Pamela Anderson et Alicia Keys se montrent démaquillées en public sans complexes, la "clean girl era" prône un maquillage toujours plus minimaliste… Tout porte à croire que le monde du make up est en pleine mutation. Pourtant, des injonctions qui y en découlent, continuent de survivre dans la sphère personnelle. Et au premier plan : le monde de l'entreprise.
Nombreuses sont celles qui se sont vues susurrer "tu as l'air fatiguée aujourd’hui" ou encore "tu couves quelque chose, non ?", car leur teint n’était pas suffisamment fardé ou que leurs cils n’étaient pas teintés de noir ce jour-là.
Néanmoins, à l'instar de la société, de plus en plus de femmes tentent de s'émanciper de ce diktat qui pèse sur les épaules - ou plus précisément sur le visage - des femmes.
Le no-make up au travail, un véritable cap à passer
C’est le cas de Morgane, 32 ans, consultante en gestion de carrière hôtelière. Pendant 10 ans, la jeune femme a travaillé dans l’enceinte de plusieurs grands groupes hôteliers, où elle a côtoyé notamment l’univers du luxe. Un écrin où "le niveau de sérieux de quelqu’un passe beaucoup par son physique", explique la jeune femme. Ce milieu, Morgane s’en passionne. Elle en respecte les codes, y compris ceux liés à l’apparence, qu’elle appelle "grooming". Et puis un jour, par souci de praticité, elle décide de se passer de l'étape maquillage lors de sa préparation. "À l’époque, je me rendais à l’hôtel à pied. Avec le vent qu’il y avait, mon maquillage ne tenait pas. Alors, je me suis dit que je n’allais pas me maquiller", se souvient-elle.
J’ai compris à ce moment-là que je n’étais pas désirable sans maquillage.
Rapidement, elle essuie ses premières remarques : "tu es malade aujourd’hui ? Tu ne nous referas plus ça".
Largement banalisées, ces critiques ne sont pas sans conséquence pour la jeune femme. "Cela a affecté ma confiance en moi, jusque dans les moments intimes où on se montre démaquillée face à l’autre", explique-t-elle. "D'autant que ses premières années sont fondamentales dans la construction de soi. J’étais sur mes 22-28 ans", avoue-t-elle, avant d’ajouter : "J’ai compris à ce moment-là que je n’étais pas désirable sans maquillage".
Le maquillage comme ingrédient nécessaire à la désirabilité
Cette notion de séduction semble particulièrement présente dans notre rapport au maquillage. Le sociologue expert en relations sociales au travail et auteur de l’ouvrage La Société du Paraître, Jean-François Amadieu l’explique d’ailleurs très bien : "Il existe deux types de maquillage. Celui qui camoufle les imperfections. Et celui qui séduit, quand on accentue nos yeux, ou qu’on applique du rouge à lèvres. L’intention n’est pas la même".
Et d'ajouter que le maquillage au travail, mais plus globalement dans l'ensemble de l'espace public, s'est mué en injonction patriarcale : les femmes devant être "jolies" dans le regard masculin. Et par extension - et intériorisation du discours patriarcal - dans le regard des autres femmes.
Toutefois, quand on creuse un peu, on s'aperçoit que le no make up fait tomber des barrières de représentation. "Plus je montrais qui j’étais, et plus j’avais affaire à des personnes authentiques", raconte Morgane. Un effet miroir statistiquement prouvé dans de nombreuses études.
Maquillage et compétences professionnelles
Et quand on décide de s'absoudre du maquillage, cela peut également avoir une incidence sur l'image de compétence (ou d'incompétence) que l'on renvoie. Morgane se souvient qu'à l'époque, elle se sentait remise en question : "Je sentais que j’allais être jugée. Il y avait ce truc de 'si tu n’es pas capable de prendre soin de toi, alors comment peux-tu prendre soin des salariés ou des clients ?'".
Il a été prouvé que le port du maquillage avait un réel impact sur la perception que les autres ont de nous.
Notre expert explique : "Il a été prouvé que le port du maquillage avait un réel impact sur la perception que les autres ont de nous. La qualité d’une personne est souvent détériorée si elle se montre avec des imperfections sur la peau. Cela va au-delà de la perception de la beauté. On le rapporte à un mauvais état de santé".
Dans le cas où on souffre de problèmes de peau, c’est encore pire : exposer à l’air libre ses boutons et à la vue de tous peut supposer un manque d’hygiène selon autrui. Et par analogie, un manque de professionnalisme ou de compétences.
Dissimulation et convention
Outil pour embellir, mais aussi pour cacher - la fatigue, les problèmes de santé, le surmenage : le maquillage est ambivalent. Jean-François Amadieu souligne cette dualité : "Le make up évite de révéler quoi que ce soit de vous-même. Un peu comme un homme en costume, que sait-on de lui ? En me maquillant, je ne dis rien de moi. Je fais comme tout le monde, comme c’est attendu. C’est avec cette idée-là que beaucoup de femmes sont dans la rue. Ne pas renvoyer de message, sur qui elles sont", déclare-t-il. "Ce que montrent les études, c’est que la personne qui ne se maquille pas, ne triche pas."
Désormais, il semblerait que les mentalités tendent à évoluer pour permettre aux femmes de faire selon leurs envies. Pour Morgane, cela ne fait aucun doute. Avec les réseaux sociaux, la société est déjà en mouvement. On parle de body positive, on montre son acné, ses cernes, ses imperfections… Le naturel reprend ses droits et s'impose peu à peu sur la toile. Il ne reste plus qu'à espérer que le monde professionnel, sache, lui aussi, s'inspirer de cette libération des codes.