Cancer du sein, l'édito de Tina Kieffer
Dans notre édition d'octobre, nous avons demandé au gouvernement que toutes les femmes, dès l'âge de 40 ans, puissent avoir droit au dépistage organisé et gratuit. Une requête ô combien légitime quand on sait que le cancer du sein, en progression de 100 % depuis vingt ans, est la première cause de mortalité des Françaisesde moins de 50 ans (âge minimum pour avoir droit actuellement à ce dépistage),et que ses formes sont souvent plus agressives chez la femme jeune.
Bon nombre d'experts jugent en effet incompréhensible que la France ne suive pas l'exemple de certains pays du Nord et du Canada qui pratiquent le dépistage dès 35 ou 4O ans, et fasse ainsi fi des chiffres les plus accablants. Une femme meurt d'un cancer du sein toutes les 45 minutes en France. Plus de trois mille femmes décédées cette année auraient été sauvées si elles avaient passé une mammographie à temps.
Suite à notre dossier « Toutes unies pour le dépistage gratuit dès 40 ans » etau bruit médiatique suscité par les photos seins nus de nos courageuses personnalités,nous avons été reçues par la ministre de la Santé et des Sports, madame Roselyne Bachelot. Le calendrier tombait à pic, puisque le gouvernement était en trainde boucler le Plan cancer 2. Mais madame la ministre nous opposa des chiffreset une analyse souvent divergents de ceux apportés par les éminentscancérologues que nous avons interviewés (lire encadrés). Cependant, elle acceptade faire un premier pas, en élargissant ce dépistage organisé et gratuitaux femmes de 40 à 50 ans présentant un profil à risques (antécédents familiaux,maternité tardive et/ou sans allaitement, absence de vie sexuelle...)
Bien qu'une mesure aussi restrictive nous semble complexe à appliquer (difficile d'identifier les femmes sur des critères si précis), nous l'en remercions. Et nous gardons espoir que, dans les mois à venir, voire même avant la parution de cet article, le bon sens fera un pas de plus pour sauver les femmes jeunes et sans profil à risques qui devraient mourir en 2010. Pour elles, le gouvernement ne peut que se rendreà l'avis des grands experts qui nous soutiennent.
Tina Kieffer, directrice de la rédaction
Roselyne Bachelot nous répond: pourquoi un dépistage seulement à partir de 50 ans ?
La ministre de la Santé et des Sports répond à nos questions sur la prévention du cancer du sein.
Marie Claire : Pourquoi le dépistage organisé et gratuitn'est-il proposé qu'à partir de 50 ans ?
Roselyne Bachelot : Les femmes de 40 à 50 ans n'ont pas besoin de la même fréquence de dépistage que celles qui ont entre 50 et 74 ans. Je suis en cela les indications de la communauté scientifique. Vous dites, dans votre éditorial (MC n° 686, octobre 2009, ndlr) : « On imagine bien évidemment les raisons comptables d'une telle restriction »... Mais ça n'a rien à voir ! Notre démarche est une démarche « populationnelle », appuyée sur une expertise scientifique et par des cancérologues comme le professeur Khayat. Même si elle n'est pas inexistante, loin de là, l'incidence du cancer du sein est moins importante chez les femmes de moins de 50 ans. Et la communauté médicale estime même qu'un dépistage systématique proposé avant 50 ans pourrait avoir pour effet de démobiliser les femmes, qui, rassurées dans un premier temps, se feraient suivre moins souvent par la suite, au moment où cela devient primordial.
Parce qu'elles ne sont pas suffisamment informées !
Des oncologues préconisent au contraire de se faire dépister tous les dix-huit mois à partir de 35 ans, car les cancerssont parfois plus agressifs à cet âge...
Nous n'avons aucune preuve qu'il y aurait plus de cancers du sein agressifs chez les femmes de moins de 50 ans. Les scientifiques nous disent que cibler seulement les femmes de 40 à 50 ans qui présentent des facteurs de risque est plus efficace. Par exemple, que celles qui ont eu une première grossesse tardive, qui n'ont pas allaité ou qui ont des antécédents familiaux fassent appel au dépistage individuel.
Mais on ne peut pas demander aux femmes, qui déjà ont du mal à demander une mammographie, d'évaluer leurs propres risques ! Ne vaudrait-il pas mieux inciter les généralistes à envoyer les femmes faire une mammographie ? Dans certains pays, on donne 1 ou 2 € de plus par consultation aux médecins qui font ce travail de prévention...
L'incitation à laquelle vous faites allusion existe. Elle s'appelle le Contrat d'amélioration des pratiques individuelles (Capi) et rémunère davantage les médecins qui améliorent les pratiques de prévention, notamment pour le dépistage du cancer du sein. Enfin, les agences régionales de santé, qui vont être mises en place dès le premier semestre 2010, permettront de renforcer encore cette incitation dans les régions où le dépistage demeure insuffisant. Nous allons renforcer l'implication du médecin traitant dans le cadre du Plan cancer 2, qui sera bientôt lancé par Nicolas Sarkozy.
