NKM "Il faut mieux protéger les indépendantes"

Nathalie Kosciusko-Morizet  interview primaire
Seule femme candidate à la primaire de la droite et du centre le 20 novembre, la députée LR de l’Essonne participe au Grand Forum Marie Claire le 25 novembre au Conservatoire national des Arts et Métiers (1).

Corine Goldberger : Vous êtes la seule femme de la primaire de la droite et du centre. C’est compliqué ou serait-ce aussi dur si vous étiez un homme ?

Nathalie Kosciusko-Morizet : Bien sûr qu’il y a une difficulté particulière, d’ailleurs ça me fait rire quand des hommes, une fois que vous êtes dans la course, disent « Vous avez de la chance parce qu’être une femme c’est un avantage, on est plus repérée etc. »  Enfin si c’était vrai, il y aurait plus de candidates ! Les hommes politiques ne se rendent pas compte à quel point ils sont discriminants.

Dans les milieux politiques, et médiatiques, ce qui est perçu comme une qualité chez un homme peut-être détourné, ridiculisé chez une femme.

Mais Les Républicains, votre parti, n’est pas réputé pour la parité, cf les amendes payées pour manque de parité femmes hommes aux élections législatives sous son ancienne étiquette UMP?

Oui, il est même très mauvais. Il y a un problème général sur la place des femmes dans les milieux de pouvoirs en France. Les hommes se font concurrence entre eux mais dès qu’une femme arrive, ils sont prêts à se liguer contre elle parce que : «C’est déjà assez dur entre nous, on va pas rajouter ça en plus .»

Vous avez des exemples précis ?

J’en ai cités un certain nombre dans mon livre (2) mais vous en donner un en particulier est compliqué parce que c’est tellement fréquent. Y compris de manière ambiguë quand les hommes pensent vous faire un compliment et ne se rendent pas compte que leur compliment est sexiste. Il existe aussi une sorte de complaisance envers la violence sexiste, particulièrement évidente dans le milieu politique.

Ça tourne !

Après l’affaire Baupin, non seulement ça ne s’est pas arrêté, au contraire, il y a eu une libération de la parole sexiste, qui montrait que les hommes n’avaient pas compris. Plus généralement, le nombre de viols, qui rappelons-le sont des crimes, requalifiés et correctionnalisés en agression sexuelle, est ahurissant. C’est la preuve d’un vrai laxisme dans ce pays.

 Nous avons changé le monde livre kosciusko

Que pensez-vous apporter de différent dans ce débat pour la primaire, concernant les femmes ?

Je suis d’une génération qui a regagné une conscience féministe qu’elle n’avait pas adolescente. C’est le rôle des femmes de 40 ans de transmettre ces combats aux jeunes de 20 ans qui commencent leur vie professionnelle, avec moins d’expérience et d’assurance pour dénoncer les inégalités femmes hommes. Ma génération, à 20 ans, n’était pas dans le combat féministe.

Le féminisme, c’était nos mères, et en général on n’aime pas reprendre les combats de sa mère. On considérait que l’égalité des droits était acquise : le droit de posséder un carnet de chèque, l’autorité parentale et non paternelle, la légalisation de l’IVG, tout ça c’était fait.

C’est plus tard vers 30 ans, qu’on s’est rendu compte des discriminations, qu’on avait été embauchées avec des salaires différents de ceux des hommes, ou que même si on avait le même salaire en début de carrière, au premier enfant ça décrochait. 16% d’écart inexplicable entre les salaires des femmes et des hommes, c’est un sujet qui a besoin d’une voix et d’être porté. C’est une question de justice, et d’efficacité. C’est aussi pour ça qu’il faut plus de femmes en politique.

En janvier dernier vous avez voté l’amendement pour punir le « revenge porn ».

Oui, en commission des lois à l’Assemblée nationale, j’ai voté l’amendement pour que le « revenge porn » (poster des vidéos intimes d’autrui sur les réseaux sociaux) soit puni d’un an de prison et de 45 000 euros d’amende. La manière dont réagissent certains hommes face à ces faits graves est scandaleuse. On sent qu’ils s’identifient aux jeunes et se disent qu’à 16 ans, un garçon peut faire des conneries, et qu’il ne faut pas qu’il soit puni pour toute sa vie.

Mais la fille qui a été victime sera, elle sera punie pour toute sa vie !

Le 25 novembre prochain, vous intervenez au Grand Forum Marie Claire sur la révolution des nouveaux modes de travail et leur impact sur les femmes. Pour vous, quelle est l’urgence ?

