Grignotage : mot valise définissant une prise alimentaire non contrôlée, en dehors des repas, indépendante d’un besoin physiologique. En France, 61% des personnes craquent régulièrement pour les extras plaisir. 45 % des consommateurs mondiaux avouent aller jusqu’à remplacer leurs déjeuners par des "snacks".
Mais les astuces ne manquent pas pour faire barrage à la compulsion : boire un grand verre d’eau ou une tisane régulièrement, se laver les dents à chaque fin de repas... Toutefois, pour en finir vraiment avec ces dérapages, il faut parfois remettre à plat nos menus. Dans certains cas, un travail de fond sur l’histoire personnelle sera nécessaire.
Pour le psychiatre Vincent Dodin, "à moins d’être orthorexiques, nous avons tous nos moments de grignotage". Ils peuvent être sans conséquence, fruits d’un passage à vide ponctuel, d’ennui, d’anxiété passagère ou même de simple gourmandise, sans lien avec l’émotionnel. Ces dérapages deviennent pathologiques dès lors que nous n’avons plus de contrôle sur notre comportement. "Il génèrent alors des problèmes de poids, voire d’obésité, et le cortège de soucis médicaux qui vont avec" évoque le chef de service à l’hôpital Saint-Vincent de Paul (Lille), auteur de l’ouvrage Anorexie, boulimie, en faim de conte (Ed. Desclée de Brouwer).
La nourriture, une drogue comme une autre ?
Autre configuration alarmante : quand le grignotage entretient une souffrance psychologique intense. "Tristesse, dégout, culpabilité affleurent quand on cède au besoin compulsif de manger, alors qu’on sait que cela nous fait du mal", décrit le professionnel. On flirte alors avec l’hyperphagie boulimique, un trouble du comportement alimentaire à part entière.
Les rouages du grignotage pathologique sont proches de ceux de la toxicomanie. "Au début on a l’illusion de pouvoir se maîtriser, d’arrêter la fois d’après ; progressivement, on transgresse les règles que l’on se fixe, les pertes de contrôles se multiplient", expose Vincent Dodin. La confusion s’installe parfois entre sensations psychiques (anxiété, tristesse, impulsivité, colère) et sensation physiologique de faim. Vient alors le déplacement des ressentis : la personne va chercher la satiété émotionnelle par la nourriture. Mieux vaut consulter.
La satiété, une question hormonale
Frédérique Chataigner, psychothérapeute et nutritionniste, fondatrice du réseau d'hypno-nutrition éponyme, offre une lecture neuve de nos pulsions alimentaires : la satiété serait aussi fonction de la question hormonale et liée au déséquilibre du rapport entre oméga 3 et oméga 6 dans notre alimentation. Celui-ci déstabilise la production de notre hormone de satiété, la leptine, qui signale au cerveau qu’on n’a plus faim et empêche de grignoter. "La leptine est très dépendante des bonnes matières grasses que nous ingérons. Or, depuis les années 70, on nous a mises au régime avec diabolisation du gras, supposé faire grossir car calorique", décrit la nutritionniste.
Circonstance aggravante : ce déséquilibre induit une perte en vitamine B et en zinc, des micro nutriments qui aident justement à contrôler notre comportement alimentaire. Ces diktats ont augmenté le grignotage jusqu’à en faire un phénomène de société. Egalement dans le viseur de la nutritionniste : les matières grasses dites trans et les hydrogénées, largement utilisées dans l’industrie alimentaire. Alors que notre alimentation devrait nous apporter autant d’oméga 3 que d’oméga 6, ces substances en vogue depuis trois décennies introduisent dans nos aliments un rapport de 1 oméga 3 pour… 24 oméga 6 ! De quoi booster le cercle vicieux du grignotage.
Sucre, stress et déclenchement des fringales
Manger des aliments sucrés ou à goût sucré (édulcorants compris) appelle la fabrication de la ghréline, l’hormone de la faim. S’en suit le "craving", ce besoin irrépressible de manger, parfois ciblé sur un aliment. Or, nous consommons en France environ 55 kilos de sucre par personne, contre 5 kg il y a trente ans.