Roselyne Bachelot nous répond: et pour les femmes aux profils à risques ?
A Marie Claire, nous persistons à penser qu'il serait beaucoup plus compliqué et coûteux de devoir repérer les quadragénaires à risques avant de les envoyer au dépistage, plutôt que de les envoyer toutes. Surtout qu'on peut,hélas, avoir un cancer sans présenter un profil à risques...
Je préfère me ranger du côté de la Haute autorité de santé qui, elle, nous dit qu'il n'y a pas d'avantage médical à ce jour à abaisser le dépistage organisé, ceci en raison de l'absence debénéfice pour les femmes qui ne présentent pas de facteurs de risques particuliers ! Mieux vaut cibler l'information directement auprès des femmes concernées par un risque potentiel. Des journaux comme le vôtre pourront relayer ces informations. Elles pourront alors consulter des médecins qui seront aptes à leur proposer un dépistage et un suivi.
Ces femmes à risques pourraient-elles alors bénéficierdu dépistage organisé, qui a l'avantage d'être gratuit et plus fiable, car il implique une double lecture des clichés ?
Il existe déjà des remboursements complémentaires, comme les mutuelles. Et pour les personnes qui ont la CMU, le remboursement est total.
Mais tout le monde n'a pas de mutuelle, et le prixd'une mammographie coûte au moins 66 €, voire plus selon l'endroit où vous envoie votre généraliste...
Il suffit d'aller sur le site Info soin de la Sécurité sociale pour avoir la liste des praticiens en secteur 1, c'est-à-dire au tarif Sécu ! Ou de demander à votre médecin de vous envoyer dans un endroit qui ne pratique pas de dépassement d'honoraires. Je rappelle que les patientes choisissent librement le radiologue qu'elles souhaitent consulter.
A vous écouter, nous avons l'impression de vivre dansun monde idéal : nous avons toutes accès à Internet,
nous sommes toutes au courant des risques et nous avonstoutes une complémentaire... Si le monde étaitparfait, il n'y aurait pas une femme en France qui meurt toutes les 45 minutes d'un cancer du sein...
Il y a effectivement un problème : celui des femmes en grande précarité. Les femmes qui échappent à notre dépistage organisé sont issues de milieux défavorisés. C'est un vrai marqueur social. C'est pourquoi je veux mettre en place une politique d'accompagnement avec des réseaux et de la communication de proximité. Nous travaillons par exemple sur des plaquettes en langues étrangères pour les populations immigrées.
Il y a une contradiction : vous dites que les femmesen situation précaire ont du mal à se faire dépister...
mais lorsqu'on parle d'un dépistage individualisé dès 35 ans en fonction des critères de risques, on ne s'adresse pas aux femmes défavorisées, qui ne feront jamais ces démarches par elles-mêmes. Quand c'est systématique, vous avez plus de chance de toucher ces femmesque si vous leur demandez de se renseigner en fonction de leur profil génétique, sexuel et maternel.
Le dépistage organisé des 50 à 74 ans touche actuellement 52 % des femmes. Notre objectif est d'augmenter cette participation pour atteindre 70 %. Une campagne ciblée et bien faite qui s'appuierait sur les bons relais (les généralistes, les associations, les PMI...) nous permettra d'augmenter le taux de participation au dépistage organisé. Mais aussi d'identifier les femmes à risques de 35 à 50 ans, qui tireront bénéfice du dépistage individuel, voire de les adresser vers une possibilité de dépistage organisé.
Vous n'avez pas peur que la disparition annoncée de la gynécologie médicale ait une incidence grave sur le dépistage des cancers du sein ?
Je me suis battue pour que cette discipline redevienne une spécialité universitaire. Il y a aujourd'hui plus de deux mille gynécologues médicaux en exercice et plus de cinq mille gynécologues obstétriciens qui participent avec les médecins généralistes, à la prise en charge de la santé des femmes et aux campagnes de dépistage du cancer du sein.
Roselyne Bachelot nous répond: et le plan Cancer dans tout ça ?
Les laboratoires numérisés représentent une avancée considérable, car on peut y transmettre les mammographies et faire des doubles lectures par Internet. Sans compter qu'il existe des logiciels d'aide au diagnostic qui rendent la lecture beaucoup plus fiable. Le Plan cancer prévoit-il de moderniser le parc des appareils, sachant qu'aujourd'hui les résultats ne peuvent pas être conservés informatiquement et que le cliché doit parfois être envoyé par coursier pour double lecture, ce qui est coûteux ?
De le rénover progressivement, oui. Notamment pour la campagne de dépistage de 50 à 74 ans, car la télémédecine permet de faire de plus en plus de doubles lectures des résultats.
Dans le Plan cancer, envisagez-vous le développement des centres de sénologie ?
Je préférerais des centres de santé pluridisciplinaires. Je ne suis pas certaine que l'installation des spécialistes ensemble dans le chef-lieu du département pour faire de la sénologie soit la réponse la plus pertinente. Il faut au contraire qu'ils restent à proximité des populations. Quand on étudie les raisons pour lesquelles les femmes ne se font pas dépister, il y a, en premier, la précarité, et en deuxième, l'éloignement.
