la misogynie persiste, même au sein du mariage. Le courage dont a fait preuve Gisele en affrontant publiquement ses agresseurs aura un impact durable, car il permettra aux femmes de se réapproprier leur voix et de s'opposer aux systèmes qui les laissent tomber.

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L'Affaire Pelicot sur Marie Claire UK

Getty Images - collage

Enfin, de l'autre côté de la Manche, le procès des viols de Mazan est également scruté. Dans une revue de presse sur les violences faites aux femmes dans le monde, la journaliste Jenny Proudfoot écrit : "Pendant ce temps, en France, se déroule l'un des procès pour viol les plus importants et les plus prolifiques de ces dernières années. Dominique Pelicot, 71 ans, est accusé d'avoir drogué sa femme durant 30 ans et d'avoir invité plus de 80 hommes à la violer au cours d'une décennie.

Dominique Pelicot et 50 autres hommes, âgés de 22 à 70 ans, sont actuellement jugés pour viol aggravé sur la personne de Gisèle Pelicot, 72 ans, qui a renoncé à son droit à l'anonymat et demandé que le procès soit public.

Cette affaire bouleversante est toujours en cours et, comme Gisèle Pelicot exprime sa volonté d'épargner à d'autres femmes des épreuves similaires, on peut espérer qu'elle pourrait entraîner un véritable changement, en ajoutant la notion de consentement à la loi française sur le viol."

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