Le stress favorise tout autant les fringales. "En temps normal, les pics de cortisone, d’adrénaline et de noradrénaline sont calés sur les cycles des repas pour déclencher la faim au bon moment", décrit Frédérique Chataigner. Les personnes sous pression de manière chronique ont un taux d’hormones du stress en plateau, sans pic. En bref, affamées en continu.
Limiter les fringales
Feuille de route anti fringale ? Surtout, éviter de se mettre au régime, au risque de relancer le cercle vicieux du grignotage et de la frustration ! "Le régime induit une fuite en micro-nutriments. Ces substances précieuses devraient au contraire nourrir notre thyroïde et notre système hormonal", prévient Frédérique Chataigner. L'experte préconise une alimentation anti-inflammatoire, qui ne craint pas les bonnes matières grasses et se focalise sur les oméga 3. Le bon plan : les huiles premières pression à froid (cameline, colza, chanvre, noix), les volailles et œufs de qualité (comme ceux de la filière "bleu blanc cœur").
L'avocat est un allié parfait pour lutter contre les fringales
L’hypno nutritionniste affectionne aussi le philobio, une farine à base de lin purifié très concentrée en oméga 3. A utiliser pour vos gâteaux et crêpes, associée par exemple avec de la farine de sarrasin. Ou à saupoudrer sur vos jus, yaourts ou votre Miam O fruit du matin. Aliment anti fringale extraordinaire : l’avocat, pour son rapport idéal entre ses acides gras essentiels. Riche en vitaminé B et en zinc, qui sont des régulateurs de l’humeur, il permet aussi de reprendre le contrôle sur nos compulsions.
Soigner le petit déjeuner et surveiller la charge glycémique des repas
Autre donnée importante à prendre en compte : celles qui sautent le petit-déjeuner sont plus enclines au grignotage. Autre faux pas : carburer au café dès le matin. "Tous les excitants favorisent le grignotage car ils stimulent le système nerveux au détriment du circuit hormonal. Nous perdons alors le contrôle sur notre comportement alimentaire, au profit de nos nerfs. On ne peut plus faire grand-chose même avec la meilleure volonté du monde", prévient Frédérique Chataigner.
La stratégie gagnante : nourrir le système hormonal et apaiser notre système nerveux. Pour cela, limitez la consommation d’excitants (sucre, caféine, théine etc.) et mettez une croix sur les petits déjeuners sucrés pour éviter d’activer le circuit de la récompense. "Le matin, faites la part belle aux bonnes matières grasses – oléagineux, huile de cameline…- et aux protéines – œufs, fromage de brebis ou de chèvre…", conseille la thérapeute.
Pour le déjeuner, il est essentiel de prendre le temps de manger en conscience, pour une meilleure assimilation. Plus sa charge glycémique (à ne pas confondre avec l’indice glycémique) est élevée, plus vous aurez faim deux heures après le repas. C’est le phénomène de l’hyperglycémie postprandiale. Assiette anti-fringale idéale : une moitié dé légumes et crudités, un quart de protéines et un quart de féculents. Préférez la patate douce, secret des centenaires d’Okinawa, ou même les pommes de terre aux pâtes ou au pain, qui n’apportent aucun nutriment. Et on zappe le dessert.
Le goûter peut être intéressant, confirme Frédérique Chataigner. Mais tout dépend de la personne… et du goûter ! Un fruit, oui, mais sans pesticide et associé à un mélange d’oléagineux (noix, amandes etc) pour éviter la montée de glycémie, donc la faim différée : ils rassasient et sont bourrés d’oméga 3, de sélénium, de vitamines B, de magnésium et de potassium. "Remplacez tous vos snacks par un mélange d’oléagineux de bonne qualité (sans pesticides)… en trois jours, fini le grignotage", promet la nutritionniste.
Quelle grignoteuse êtes-vous ?