En matière de travail indépendant et de travail précaire, il faut mieux protéger les femmes, leur assurer une meilleure protection sociale. Ainsi, aujourd’hui on parle de freelancisation du travail. Comment ça va se passer quand une femme en free-lance sera enceinte et aura besoin de congé maternité ? C’est tout le problème. L’enjeu, plutôt que parler uniquement des 35 heures, est de regarder en face ces évolutions du travail et d’y associer de nouvelles protections pour que ce ne soit pas la jungle. Aujourd’hui, l’indépendance est une mine de nouveaux emplois. En Grande-Bretagne, elle en a déjà créé plus d’un million.

Mais en France l’indépendance est très mal organisée. C’est la galère à tout point de vue. Pour les statuts, vous commencez comme auto-entrepreneur, à un moment vous atteignez le plafond en terme de chiffre d’affaire, donc vous basculez dans l’entreprise indépendante, vous allez passer par différents statuts.

C’est le problème des free lance : jongler avec différents statuts simultanément…

Et à chaque fois que vous allez changer de statut, vous allez perdre beaucoup d’énergie, une partie de vos droits, parce qu’on vous fait payer le changement de statut, et à tout moment vous allez payer une protection sociale qui vous couvrira mal : le RSI (régime social des indépendants).

Je fais donc deux propositions : un statut général de travailleur indépendant qui vous offre une couverture globale où on fusionne les statuts, avec une protection sociale améliorée dans laquelle vous avez le choix de vous affilier au régime général, ce que choisiront surement la plupart des femmes pour le congé maternité. Et les assurances privées, notamment pour l’assurance chômage et l’assurance vieillesse. Je pense qu’avoir le choix est important.

Etre free lance est-il un danger ou une liberté pour les femmes ?

Je pense que c’est une liberté : nous sommes dans un mouvement de désintermédiation. Notre système très hiérarchique, particulièrement verrouillé en France, fonctionne avec des systèmes de cooptation. On le voit dans les médias, plus on monte dans la hiérarchie, plus ce sont des hommes qui bloquent les femmes pour l’accès au pouvoir.

Et le numérique permet dans un certain nombre de cas, de court-circuiter l’ordre établi.

Un exemple ?

Vous cherchez du travail ? Il y a trois étapes : Pole emploi, plus personne n’y va pour trouver un boulot. L’étape intermédiaire, Le Bon Coin, reste assez classique : vous postez un CV et ils font de l’intermédiation. Et puis, la nouvelle étape, et ça, c’est vraiment l’uberisation du marché du travail, c’est un site Internet comme Gojob qui bouleverse les codes du recrutement: ils vous référencent, non pas en fonction de votre CV, mais en fonction de vos compétences.

Si vous n’avez pas fait de longues études ou avez été orienté dans des filières qui ne vous convenaient pas, mais qu’après vous avez développé d’autres compétences, vous allez pouvoir les valoriser. Ils vont vous demander non pas la recommandation de votre ancien patron, mais celle de votre ancien collègue.

Donc si vous étiez ouvrière en usine pendant 15 ans, sans diplôme, mais que vous étiez reconnue comme bonne travailleuse, vous allez pouvoir bénéficier de la recommandation de vos anciens collègues. Vous êtes en CDI sur ce site Internet, qui vous loue comme intérimaire aux employeurs, et vous êtes notée, comme chez Uber, avec un système de petites étoiles.

Qui sont les femmes qui pourraient être concernées par ce mode de recrutement ?

C’est moins confortable qu’un CDI classique, mais une femme qui n’a pas eu les bonnes formations en amont, de bonnes relations avec son ancien patron parce qu’elle n’a pas accepté de coucher, mais qui a des compétences et des collègues de travail pour la valoriser, tire là son épingle du jeu. Evidemment il y a des risques dans l’uberisation du travail. Une forme de précarité dans l’indépendance.

Mais attention ! Il faut voir la précarité qui touche déjà femmes. Il existe désormais moyen de valoriser leurs compétences, des relations, un réseau. On est passé du pouvoir à la puissance : le pouvoir c’est une hiérarchie, mais ce qui compte aujourd’hui, c’est la puissance, et celle-ci, est dans la société et dans chacun d’entre nous.

(1)Pour s’inscrire : grandforummarieclaire.fr, (2) « Nous avons changé le monde ». Ed.Albin Michel.

[Dossier] Grand Forum Marie Claire 2016 : la révolution des modes de travail - 4 articles à consulter

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