Unanimement condamnés. Mardi 19 mars 2024, le tribunal correctionnel de Paris a reconnu coupable la totalité des personnes jugées pour cyberharcèlement aggravé, menaces de mort ou menaces de crime à l'encontre de Magali Berdah.

"Cette décision va marquer la lutte contre la haine en ligne", réagit auprès de Marie Claire Me Rachel-Flore Pardo, avocate de la fondatrice de l'agence de marketing d’influence Shauna Events, notamment célèbre pour avoir représenté des influenceurs issus de la télé-réalité, suivis par des millions d'abonnés sur leurs réseaux sociaux.

Un jugement trois fois "inédit"

Pour cette experte des violences en ligne, aussi co-fondatrice du collectif Stop Fisha et co-autrice de Combattre le cybersexisme (éditions Leduc), ce jugement se révèle "inédit", "au moins par trois aspects : le nombre de prévenus, l’ampleur du cyberharcèlement et la fermeté des peines prononcées".

Ces 26 hommes et ces deux femmes, âgés de 20 à 49 ans, et jugés lors de trois procès qui se sont tenus entre novembre 2023 et janvier 2024, ont tous écopé de peines d'emprisonnement. 14 d'entre eux se sont vus condamner à de la prison ferme, allant jusqu'à un an (et six mois supplémentaires de sursis) pour celui qui avait écrit à la victime de confession juive : "Dommage que Hitler ne s’est pas occupé de tes grands-parents" (sic). À son égard, Sophie Touchais, substitut du procureur, avait requis en décembre dernier la peine la plus lourde : un an de prison, dont six avec sursis. Le tribunal correctionnel de Paris s'est donc montré plus ferme.

Ça tourne !

La magistrate avait également réclamé auprès des juges l'obligation pour les mis en cause de suivre un stage de citoyenneté. Réquisition suivie par le tribunal, qui prive également tous les prévenus de leurs droits d'éligibilité pendant deux ans. Durant cette même période, ces internautes ont aussi l'interdiction d'entrer en contact avec Magali Berdah - y compris sur les réseaux sociaux -, à qui ils doivent, de plus, verser solidairement 54 000 euros de dommages et intérêts.

Cette décision nous dit que "le cyberharcèlement est aujourd’hui traité avec sérieux et gravité par la justice française. Que celle-ci est au rendez-vous de ce mal nouveau", estime Me Rachel-Flore Pardo. L'une des trois conseils de la cheffe d'entreprise de 43 ans salue "une prise de conscience au sein du monde de la justice, et plus largement de la société toute entière de la dangerosité de ce fléau qu’il nous faut absolument combattre".

Un signal fort envoyé à "ceux qui se croient protégés derrière leur écran"

Avec l'espoir qu'avec ce jugement, "la honte change de camp", l'interviewée cite "les deux outils créés depuis 2017 qui ont permis à Magali Berdah d'obtenir justice" : la loi Schiappa de 2018, "qui sanctionne le cyberharcèlement en meute", et la loi Avia, "qui a créé le pôle national de lutte contre la haine en ligne, soit, une section du parquet spécialisée dans les cyberviolences".

Il s'agit de "la plus grosse affaire de cyberharcèlement qu'ait eu à connaître la justice française", insiste-t-elle, et pas seulement pour cette décision qui envoie un signal à "ceux qui se croient protégés derrière leur écran" et, elle l'espère, fera jurisprudence ; aussi par "l'ampleur" de la campagne en ligne à l'encontre de l'agente, visée par des dizaines de milliers de messages virulents. "On me menace de tout : de décapitation, de lapidation, de me brûler vive. Il y a aussi les appels aux viols, aux meurtres", énumérait Magali Berdah à Marie Claire, en septembre 2022. La voix tremblante, elle racontait : "Certains me détaillent comment ils vont me tuer avec un 9 millimètres, m'écarteler, me vider de mon sang et m'uriner dessus sur la place publique".

Les haines sexistes et antisémites ont agi comme de véritables booster de la haine en ligne. Ce n’est pas anodin qu’on ait vu sur le banc des prévenus 26 hommes, et une femme du côté des parties civile.

Celle qui fut aussi chroniqueuse à la télévision a ressenti "un immense soulagement et une certaine émotion aussi" à l'énoncé du jugement, nous précise son avocate. "Vous savez, j’ai été à ses côtés lorsque le cyberharcèlement se commettait, ajoute-t-elle. J’ai vu combien il a infiltré toutes les sphères de sa vie : sa vie personnelle, sa vie professionnelle, sa santé physique et mentale." Dans son réquisitoire, Sophie Touchais avait rappelé que le harcèlement 2.0 "peut conduire au suicide", tandis qu'à la barre, Magali Berdah a confié avoir été "à deux doigts de [se] jeter par la fenêtre". En 2022, elle expliquait à Marie Claire être suivie médicalement "tous les jours par un psy", à qui elle parle aussi "tous les soirs", sans quoi, elle n'aurait "pas tenu le coup".

"Sa famille aussi a été prise pour cible. Tout ce qu’elle est a été moqué, critiqué, dénigré. On a parlé de son physique, de sa sexualité, de sa féminité. On a aussi attaqué sa judéité, a rappelé Me Rachel-Flore Pardo au tribunal. Les haines sexistes et antisémites ont agi comme de véritables booster de la haine en ligne. Ce n’est pas anodin qu’on ait vu sur le banc des prévenus 26 hommes, et une femme du côté des parties civile."

Lors du jugement, le tribunal correctionnel a mentionné le rôle de Booba dans ces raids numériques visant Magali Berdah. Depuis 2022, le rappeur assure mener une guerre contre cette dernière et les "influvoleurs", selon le mot-valise qu'il emploie et par lequel il qualifie les célébrités issues de la télé-réalité qui font des placements de produits sur leurs réseaux sociaux. S'il n'a pas été jugé lors de ce procès, l'artiste est mis en examen pour harcèlement moral en ligne aggravé depuis octobre 2023 et placé sous contrôle judiciaire.

À cette procédure distincte s'ajoutent d'autres plaintes déposées pour cyberharcèlement, toujours en cours d'étude. Et Me Rachel-Flore Pardo d'assurer : "Nous veillerons à ce qu'elles aboutissent."