Pour cela, les « radio bus » sont un bon système. Cela fait-il partie de vos réformes ?
J'attends les préconisations de l'Institut national du cancer. Mais je suis pour. Parce que, quand vous êtes au fin fond d'une campagne, il faut qu'on puisse venir à vous.
Revenons à notre appel, publié dans le Marie Claire du mois dernier. Nous avons entendu que vous n'êtes pas favorable au dépistage généralisé des femmes de 40 à 50 ans.
Mais seriez-vous d'accord pour que, au moins dans un premier temps, les femmes dites à risques en bénéficient ?
C'est en effet une très bonne idée. Lorsqu'un médecin considère qu'une femme de moins de 50 ans fait partie de la population à risque, il pourrait l'inscrire dans le fichier du dépistage organisé.
Quand se donne-t-on rendez-vous pour le lancement de ce dépistage ciblé et gratuit pour les moins de 50 ans ?
Dès que nous aurons lancé le Plan cancer 2.
Combien de temps faut-il pour que cette proposition soit acceptée par Nicolas Sarkozy ?
Je ne peux pas préjuger de la réponse. Mais je rappelle que la lutte contre le cancer fait partie des trois priorités du président, avec les soins palliatifs et la maladie d'Alzheimer.
Alors rendez-vous au mois de janvier, pour lancer ce dépistage pour les moins de 50 ans !
L'avis des experts
Le professeur David Khayat, chef du service d'oncologie médicale de l'hôpitalde La Pitié-Salpêtrière, à Paris, a répondu à notre appel, notamment lors de l'émission de Faustine Bollaert, « Et si c'était ça le bonheur ? » sur Europe 1*.
Faustine Bollaert : Pensez-vous qu'abaisser l'âge du dépistage du cancer du sein à 40 ans serait une bonne idée ?
David Khayat : Toutes les 45 minutes, une femme meurt du cancer du sein en France. Les cancers les plus agressifs, hormono-résistants (soit 30 % des cancers du sein) peuvent se développer très vite. On doit lancer le dépistage dès 40 ans tous les 18 à 24 mois, comme au Canada et dans les pays du Nord. Il est temps que la France occupe son rang en matière de prise en charge du cancer du sein. Il n'y a pas de raison que des femmes jeunes, que l'on pourrait sauver, meurent avant 50 ans.
Certains généralistes s'inquiètent de la toxicité de la mammographie...
Il est vrai que la mammographie irradie les seins. Mais il faut savoir qu'une mammographie bien faite entraîne une irradiation extrêmement faible, qui correspond probablement à ce que subissent des seins exposés au soleil pendant quelques jours.
Le gouvernement est en train de travailler sur un nouveau plan anticancer. Un dépistage organisé dès 40 ans coûterait-il beaucoup plus cher que celui qui est actuellement ciblé sur les 50/74 ans ?
Pour avoir été responsable de sa généralisation sur l'ensemble du territoire français, je pense qu'on peut « optimiser » - comme aiment le dire les politiques - l'efficacité des investissements de l'Etat pour l'organisation du dépistage. On peut faire aussi bien ce qu'on pratique aujourd'hui, mais avec des dépenses moins importantes. On pourra alors allouer les économies réalisées pour abaisser l'âge du dépistage du cancer du sein. Mieux organiser ce dépistage individuel... en l'organisant, tout simplement.
(*) Rendez-vous dans l'émission quotidienne de Faustine Bollaert, qui vous tiendra informées des suites données à notre appel.
Le professeur Claude Maylin, chef du service de cancérologie et de radiothérapie de l'hôpital Saint-Louis, à Paris, a répondu à notre appel lors de l'émission de Valérie Expert, « On en parle » sur LCI.
Valérie Expert : Que pensez-vous de la campagne lancée par Marie Claire ?
Claude Maylin : Je suis à 200 % pour ! Il y a un rajeunissement de la maladie. Son pic était autrefois de 60 ans, il est tombé à 50 ans, et aujourd'hui 20 % des femmes qui déclarent un cancer du sein ont entre 40 et 50 ans. Des résultats scientifiques montrent clairement que le dépistage permet de diminuer fortement la mortalité chez les femmes entre 40 et 50 ans. Cela veut dire des milliers de vies sauvées chaque année. Le cancer du sein chez la femme de moins de 50 ans étant plus agressif, il est important de le dépister plus tôt. Sauver la vie de milliers de femmes grâce à un dépistage systématique dès 40 ans, moi je signe tout de suite !
Roselyne Bachelot affirme qu'un dépistage systématique proposé aux femmes de moins de 50 ans aurait le contre-effet de les démobiliser...
Ce n'est pas un argument scientifique.
Femmes à risques familiaux !!!! Et les orphelines !!!!!!!! On les laisse mourir ????
Réfléchissez mme Bachelot, si cela arrivait à votre fille, nièce car cela n'arrive pas qu'aux autres.