Bon à savoir : le déséquilibre entre oméga 3 et oméga 6 entretient aussi un déséquilibre au niveau des neurotransmetteurs du cerveau. Ces derniers sont en lien direct avec le grignotage et autres addictions. Frédérique Chataigner identifie quatre familles de grignoteuses, en fonction de leurs carences en certains neuromédiateurs.
"Celles qui manquent de dopamine carburent au café et aux excitants en général. Sujettes aux addictions en tout genres, cigarette en tête, elles ont besoin de sucre dès le matin et grignotent toute la journée", décrit la nutritionniste. Autre groupe de snack addicts : les carencées en acétylcholine, une hormone essentielle à la fabrication de la leptine. Son déficit est lié à un déséquilibre en oméga 3 et déclenche des envies de chips, fromage et charcuterie. Celles qui manquent de GABA ont tendance à angoisser facilement et à cogiter, ont besoin de chocolat, de féculent ou d‘alcool, surtout le soir, quand la nuit tombe. Enfin, les carencées en sérotonine accusent le coup à partir de 16h. Stars du grignotage sucré de l’après midi, elles ont une nette tendance dépressive et un besoin de compenser des sentiments de tristesse, de solitude. "Elles doivent éviter tous les sucres avant le goûter", préconise la professionnelle.
Surveiller le microbiote
Le déséquilibre des neurotransmetteurs a ses sources dans l’alimentation et la répartition des repas, mais pas seulement. Certaines personnes mangent correctement mais on un microbiote intestinal totalement déséquilibré. "Si des bactéries pathogènes y prolifèrent, elles vous réclameront du sucre et vous pousseront à grignoter", illustre Frédérique Chataigner. Mieux vaut consulter un spécialiste.
Il ne faut pas confondre fractionnement alimentaire et grignotage
Quid du fameux fractionnement des repas ? "Il n’y a pas de recettes miracle pour tout le monde. Tout dépend de votre métabolisme. Certaines ont un petit estomac et ont donc besoin de faire plusieurs petits repas. Il y a autant de réponses qu’il y a d’êtres humains car notre fréquence de repas idéale est déterminée par notre microbiote, qui est aussi personnel que notre ADN". En effet, le fractionnement alimentaire a le vent en poupe en matière de minceur : il s'agit de répartir la prise alimentaire en 5, 6, 7 voire 8 petits repas, de façon maîtrisée en conservant la même densité énergétique quotidienne pour permettre de stabiliser la glycémie, de faciliter la digestion et, au final, de moins craquer. Une stratégie à ne pas confondre avec le grignotage.
Prendre en charge nos émotions pour cesser de déraper
Pour Vincent Dodin, il est parfois salutaire de se pencher sur notre environnement familial et notre histoire pour en finir avec le grignotage. "Quand on a grandi dans une famille aux repas déstructurés, avec beaucoup de temps passé à manger de la junk food face aux écrans, on est forcément plus exposée", souligne le psychiatre. Même constats pour les personnes sujettes à la dépression sous jacente ou aux troubles anxieux (comme les phobies sociales) qui traduisent une forme d’insécurité profonde.
Il y a une telle pression sociale sur le rapport à la nourriture que le grignotage devient malsain même quand il ne l’est pas
Les jeunes femmes agressées ou violées sont aussi sujettes aux troubles alimentaires. Un travail spécifique sur les traumatismes est alors nécessaire, avec un recours à l’hypnose, aux thérapies brèves ou même à la psychothérapie, pour les histoires familiales compliquées. Le rapport social au corps doit être abordé de front."Il peut être traumatisant dans une société où la valeur première est la minceur et où la plastique normée est aujourd’hui en deçà du poids physiologique", alerte le psychiatre. Sortir du cercle vicieux "grignotage, culpabilité, compensation" implique d’échapper aux diktats orthorexique et morphologique.
"Il y a une telle pression sociale sur le rapport à la nourriture que le grignotage devient malsain même quand il ne l’est pas. Non, ce n’est pas grave de manger un peu de chocolat pour se faire plaisir ; il faut se détendre et s’autoriser des moments sans culpabilité" !
Remerciements au Dr Vincent Dodin et à Frédérique Chataigner (www.methode-chataigner.com)