Le jour, Sandra, 30 ans, est attachée de direction dans une entreprise du secteur de la finance, en région parisienne. Le soir, la jeune femme enregistre des vidéos d'ASMR (ndlr :acronyme pour “Autonomous Sensory Meridian Response” soit “réponse automatique des méridiens sensoriels”) qu’elle poste ensuite pour les milliers d'abonnés de sa chaine YouTube.
Sandra a découvert l'ASMR à l'été 2015 -le concept, non démontré scientifiquement, est apparu aux Etats-Unis vers 2008. "J'étais dans une période de ma vie assez stressante, et je cherchais du contenu de relaxation sur YouTube. Un soir, je suis tombée sur une vidéo d'ASMR, en anglais, et ça m'a tout de suite fait de l'effet. Cela m’a tellement aidée à me détendre que je me suis réveillée le lendemain matin avec les écouteurs sur les oreilles !", raconte-t-elle. Amusée, curieuse et dotée d’une voix très douce, Sandra décide de s'essayer à la production d'ASMR, pour reproduire des sons qu'elle aime.
Un an plus tard, la chaîne YouTube de Sandra a enregistré plus de 4 millions de vues, et compte 25 000 abonnés. Chaque semaine, après sa journée de travail, elle enregistre une vidéo de 20 à 50 minutes, pendant laquelle elle raconte en chuchotant son quotidien, ou expérimente de nouveaux sons qu'elle a repéré dans d'autres vidéos. Je me suis réveillée le lendemain matin avec les écouteurs sur les oreilles !
Chuchotements, papier froissé, taping... Des sons au pouvoir relaxant
Jennifer, 28 ans, est l'une des fans de Sandra. Mère au foyer avec un bébé de 6 mois, la jeune femme qui vit dans la campagne de la Haute-Saône doit composer avec une nature plutôt anxieuse : “Je suis le genre de personne qui s'inquiète pour tout.”
Depuis qu’elle a découvert l’ASMR, il y a 18 mois, Jennifer a tous les soirs le même petit rituel: "Je m'installe dans mon lit avec un casque sur les oreilles, et je lance une vidéo d’ASMR. C’est mon petit moment rien qu’à moi, comme un rendez-vous, j’y tiens beaucoup."
Quand elle regarde, ou plutôt écoute les vidéos de Sandra, Jennifer décrit des sensations souvent évoquées par les "adeptes" de l’ASMR : "Je ressens comme des petits frissons, mais des frissons agréables, des picotements, ça m'apaise énormément. Même mon mari me dit que je suis plus détendue depuis que j'écoute ces vidéos. Mais à lui, elles ne font aucun effet !"
Mon mari me dit que je suis plus détendue depuis que j'écoute ces vidéos
La jeune maman a ses sons préférés : "Les chuchotements, les bruits de pages de livre, de sachets en plastiques froissés". Mais le registre des sons déclencheurs de l’ASMR est très large : à côté des “classiques” que sont les voix chuchotées, d’homme ou de femme, on trouve des enregistrements de “taping” (tapotement de doigts), mais aussi des sons de papier froissé ou déchiré, crépitement, sable à modeler, brosse à cheveux, pinceaux à maquillage glissant sur la peau, glaçons qui tintent dans dans un verre d’eau… Et même des vidéos de coupe de cheveux, dans lesquelles on retrouve le son si caractéristique des ciseaux du coiffeur. Comme une sorte de fétichisme sonore.
L'ASMR, une bulle sonore qui met le cerveau sur pause
Mais comment expliquer l'effet de ces vidéos très particulières sur nombre de personnes qui semblent tout à fait saines d’esprit ? D'abord par la très bonne qualité du son diffusé : les auteurs utilisent le plus souvent des micros binauraux, qui permettent de donner beaucoup plus de réalisme, de profondeur et de relief aux sons enregistrés. Sensation amplifiée par l’utilisation d’un casque.
Le simple fait de se donner du temps à soi, en s'isolant de l'extérieur, joue sans doute aussi dans l’installation de la sensation de détente, comme l'explique Aurélie Bernardi, psychopraticienne à Lourdes dans les Hautes -Pyrénées : "Le chuchotement renvoie peut-être à l'enfance, aux sons entendus petits. La très bonne qualité du son accentue l’impression d’être dans une bulle. Enfin l'idée de partage, puisque ces vidéos sont gratuites, participe au climat de bienveillance très présent dans le discours des auteurs. Tout cela favorise la mise sur “pause” du cerveau."
Le chuchotement renvoie peut-être à l'enfance, aux sons entendus petits
Elle-même adepte de l'ASMR, Aurélie les utilise pour s'endormir ou faire des pauses de trente minutes dans la journée, et va jusqu’à les recommander à certains de ses patients: "Pour faire baisser le stress ou lutter contre l’insomnie, c'est une technique de relaxation qui en vaut bien d'autres."
Une communauté d'adeptes discrète et bienveillante
Artiste ASMR français parmi les plus écoutés, avec plus de 64 000 abonnés sur sa chaîne Paris ASMR, Florian revendique cette approche bienveillante décrite par Aurélie Bernardi : "On ne fait pas ça pour devenir riches ou connus, ma chaîne me rapporte à peine 100 euros par mois. Mais il y a du plaisir à proposer quelque chose qui est à rebours de ce que l'on trouve habituellement sur Internet, très poétique. Les vidéos ASMR sont plutôt longues, en plan unique, sans montage perfectionné”.
Professeur d'allemand dans un collège de la région parisienne, et aussi chanteur, Florian apprécie le fait de faire partie d'une petite communauté discrète et confidentielle: “C’est un cocon qui reste chaleureux et intime malgré le nombre de vidéos vues. Sur les chaînes consacrées à la pratique de l'ASMR, dès que quelqu'un vient troller ou dire des chose désagréables, il est aussitôt remis à sa place par les autres abonnés. C'est quand même assez rare sur les réseaux sociaux."
Parmi ses fans, Florian compte des profils très variés : "Des ados stressés, des gens angoissés, des prisonniers… ça me fait très plaisir de me dire que je peux les aider.”
Et vous, vous laisserez-vous tenter ? Faites le test avec cette vidéo de plus d'une heure qui vous permettra de (peut-être) repérer les sons qui vous font le plus d'effet -ou, a contrario, qui vous horripilent !